L’inhumation d’Yves Louyot

Yves et Françoise ont choisi de ne pas organiser de rencontre autour de la dépouille d’Yves (le terme est de lui).

Mais Françoise nous propose une rencontre pour l’ « inhumation » d’Yves au sens qu’il donnait à ce mot, « être inhumé au cœur de l’humanité », sous la forme d’une Fête de la Vie.

Elle a choisi le 9 décembre prochain, lendemain de la fête de l’Immaculée Conception chère à Yves.

Pour ceux qui pourront/voudront y participer, quelques détails pratiques :

• La rencontre aura lieu de 11h à 16h dans la salle communale de Créancey 21320, à côté de Pouilly en Auxois, pas loin de Beaune et Dijon.

• Chacun vient avec quelque chose à mettre en commun pour le déjeuner.

• Il y a un hôtel Ibis Budget à Pouilly en Auxois.

Ceux qui le souhaitent peuvent apporter : un témoignage de ce que Yves a été pour eux, des photos (il sera possible de les accrocher), un diaporama sur clé USB.

Contacter Jo et Chantal PILLER (jo.piller@bluewin.ch) pour l’organisation

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QUAND PARLENT LES PLAFONDS…

           Pourquoi les plafonds n’auraient-ils rien à dire alors que tant de gens parlent à « fond plat » pour ne rien dire justement ? Ce n’est pas parce que c’est parfois bas de plafond chez nous ou que le plafond est suspendu qu’on n’a rien à en attendre : un tel plafond n’a pas vocation à suspendre la parole mais parfois à l’empêcher de voler trop haut. On sait que crever un plafond s’avère un exercice risqué et même périlleux. Et si c’était justement au moment où il crève que le plafond nous réserve ses meilleurs secrets?

            Il existe depuis la nuit des temps un plafond célèbre immortalisé par un lumignon évangélique résumant à lui seul la quasi totalité de la puissance de ce livre exceptionnel. (Vous ne pouvez pas me reprocher un harcèlement biblique systématique dans ces articles, mais l’un ou l’autre passage exceptionnel « sauce plafond » ne peut être laissé de côté au risque de nous amputer d’un trésor important.

            Dans un passage célèbre de ce j’appelle facétieusement « l’Eve-angine » 😦 de Eve, la mère de l’Humanité et de « angine » : ange femelle porteuse d’un heureux message, avec parfois une voix de gorge !), les disciples de Jésus s’émerveillent de la facilité avec laquelle les résistances des gens à la Nouvelle Parole se dissolvent sans grande difficulté, au retour bilan de leur première mission. Jésus ratifie leur jugement en disant : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair » (et non pas comme « les clercs » comme on le croit trop souvent). Cependant, ajoutait-il, ne vous réjouissez pas tant que les démons vous soient soumis, mais plutôt que vos noms soient inscrits dans les cieux ».

            Voilà le grand mot lâché : les cieux ou les ciels selon l’approche de Chouraqui. Souvenons-nous que le ciel est l’un des noms fondateurs donné par la Genèse au firmament dès ses premiers balbutiements. Une sorte de séparation solide, fiable, entre les domaines respectifs du ciel et de la terre, peut-être entre l’Humanité adamique (celle de l’Adam terrestre, de l’expérience, de l’histoire vécue) et la Divinité qui lui fait face. Ce firmament que Chouraqui encore traduit par « plafond » et qui désigne aux yeux des Israélites la Loi de Moïse, organisatrice et structurante de toute l’Histoire biblique. Mais voilà que ce que le peuple considérait comme une coupole unique, solide plafonnant sévèrement et sans concessions au dessus de leurs têtes, s’avère être en fait, grâce à notre apprivoisement progressif de l’espace, une succession ininterrompue de « ciels » successifs invitant à un voyage intersidéral beaucoup plus qu’à s’arrêter à une barrière de péage ! Le ciel exclusif de Moïse se démultiplie en « des ciels » dans lesquels chacun est appelé à y voir les lois organisatrices de l’univers. Les ciels, les cieux dans lesquels Jésus lui-même soupçonne son Père d’être plus à l’aise que siégeant en cours d’assises derrière les tables en pierre de la première Loi ! C’est aux cieux que siège notre Père, c’est-à-dire dans les fondements mêmes de l’univers, au cœur des structures du cosmos, là où se rencontrent les principes les plus créateurs du monde qui est le nôtre. Et les lois (lire en latin) sont l’ensemble de dispositions dont la merveilleuse complexité et la nécessité nous apparaissent à chaque découverte scientifique, psychologique ou philosophique.

            Si « les ciels » ainsi conçus peuvent se concevoir comme le symbole de « l’Architecture » de l’univers (dont le grand promoteur qu’en fut Noé n’est pas encore tombé dans l’oubli !), comment expliquer que nos noms y soient déjà inscrits et quelles en sont les conséquences ?

            Il faut remarquer que les Noms ne sont pas « écrits » mais « inscrits » dans les ciels, comme une incision sculptée sur une matière réceptive et sensible donc susceptible d’y laisser des traces repérables. L’inscription se rend ainsi indissociable de son support tout en lui fournissant la signature d’un auteur. Les ciels deviennent alors une œuvre signée, authentifiée par ceux qui y apposent leurs Noms, extraits d’un anonymat sans relief. Si les ciels représentent le nœud de convergence des lois de l’univers, cela signifie que nos noms sont désormais attachés à leur organisation et à leur réussite. Ces lois qui nous précèdent depuis des millions d‘années sont destinées à hériter de nos noms, c’est-à-dire de nos personnes selon la vision biblique du nom correspondant à la personne tout entière. Nous avons donc à apporter chacun notre pierre et nos compétences à l’organisation de l’univers et même du cosmos. Responsables de la petite part de cosmos qui nous revient par le fait même que nous l’habitons. Voilà qui peut modifier l’image souvent rabougrie que nous nous faisons de notre place dans l’Humanité.

            S’il ne s’agissait que d’une liste de noms écrite au ciel, on serait en droit de se demander : que vient faire un Bottin mondain au plafond de nos vies ? Serait-ce un organigramme en vue de travaux ultérieurs ? Ou plutôt un tableau d’avancement des futurs promus à la Légion d’Honneur ? Un pessimiste foncier y verrait, lui, la liste secrète des suspects classés « S » et filtrés impitoyablement à l’entrée de l’ultime confessionnal de la dernière chance…Mais ce qui est inscrit aux cieux l’est en lettres d’or, comme tous les astres nous le prouvent, et non pas en triste encre noire comme celle des registres paroissiaux emprisonnant à longueurs de pages jaunies les noms désormais éteints de baptisés, mariés, enterrés ! Le cieux ne sont pas les registres d’un Dieu shérif seul détenteur de la Loi, mais les « Lieux régisseurs » de l’Univers auxquels sont invités à léguer leurs Noms tous ceux qui oeuvrent à l’exubérance de la Vie.

            Et qui, parmi les lecteurs de ces articles, peut se targuer de n’avoir jamais travaillé à la Beauté de sa propre existence et à tant d’autres ? Qui ne se réjouirait de voir ses propres créations entrer dans l’immortalité et même dans la légende, c’est-à-dire dignes d’être transmises à la postérité ? Inscrites dans les cieux, nos personnes sont appelées à durer tant que dureront ces derniers. Les cieux faisant partie de la structure génétique du cosmos, nous en sommes donc une part intime.

            J’ai conscience que ces propos un peu décoiffants ne sont accessibles qu’aux véritables « théologiens » et sans doute moins aux « théologiciens ». Les premiers sont ceux qui tentent d’approcher Dieu en parlant d’emblée sa langue à Lui (celle du cœur, de l’intuition, de l’expérience de terrain mais aussi de la raison). Les seconds sont ceux qui mettent en avant leur propre langage : celui du raisonnement, de l’étude historique, des normes interprétatives, espérant ainsi capturer le Dieu vivant dans leurs filets. Heureusement, comme le dit un psaume, « le filet de l’oiseleur s’est rompu et mon âme s’est échappée ». Cette petite phrase qui n’a l’air de rien est en réalité un atout majeur pour tous ceux que leur cheminement rapproche de la transcendance : Dieu n’est jamais l’objet d’une démonstration de force ou de raison, mais l’aboutissement d’une découverte grâce à une « âme échappée », L’âme en échappement libre est la première condition de la foi !

            Les cieux sont donc désormais le nouvel et légitime horizon de nos existences terrestres ; celui qui crève tous les plafonds. Inutile d’ouvrir d’autres caté-schismes que celui-là. C’est en effet le seul « traité » grandeur nature, aux pages blanches ! Dans l’attente de nos signatures et de nos capacités à les honorer. Nos perspectives ne s’arrêtent plus à l’indignité, au péché, aux sacrifices sanglants, aux clous et autres couronnes d’épines, flagellations, cruci-fixations et pèlerinages incessants au Tombeau, humiliations, terreur, jugement, condamnation, enfer etc. qui ont tant fait l’objet de déviations « théologisticiennes » plutôt assoiffées de savoir que de contemplation «. Nos noms, notre être, n’ont rien de clous dorés au soleil et brillant de tous leurs feux au fronton de la terre : ce sont des planètes à investir, un potentiel démesurément ouvert à notre génie créateur.

            Les grands génies de l’Humanité, qui n’ont d’ailleurs pas l’exclusivité en la matière, seraient-ils des prophètes pressentant les dimensions planétaires de l’Humanité pour un avenir ultérieur ?

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PANIQUE DANS LE VOCABULAIRE (suite)

            Notre petite balade hors des sentiers battus nous a entraînés loin des routes macadamisées, quitte à devoir re-cirer nos chaussures boueuses avant de rentrer à la maison ! (Le mal n’est pas bien grand tant qu’il ne s’agit pas de mules qui ne sont d’ailleurs pas des chaussures pour sortir en forêt !) . Essayons d’avancer un peu plus là où la forêt devient un peu plus dense avec des buissons inextricables comme celui où Abraham dénicha un jour un mouton providentiel et au cœur desquels une vache théologienne n’y retrouverait sans doute pas son « serf-« veau !(bof !)

            Une dernière précision concernant la Géhenne comme résultant de la maltraitance que nous imposons souvent même à notre insu, à nos rencontres, lorsque nous les prenons carrément à contre sens : exclus, étrangers, différents, opposants etc. Prendre quelqu’un à rebrousse poil est déjà risqué, mais à contre sens peut être catastrophique à l’image de celui qui prend l’autoroute dans les mêmes conditions : choc frontal ! Inflammation généralisée de la situation. Pour comprendre combien elle peut devenir incendiaire, il suffit de constater combien l’Humanité est tissée de « matière » inflammable : ne dit-on pas : une fièvre brûlante, brûler d’impatience, bouillir d’inquiétude, un regard incendiaire, mettre de l’huile sur le feu garder quelque part une casserole au feu, mettre le feu aux poudres, brûler ses vaisseaux ou ses dernières cartouches, ça va chauffer, une ambiance surchauffée, chaud devant et, pour finir, incinérer le tout ?

            La même mésaventure n’est-elle pas arrivée au début de la saga biblique à Moïse en personne se coltinant d’une part le feu du ciel sur le Sinaï, puis au cours de son entrevue orageuse avec le Pharaon, ne sort-il pas en claquant la porte, « enflammé de colère » ? Au bout de l’histoire, les disciples d’Emmaüs ne se sentaient-ils pas le cœur « tout brûlant » en relisant les Ecritures intelligemment ? Le feu couve partout sous les histoires humaines : en braises, en tisons, en brandons, en torche ou en incendies. On a là une indication détaillée de ce qui paraît désigner ce que les anciens nommaient : la Géhenne et ses effets destructeurs. D’ailleurs, une pirouette familière du vocabulaire peut aboutir de « Géhenne » à « J’ai haine » que beaucoup de jeunes peaufinent en « J’ai la haine » ! Face à ce déchaînement du feu dévorant, proche parent de celui de Sodome et Gomorrhe et dû au duo de choc « maltraitant-maltraité », il semble n’exister qu’une issue possible : Dieu en personne en tant que « produit ignifugé » tapissant le coeur de l’Homme, pour garantir une sécurité incendie à ceux qui l’hébergent. Et naît alors le dialogue salvateur entre le feu et l’eau : « J’ai haine » – « Alors, viens boire à la source ». (Ajoutons pour mémoire, que là où il a de la géhenne, y a pas de plaisir ).

            C’est à cet endroit stratégique et seulement à celui-là, que se colmate enfin l’énorme fuite d’Amour énergétique de notre univers terrestre : elle se tarit au moment précis où je revendique l’estime de moi-même et de l’autre, dans tous les cas et sans aucune exception, dès le moment où se noue une relation d’empathie ou de conflit. C’est ce qu’exprime le chiffre évangélique de soixante dix fois sept fois. Le chiffre sept étant à lui seul celui de la perfection tirée des sept jours de la Genèse, sa démultiplication exorbitante établit une vision positive radicale de l’univers, sans s’autoriser la moindre exception ni la plus petite faiblesse, pas même celle d’un semblant d’hésitation. N’oublions pas que la mesure de l’amour pour l’autre est le parfait pendant de celle que nous utilisons pour nous-mêmes.

                                   Pour complexifier le jeu, l’exemple d’une double ou même triple pirouette littérale peut rafraîchir nos méninges malmenées tout en gardant le souci d’ouvrir de nouvelles portes. Je me suis interrogé honnêtement si ces processus ludiques ne finissaient pas par produire des dégâts collatéraux. Et mon esprit en goguette a pris dans ses filets l’expression « dégâts collatéraux ». Brouiller les cartes et recomposer le jeu aboutit soudain à un expression inattendue : « des gars collent à terreau ». Un eurêka de plus à ma collection ! Qu’est-ce qui colle en effet aux mains lorsqu’on les plonge dans le terreau sinon la bonne argile originelle quand le potier se livre sans vergogne à son malaxage naturel ? L’argile ou même la glaise ou encore la glèbe selon Chouraqui interprétant le terme Adam comme « le glébeux ». Le jeu de mots nous ramène à l’Origine de l’Humanité selon le beau et poétique mythe utilisé par la Genèse. Les humains de tous bords qui « s’y collent », qui mettent la main à la pâte, en allant jusqu’à s’enduire tout le corps des réalités de leur histoire pour mieux la comprendre et l‘aimer, sont spontanément orientés dans la direction ad hoc pour conquérir leur filiation divine. Ainsi les « dégâts collatéraux » portent également en « trousse de secours » un sens voilé prompt à redonner du lustre à leur triste figure. Prends ta vie en mains et modèle-la de près, de tout près : elle te livrera beaucoup de nouveaux outils pour en venir à bout, même si au départ elle te paraît un investissement onéreux et sans beaucoup de rentabilité.

            Pour ceux que la nouveauté et l’insolite perturbent, reste la solution facile du classement sans suite de cette approche dans la catégorie enfantillages. Après tout, chacun se nourrit de ce qui lui convient sans que le voisin y trouve à redire. Mais, selon un proverbe populaire, la vérité ne sortirait-elle pas (aussi) de la bouche des enfants ? Toucher à la structure interne des mots, c’est parfois attenter à la sécurité du langage, un peu comme des enfants manipulant sans précautions des explosifs oubliés ça et là. Ou encore des savants que leur inhumanité pousse à manipuler des lois de la nature pour aboutir à des armes terrifiantes. Tout est possible dès lors qu’on ose toucher à des lois que nous n’avons pas inventées et qui garantissent notre survie. Il en est de même pour le langage. Mais des surprises aussi peuvent s’avérer payantes Qu’on se souvienne par exemple, du terme : « méchant » et de tant d’êtres que nous avons classés sous cet épithète dévalorisant, depuis le grand méchant loup des contes jusqu’à Donald Trump inclus en passant par l’interjection de père estimant que son enfant est méchant. Le méchant est devenu un type à ne pas fréquenter et dont la fin ou l’extermination pourrait bien provoquer en sourdine un sentiment de satisfaction.

            Or, l’étymologie du mot (la remontée à la source, à l’Origine, thème qui nous est familier) provient de « méschéant » : celui pour qui la vie n’a pas été chanceuse, dont l’existence qui lui est échue n’a pas été favorable. Il se trouve en état d’échec ou d’échouage donc en situation d’infériorité nécessitant plutôt de l’aide que de la réprobation. Donc un personnage qu’il est recommandé d’approcher avec compassion plutôt que fuir avec hauteur. C’est un changement complet de perspective dans nos comportements relationnels qui deviennent alors des atouts et non des obstacles en vue d’améliorer les échanges entre humains.

            C’est l’un des clins d’œil les plus opérationnels que nous décoche un Jésus face à la question qui tarabustait déjà ses compagnons face à un membre de la communauté qui dysfonctionnait au point de se rendre insupportable. Il prônait une première démarche d’homme à homme pour entamer un dialogue avec le fauteur de trouble. En cas d’échec, remettre le couvert avec deux ou trois témoins. Face à l’obstination de ce frère à s’enferrer dans sa décision, Jésus proposait de mettre la question sur le tapis devant toute la communauté pour l’amener à s’interroger plus radicalement. Et, ajoutait-il enfin, si cette dernière médiation était repoussée sans avancée notoire, « qu’il soit pour toi comme un méchant publicain », cette espèce sociale abhorrée par « les bons » à cause de sa compromission avec l’occupant. On souffle un bon coup en se disant qu’il y a tout de même une justice finale et qu’il faut prendre ses distances définitives avec certains individus. Pas de chance : les publicains étaient de ces « malchanceux » avec qui Jésus partageait des repas conviviaux, médication plus fiable que leur rejet humiliant. Autrement dit, cette espèce de méschéants réclame des soins de proximité plus intenses encore de la part de ceux qui les côtoient et même prioritaires sur les autres. Une belle épreuve pour les Bien-Aimants ….

            Les méchants OK, l’éméché aussi, pourquoi pas ?

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PANIQUE DANS LE VOCABULAIRE

            On dit qu’avec l’âge, on s’assagit : on a du m’oublier dans l’équipement sapientiel propre aux vieillards ! J’assiste presque chaque nuit à la danse frénétique des mots qui tentent de secouer le joug de leur grammaire et le corset de leurs significations figées dans la résine, le temps d’un rêve intermittent et échevelé. Le matin m’éveille au milieu de leur éparpillement comme celui d’éléments disparates que personne n’a pris la peine de ranger dans la caisse à jouets. Alors, je procède à des arrangements inédits au matin, aussi fantaisistes que risqués puisque je touche en quelque sorte à l’ADN des mots, donc au langage et à sa réception dans l’esprit des auditeurs. Ces derniers, suffisamment intelligents pour faire la part des choses, filtrent au besoin ce qu’il y a d’authentique ou de pur imaginaire dans ce kaléidoscope tout en étant attentifs à l’éventuelle production de sens issu de cette » purée littérale » imaginaire, aux images elles-mêmes, aux symboles, à l’association libérale des termes voire des pirouettes dont le ciel n’a jamais interdit l’emploi dans l’austère théologie. Souvenons-nous des acrobates de cirque qui défient les lois de l’équilibre d’une façon tellement hors normes qu’ils attirent des foules médusées et admiratives de leur audace et de leur production. C’est la même chose avec le vocabulaire.

            Ce petit essai modifiera quelque peu la donne, en ce sens qu’il va recourir à certains mots crus dont je me pardonne à l’avance l’emploi, vu qu’ils figurent au dictionnaire français officiel. Certains consomment bien de la viande crue : je vais donc en faire autant : après tout, parler avec des mots crus cru, c’est parler tartare ! Un mot cru est peut-être plus nourrissant qu’un mot cuit : ce qui est cuit est cuit, comme les carottes ! Sa carrière s’arrête là alors que le mot cru conserve l’espoir d’être dégusté ultérieurement par un connaisseur !

            Un terme venu tout récemment se présenter à ma moulinette imaginaire est celui du pardon. Sans doute induit par un échange avec des frères qui venaient d’en faire leurs choux gras au cours d’une réunion de chercheurs. Comment parler nouvellement du pardon sans risquer de tomber, volontairement ou non, dans tout ce qui a déjà été écrit ou dit de lui ? Tentation facile de puiser dans le « déjà dit » ou audace de se risquer dans le « jamais dit » ? Autrement dit, partir de rien, d’aucune connaissance préliminaire, fût-elle issue d’un texte ou d’une Ecriture faisant autorité : une page blanche portant un seul mot : pardon et une question « blanche » à la réponse inconnue : qu’est-ce que ce mot évoque en nous ?

            Si le mot lui-même renvoie immédiatement à une connaissance familière, peut-être faut-il s’attaquer au terme comme on s’approche d’une boule de terre glaise ou d’une pâte à modeler : masser, malaxer, pétrir, étirer une pâte ne lui retire ni ne gâche sa nature de pâte mais lui infuse une modification dans la répartition des éléments qui le composent : elle demeure inchangée sous les modifications et présente cependant de nouvelles formes. Le mot se révèle comme un produit souple, malléable, se pliant aisément à ce qu’on lui fait subir. Sinon, pas d’assouplissement possible : c’est la langue de bois, de même qu’un massage appliqué sur une jambe de bois est voué à l’inutilité absolue : sans traitement assouplissant, jambe et langue restent de bois.

            Et soudain, l’éclair : qu’est-ce qui m’empêche d’introduire un tiret entre les deux syllabes ? Ca fera toujours pardon mais écrit : « pare-don ». Et voilà ce gentil petit mot introduit sans crier gare dans la famille des pare-brise, des pare-feu, des pare-chocs et autres pare-soleils qui vont nous délivrer un message caché.

            Que signifie en effet le « pare » dans les termes qui précédent ? Une précaution, une protection, une parade (pas la parade amoureuse du paon !) quelque chose à protéger avant toute autre opération, donc un élément si précieux qu’il exige une garde rapprochée ! Le pare-brise protège l’accès à l’intérieur de la voiture, le pare-choc est censé garantir la voiture derrière lui, le pare-feu garantit une certaine distance avec le foyer tout en entretenant ce dernier (sans lequel il n’y aurait pas besoin de cette protection), le pare-soleil enfin n’obscurcit pas l’astre du jour, mais contient seulement son rayonnement bienfaisant en fonction de ceux qui le reçoivent. Que protège alors le « don » du pare-don ? Justement, il assure la sécurité et l’intégrité du don. Quel est ce don si précieux nécessitant ainsi une barrière de sécurité dans une situation où l’offense est en jeu entre deux adversaires ? Ni plus ni moins que la personne même de cet adversaire justement qui, dans notre approche de la Bien-Aimance, est reconnue avant toute choses comme un don offert à l’Humanité depuis sa conception. Tout est possible, tout est faisable sauf l’atteinte au visage « immaculé de conception » de mon vis-à-vis par une charge destructrice ou négatrice. Avant un affrontement, je dois sans concession me souvenir que je suis moi-même un don accordé à l’univers, unique et irremplaçable, et, qu’à ce titre, mon adversaire l’est aussi. Sans cette « cotte de maille » préventive, toute entreprise de « pardon » est vouée à une impasse et les mots exprimés dans une formule ou même une prière se vident de toute signification. Le « pare-don » m’apparaît bien, dans cette lecture strictement personnelle, comme la démarche interne préliminaire au « pardon ».

            Il y a donc une première phase dont la fonction est de mettre les deux adversaires ou au moins l’un d’eux, en état de réceptivité réciproque. « Je ne peux pas empêcher un cadeau tel que toi venu au monde en vue de poursuivre son itinéraire de bienfaisance. Même si ce cadeau ne m’est pas présentement destiné, je ne me reconnais pas le droit de priver son futur destinataire de ce présent ». Sans le retour intérieur à cette Origine de tout homme, le pardon se réduit souvent à de simples et plates excuses minimales mais non opérationnelles, au lieu de s’offrir comme un pain bien gonflé par toute une attitude préparatoire au feu de l’intelligence. Le pare-don peut alors aboutir au pardon. On devine que c’est parfois un vrai travail, onéreux, mais qui permet en même temps de se remémorer de quelle race divine chacun de nous est issu.

            S’il en est ainsi du pardon, le raisonnement vaut-il pour d’autres expressions ? Une personnalité par exemple, se mue en personne-alitée sous l’effet d’un simple tiret. Et qu’en est-il de « mots crus » comme vous en avertit le début de cet article ?

            Un personnage bien considéré peut d’un seul coup se retrouver en respectable « con-sidéré » : con d’accord, mais sidéré ! c’est-à-dire tellement étonné de se retrouver ainsi cloué au pilori, qu’il peut commencer justement à interroger cette connery ( américanisé, ça vous a une petite élégance supplémentaire !) et peut-être est-il alors sur le point d’en sortir ! Les mots désobligeants portent en eux-mêmes leur dose d’anti poison à condition de modifier un tant soit peu leur formulation. (Le tiret placé à bon escient dans un mot, tel un petit muscle extenseur, opère presque à la façon d’un pacemaker). Il y a plus fort dans le cru : quand on parle d’un consacré, vous imaginez le séisme social si on y met le tiret farceur ? Con peut-être mais aussi sacré.

            C’est aussi le cas pour l’adverbe « sacrément » : « Si le sacré-ment, comment encore lui accorder confiance ? N’avons-nous pas sombré dans le leurre du « kitsch sacré » lorsqu’il concernait calices, ciboires et autres ostensoirs de fabrication « païenne » à partir de l’or et de l’argent ? Le second terme annule ici la beauté du premier alors que « con-sacré montrait l’inverse en reprenant le même raisonnement que pour le pardon, sauf que le tiret protège cette fois le deuxième mot ce qui revient au même : c’est le sacré d’abord dont il faut faire mémoire avant tout déchainement de violence ou de colère rouge au cours de laquelle l’imaginaire accumule parfois tous les supplices possibles pour venir à bout de l’offenseur. Si je persiste à considérer ce dernier comme le dernier des derniers, je coupe la lumière chez lui comme chez moi et nous ne sommes plus que des adversaires se mesurant dans les ténèbres. Plus aucune avancée n’est envisageable C’est l’avertissement donné par l’Ecriture : » Celui qui traite son frère de crétin ou d’insensé mérite le feu de la Géhenne ». Ce que nous considérons comme une menace venue du ciel n’est en fait que la conséquence évidente de la première étape ignorée de la Bien-Aimance. En rester en effet au stade où l’on s’envoie des assiettes à la figure, déclenche une succession enflammée de vengeance, de remords, d’amertume douloureuse, de violence redoublée qui incendie pour longtemps les capacités de rencontre négociée. (la Géhenne était le nom d’une vallée où brûlaient en permanence les ordures de la ville de Jérusalem mais aussi un lieu où des Israélites idolâtres brûlèrent des enfants). Conséquence inévitable des dysfonctionnements de l’aventure humaine, celle-ci n’a rien à voir avec une sentence tombée de la bouche d’un Dieu plus macabre encore que ses affiliés !

                                                                                                                     (à suivre)

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IN ARTICULO MORTIS (suite)

            La raison la plus déterminante qui, de mon point de vue, exclut mon église des mères potentiellement candidates à la fonction, fut l’exclusion sans appel et la suspension (au clou ! comme une défroque irrecevable qu’on suspend à une patère (noster)) de mes fonctions ecclésiastiques, signée par son correspondant en chef, mais où n’apparaissait pas la signature de Dieu !! (Ou peut-être à l’encre tellement sympathique pour le condamné qu’elle se dissolvait d’elle-même sur le papier !). Un simple paraphe sur un parchemin ampoulé mais qui se voulait solennel et qui me fit rire de bon cœur, achevait ainsi ce qui n’était en fin de compte qu’un CDD au bout de trente années de bons et loyaux services. C’était en réalité une « éjection-rejet » pure et simple comme on se débarrasse d’un indésirable entré dans une boutique de luxe. J’en ai conclu que jamais une mère authentique qui, elle, éjecte son enfant sans pour autant le rejeter, n’exécuterait une telle sentence sans même avoir vu ni entendu une seule fois le prêtre concerné et qu’elle s’excluait elle-même en tant que mère, de mon humanité et de mon parcours : elle y perdrait son honneur après avoir perdu son latin !

            Comment pouvais-je logiquement, dès ce jour, attendre le moindre service, y compris et surtout un enterrement, d’une église qui se privait allègrement des miens par un licenciement sec (de cœur !) au nom d’un juridisme moyenâgeux, d’un faux en Ecriture et en rupture de tradition avec l’esprit évangélique et l’histoire de l’église ? Etait-il concevable de revenir en catimini quémander quelques gouttes d’eau bénite sur un cercueil à quelqu’un qui venait de rayer froidement d’un trait de plume mes trente années pleines de ministère à son service ? Cela aurait relevé d’une aliénation mentale ! Ce geste confirmait à mes yeux que les prêtres n’existaient réellement pour leur institution que par le poids de leur célibat et que la valeur que leur attribue l’Eglise ne dépassait pas le niveau de la ceinture !! On nageait en pleine toxicité religieuse et combien d’entre nous y ont-ils laissé leur peau ou leur fierté d’hommes ? On se situait à des années-lumière des textes fondateurs ! Un marché de dupes consistant à exiger du personnel ecclésiastique qu’il renonce à un amour qu’on exige d’autre part à cors et à cris de tous ses administrés.

            Mais quelle libération naissait de cette relecture sans concession ! L’empreinte maternelle et heureuse laissée en moi par cette institution comme un tatouage incrusté, réclamait d’urgence un aggiornamento radical. L’illumination se fit jour une nuit entre deux rêves : et si l’église n’était plus ma « Mère » porteuse mais ma « Fusée » porteuse ? Découverte d’une importance capitale.

            Car la Fusée n’existe qu’en fonction du satellite qu’elle porte en ses flancs. Sa raison d’être est de placer ce dernier en orbite. Elle connaît donc son point de départ, sa destination et le trajet pour y parvenir et se présente dès lors comme un chemin particulièrement précieux. Demeurent les aléas du voyage qui peut être mouvementé mais aux risques du satellite voyageur. D’autant qu’elle sait qu’une fois l’objectif atteint, elle perdra instantanément toute utilité au profit exclusif de ce dernier. Mais ce qui m’apparaissait comme une évidence, c’était que le satellite n’est pas « le fils » de la fusée mais un simple passager, les deux parties unissant leurs compétences respectives au cours d’une brève étreinte destinée à s’interrompre une fois la mise en orbite effectuée. La structure fusée disparaît alors corps et biens au bénéfice de son satellite comme l’institution Eglise est appelée à s’effacer devant la valeur première de ses usagers. Cette vision comporte-elle un parasite blasphématoire ou libératoire ? En option. L’intervention indispensable de la fusée consiste à hisser son satellite du ras du sol à son niveau optimum : celui d’une mini planète autonome et très éloignée de son point de départ, déployant alors toute l’envergure et les compétences qu’on attend de lui et rayonnant de lui-même la lumière du soleil. De plus, le ou les pilotes de la fusée ne sont pas les maîtres ou les propriétaires du satellite, mais leurs simples convoyeurs. Son Excellence ou son Eminence promus convoyeurs de l’espace !

            Une analyse plus affinée souligne que tant que le satellite n’est pas mis en orbite, il reste « exorbité », comme un œil énucléé donc mal en point et disqualifié pour prétendre à une vision des choses en toute clarté. L’Eglise pouvait donc revendiquer la fonction de remettre notre vision première dans son orbite, c’est-à-dire loin devant et à une hauteur suffisante pour lui permettre de regarder le monde avec beaucoup plus de recul et de netteté. Et le regard des cosmonautes depuis leur position est un regard rempli d’admiration et de compassion positive pour la merveilleuse planète bleue. Si l’Eglise contemporaine se convertissait à ce lavage du regard et à ce changement d’orbite, son rôle d’éveil à l’admiration et à l’amour extirperait ceux de ses familiers encore accros de leurs piloris sacrés, tels des fakirs consentant enfin à se relever de leurs planches à clous!

            Me considérer comme passager de l’Eglise m’allait très bien car il soulignait de plus son caractère provisoire et éphémère auquel on ne pouvait accorder qu’une confiance mesurée en sachant que des fusées peuvent ne pas arriver à destination, soit par égarement dans l’espace soit par explosion accidentelle ! Jusqu’ici, je me disais que mon Eglise n’avait pas, au cours des siècles, échappé au premier, mais miraculeusement à la seconde, et que c’était sans doute le signe qu’elle recélait une valeur de longévité, mais à purifier de ses malfaçons, notamment celle de se croire porteuse sans appel d’une mission univoque et universelle et, disons le mot, quelque peu jupitérienne.

            Dès ce moment, le « fil » de la dépendance était rompu pour permettre au « fils » d’éclore en toute liberté et mille perles s’égayaient à la surface du monde en myriades de communautés de vie, de partage, de vie fraternelle, de chercheurs à la poursuite de leur propre vérité. Une forme d’églises enfin scintillantes entre ombres et lumières. Non pas égarées ou errantes, mais disséminées comme une nouvelle semence. A prendre ou à laisser selon l’appétit ou l’appétence de chacun. « Suis moi » : ce n’est pas mets-toi à ma suite mais aussi prends la suite après moi ». Et invente à partir des situations du moment et de ta relecture renouvelée des Ecritures. Si tu ne t’y mets pas, cesse au moins tes plaintes hypocrites contre ceux que tu juges incapables et remets-toi sagement à retraverser comme tout le monde entre les clous !

            Et nous nous sommes trouvés, frères, amis et compagnons de route, au hasard de nos pérégrinations diverses, beaucoup ramassant dans leurs sacs à dos les clous du chemin pour éviter aux suivants « d’y ou d’en crever » ! Descendants insoupçonnés de Joseph d’Arimathie et de Thomas l’incompris. D’emblée vous vous êtes comportés instinctivement comme des frères et des sœurs dont l’authenticité s’est très vite incarnée en une vie concrètement partagée sur le terrain. Cette relation nouvelle et tellement gratifiante fait pâlir jusqu’ à son effacement progressif l’étoile de la fraternité ecclésiastique dont j’ai constaté la fonte brutale et quasi totale à partir de mon mariage ou celle encore de la fraternité dite républicaine qui n’a jamais masqué autant d’inégalités qu’aujourd’hui. Mot piégé par excellence, la Fraternité s’est trouvée réhabilitée dans sa brillance par votre accueil inconditionnel et désintéressé. Je ne sais si elle émet d’elle-même une clarté venue du ciel mais elle en est en tout cas un fameux relais que n’entrave aucune déconvenue. Quelque chose en émane comme une substance inconnue qu’on croirait venue d’une autre planète et tombée parmi nous sans crier gare. Peut-être nous murmure-t-elle un langage intime en provenance de tous ceux qui nous ont précédés et qui cherchent à nous transmettre de leur propre et lointaine orbite, le seul message qui résume l’ADN de toute Humanité : « Forgez-vous une fraternité digne de la Paternité dont vous êtes issus ».

            Vous m’avez conforté dans ma confiance, non en la Fusée mais en la puissance élévatrice qui lui permet d’accomplir sa fonction d’accompagnatrice de plus précieux qu’elle. Et je lui en suis reconnaissant, ayant simplement changé de fournisseur en carburant, avec tendresse incorporée, comme c’est le droit de chacun à choisir son « mode de transport » vers d’autres cieux. Mais c’est à présent « par vous, avec vous et en vous », même si le plagiat emprunté à la liturgie peut surprendre, voire scandaliser, que j’ai pu aborder ce virage difficile de la Mère vers la Fusée en toute sérénité.

            Peut-on émettre le souhait de voir naître un jour un groupe de chercheurs animé avant tout par la foi d’un Thomas et d’un Joseph d’Arimathie, tous deux juifs et sans doute plus chrétiens que beaucoup de catholiques confirmés ? Peut-être sont-ils encore porteurs d’une telle « « énergie théo-active » qu’ils éloignent de leur audacieuse vision un peuple ecclésial aujourd’hui trop résigné ? On se prend à rêver….Tous deux unis dans une tâche commune : celle de libérer leurs frères rivés aux clous trop profondément enfoncés des dogmes, des doctrines, des décisions conciliaires et autre bulles. Si ces marqueurs ont eu une utilité passagère en leur temps pour baliser la route, ils ne remplacent en aucun cas l’adhésion personnalisée du cœur et de l’esprit, la liberté de circulation au Ciel et sur la Terre…Une simple application « copiée-collée » de la Parole de Vie n’a rien à voir avec son incorporation dans le vécu de chacun où elle est censée provoquer d’abord un intense changement intérieur avant tout application pédagogique sur le terrain. L’expression pourrait s’énoncer ainsi : « En moi d’abord »  et non : « Moi d’abord ». Cette expérience strictement personnelle n’est pas clouée en moi mais implantée comme une graine vivante, ce qui m’autorise à en partager en toute liberté les fruits à qui les apprécie.

            Vous m’avez fait percevoir que j’étais devenu un résident dans l’Eglise au lieu de la traverser en tant que passager. D’une résidence aisée, sécurisante, voire somptueuse parfois, vous m’avez entraîné sur des chemins nouveaux, des voies à baliser, à quitter un « rang donné » pour des sentiers de « randonnée ». Cela a tout changé et ça continue : Merci. Nous avons parcouru les surprenantes routes bibliques sans nous y enfermer car ce n’est pas « Le Livre » qui compte en premier mais ses Lecteurs et le lien personnel établi avec ses auteurs à travers toute l’Histoire y compris la nôtre. Et cela nous mène toujours plus loin : l’Histoire présente est le prolongement du Livre et c’est bien elle qu’il s’agit d’abord de vivre. Merci.

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IN ARTICULO MORTIS

C’est un beau début, ça : « à l’article de la mort ». Malgré son apparence, ce petit bout de phrase n’a rien de morbide ni de désespérant. C’est une simple référence temporelle comme on dirait : ce matin ou avant-hier. Ou peut-être même n’est-ce qu’un article parmi tant d’autres proposé sur le supermarché de la vie ? Ou encore un rite de passage ouvrant sur des espaces supérieurs à nos visions mesquines du monde ? En tout cas, un moment précieux de l’existence parce qu’unique dans une vie dont il ne faut surtout pas manquer l’apparition.

A cette occasion, je ne voudrais pas rédiger un « article » de plus, mais engager plutôt une sorte de conversation à bâtons rompus en plusieurs interventions écrites, peut-être les dernières avec vous, compagnes et compagnons, frères et sœurs nous qui êtes si chers à Françoise et à moi. Parce que vous êtes en grande partie responsables du visage avec lequel je me présenterai bientôt à mon Père des origines et qui saura vous le rendre avec émotion car le Dieu vivant est le plus grand sentimental de tous les vivants. Je ne sors pas indemne, en effet, de nos recherches communes et de nos ascensions progressives sous la poussée interne de l’Esprit et du travail sur nous-mêmes qui ont été nos seuls maîtres.

            Cette aventure hors normes a sans doute bousculé bien des convictions apprises, réorienté pour certains des appartenances à telle ou telle famille de pensée, fragilisé des certitudes que l’on croyait « bouclées » une fois pour toutes. Ce brassage de cerveaux, de pensées, d’émotions et d’actions s’est pourtant effectué sans violence, sans la moindre intolérance, dans le respect de la nature unique, exceptionnelle et transcendante de chacun et de chacune. Echanges et partages souvent passionnés, jamais polémiques, baignés d’humour, de fantaisie, d’authenticité et de fraternité sans concession à l’esprit de parti : la partie jouée fut et demeure belle.

            En toute reconnaissance et justice, je vous dois de préciser quelle est ma nouvelle identité que vous allez convoyer d’ici un délai imprécis, jusqu’aux faubourgs de l’éternité, après un bilan de compétences sujet à caution mais qui sera le mien. Comme vous ne l’ignorez pas, ma Mère, ma seule et vraie mère : La Vie immédiatement présente (Eve selon l’Ecriture) m’a jeté très tôt dans les bras de l’Eglise qu’on m’a présentée, elle aussi, comme ma mère. Ca faisait déjà beaucoup d’un coup, ma propre mère défendant, elle aussi légitimement, sa place sur le marché déjanté des mères ! Elles se sont bien entendues malgré tout quant à la défense de leurs territoires respectifs quoi qu’un peu flous sur les bords. Ma génitrice s’en est allée depuis, ma vraie mère Eve tient toujours la route, mais la troisième ?

            La troisième n’est plus aujourd’hui ma mère et je crois bien qu’elle ne l’a jamais été comme s’il y avait eu, à la maternité originelle, substitution de mère, l’une convoitant subtilement la place de la légitime. A quoi m’en suis-je aperçu après soixante années de cohabitation globalement harmonieuse et même heureuse ? A plusieurs symptômes qui, selon ma vision toute particulière et non reproductible, étaient incompatibles avec la dignité humaine et sa grandeur telle qu’une longue expérience de terrain et une pratique de l’Ecriture pré-ecclésiale m’en avaient convaincu.

            Le premier de ces signes avertisseurs fut et demeure l’attachement démesuré de mon Eglise à l’abus morbide du sacrifice et du dolorisme qui en découle. Les anciens Romains avaient coutume de clamer : du pain et des jeux. L’Eglise affiche depuis vingt siècles le slogan : du sang et des clous ! Comme s’il s’agissait d’un sésame magique effaçant angoisses et désagréments, d’un produit corrosif neutralisant les effets du Mal universel. Malgré l’affirmation purement verbale du discours en boucle sur la Résurrection, la pratique et l’ancrage du sacrifice salvateur par la mort sanglante agit toujours comme un implant solidement fiché dans le corps de l’Institution comme autrefois des éclats d’obus de 14-18 dans le crâne des soldats condamnés à devenir ainsi une quincaillerie cérébrale pour le restant de leurs jours. Heureusement de plus en plus de croyants travaillent à extraire de leur foi ainsi endommagée ces anomalies ravageuses. (L’assassinat du prêtre de St Etienne du Rouvray, sans porter en rien atteinte à la sainteté de l’homme, lui a valu un projet de canonisation ultra rapide à cause de son caractère sanglant). Le sang parvient à ouvrir toutes les portes, celle de l’héroïsme comme celle de la compassion. On commence à prendre lentement conscience que mourir pour quelqu’un n’arrange les affaires ni du donneur ni celles du receveur mais qu’il faut se trouver en bon état de fonctionnement pour pouvoir poursuivre le don de sa vie et la mettre à la disposition de la Croissance de l’Humanité.

            Comment peut-on donner quelque chose qu’on n’a plus et dont on a été amputé par violence ? Comment l’Eglise a-t-elle pu oublier l’avertissement cosmique d’Abraham découvrant sur le terrain l’abomination du sacrifice humain du fils ? Que cette pratique soit devenue symbolique dans la théologie eucharistique ne change rien à l’affaire : l’orchestration liturgique autour des cérémonies du vendredi saint notamment, aboutissant parfois à des dérapages à la limite de l’équilibre mental : ainsi des crucifixions reproduites in vivo dans certaines populations ou encore les pèlerinages au cours desquels les participants se traînent dans des poses humaines humiliantes et sanglantes sur l’ensemble du trajet. L’absence de toute parole intelligente de la part des hiérarchies concernées qui excusent ces aberrations au nom d’une humilité plus dégradante et insensée qu’autre chose, ou par peur d’oser une véhémente protestation traduit le vide abyssal d’une vision de l’Homme chez les responsables baissant les bras devant une situation qu’ils ne contrôlent plus. Ne parlons pas des cérémonies d’adoration du clou s’étant déroulées dans certaines églises l’instrument de torture remplissant le rôle éminent d’intermédiaire entre Dieu et les siens ! Comment se taire devant ces blasphèmes (mot qui signifie : claquer la porte au nez de l’Esprit) sans s’affirmer comme les descendants consentants de ceux qui exécutèrent la première crucifixion ?

            Comment se fait-il que tant de « voitures chrétiennes » accumulent les crevaisons en roulant sur les routes de la foi ? C’est parce que celles-ci sont inondées de clous que personne ne songe à ramasser ! Ca permet aux conducteurs de gémir, de se lamenter et d’en appeler plaintivement à un dépanneur qui n’arrivera jamais jusqu’à eux puisque même la route de l’avenir ou de l’attente est jonchée des mêmes clous pénitentiels ! C’est un recours à l’état de victimisation en vue d’apitoyer le chaland. Mais Dieu n’est pas un chaland. Les gémissements, implorations, abaissements, étalement exhibitionniste et mendiant d’un peuple soumis cherchant pitance, son indignité répétée jusqu’à plus soif, lui hérissent sans doute le poil alors qu’il persiste à considérer chacun d’entre nous comme une réplique filiale de lui-même. Comment une « mère église « peut-elle en arriver là ? Parce qu’elle n’est sans doute pas une vraie mère qui ne se comporterait jamais de cette façon : alors : usurpation de titre, fac simile d’un modèle inimitable, faux en écriture ?

            C’est sans doute à ce point névralgique qu’on découvre le rôle splendide et initiateur de Joseph d’Arimathie, le premier « Arrache clous » de l’Aventure chrétienne qui n’a pu commencer à bouger dans l’Histoire que grâce au geste salvateur de ce génie de la foi se disant : jamais un leader cloué au pilori comme un hibou à une porte de grange, ne pourra prendre son envol si on ne lui restitue pas l’usage de ses ailes. Ce que confirmera rapidement l’audace d’un Thomas s’exclamant : « enfin, le voilà, ce Seigneur et ce Dieu que j’attendais en secret. C’est un Etre décloué, désolidarisé du formidable traumatisme de la Croix : j’ai beau fouiller, chercher, explorer à mains nues ce Jésus tel qu’il se présente à moi après le drame, je ne vois ni ne sens ni ne constate rien qui ressemble à une marque de clous, alors que mes collègues en sont peut-être encore à chercher des cicatrices visibles pour les photographier à vie ou même en tirer des reproductions, voire même des médaillons en 3 D pour la future décoration morbide des lieux de culte qui suivront dans l’avenir ! »

            Car le fond de l’Histoire, ce n’est pas la douleur des clous éprouvés dans la chair qu’il faut exalter comme objet de culte, mais c’est le traumatisme indélébile qu’un tel déchirement procure à long terme qu’il s’agit à tout prix d’éviter. Ce « trauma » traverse l’Etre tout entier et même l’Histoire ultérieure de la personne : qu’on se souvienne des effets toujours actuels de la Shoah entre autres ou d’autres génocides plus récents et tout aussi inimaginables qui crucifient tant de monde de manière irréversible sous les yeux indifférents des bien portants. Mais aussi des conditions inhumaines qui laissent une grande fraction des habitants du monde empalés sur des souffrances psychologiques, familiales, économiques, idéologiques à jamais incrustées dans l’épaisseur de leur histoire. Comment est-il possible d’envisager cet océan de douleurs comme force rédemptrice quand on « l’offre au Seigneur » ? Comment un service hospitalier d’oncologie ou de maladie d’Alzheimer peut-il devenir le tabernacle de la guérison ? N’est-ce pas plutôt de l’excellente santé des bien portants offerte au même Seigneur, que le monde peut attendre une amélioration de ses conditions de vie ? On finit par maîtriser ces fameux traumas en bâtissant à leur encontre de larges zones de « bien portance », véritables ilots de rédemption. Je me rendais compte de la valeur inaugurale du geste de Joseph d’Arimathie, heureux moi-même d’avoir pu ça et là, joué le rôle d’arrache clous auprès de mes semblables. Ceci n’a pas la prétention d’une théorie de remplacement, mais une simple conviction établie en moi par l’expérience. Que m’importait alors d’être dans la « ligne religieusement correcte » ou pas pourvu qu’un frère ou l’autre pût se sentir libéré de ses chaînes ? Dieu seul appréciera selon ses normes : c’est une affaire entre lui et moi. C’est tellement plus facile « d’enfoncer le clou » au nom d’une fidélité à la Tradition que de l’extraire au nom de la liberté !

            Mais si l’Eglise ne pouvait être ma mère, ni naturelle ni porteuse, quel nouveau visage devait-elle adopter pour se rendre fréquentable ?

                                                                                                         (à suivre)

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DES RUES ET DES ROUTES

                       « Mani-festations », « mani-infestations », « mani-pulations », que d’explosifs ne détenons-nous pas entre nos mains ! Tels des apprentis sorciers ignorant la puissance détonante des mots « maniés » sans précautions ! Cocktails instables à mettre entre toutes les mains sans même un dispositif de sécurité ? Puissance de démonstration, d’intimidation, de protestation, de contestation, voire de destruction ? Nos rues sont le théâtre permanent de ces puissants mouvements de foules compactes apparemment unanimes quant à leurs revendications. Rues disponibles, stoïques, impavides, résignées, supputant à l’avance le nombre des futurs blessés, de ses magasins fracassés, de ses voitures incendiées, de ses trottoirs dépavés au plus fort de la mêlée, tout cela au nom de la fraternité républicaine ? (Répétition de rites vieux comme le monde, lorsque déjà les Juifs d’alors dépavaient les rues de Jérusalem pour lapider leur leader contesté ? Avec peut-être au cœur un désir d’ y englober sa mère qui n’était pas pour rien dans le remue-ménage d’époque, ainsi que ses disciples, aux cris exacerbés de : «  Pavés, pavés, pavés Maria ! »)

            Les mains entrecroisées de la fraternité, incontestablement sincères dans l’intention et l’intelligence de nombreux manifestants au départ, ne perdent-elles pas progressivement de leur authenticité lorsqu’elles se découvrent soudain serrées sur des matraques, des cailloux, des barres de fer, avec, à la bouche des slogans fatigués à force d’usure, et tournés essentiellement contre quelque chose ou quelqu’un ? La destruction doit-elle nécessairement accompagner des revendications même justifiées ? Les victimes éventuelles, les dégâts résiduels, la peine des préposés au nettoyage, les conséquences pour le contribuable ne préoccupent guère les « frères républicains » ni leurs leaders. Ces derniers se rendent-ils compte que le peuple devant lequel ils marchent fièrement en tête, s’attribuant le mérite de la manif, ne sont que le mégaphone de leur rage, de leur dépit, de leur frustration de n’avoir pas été reconnus aptes à gouverner par une autre fraction majoritaire de l’intelligence populaire ? La foule de ces grands jours est-elle consciente de ne servir principalement qu’à un rôle supplétif d’amplificateur des impuissances de leurs responsables, hommes de blocage plutôt que de changement, quelle qu’en soit d’ailleurs la couleur politique ou l’origine idéologique ?

            Toute unanimité apparente est forcément factice puisqu’elle gomme les différences essentielles entre les individus telles que celles-ci fondent la vraie fraternité. Cette dernière n’a que peu d’affinités avec la promiscuité des masses. (Ne la confondons-nous pas souvent avec la chaleureuse «  promis-cuissité » due à la compacité dans les défilés où chacun tient debout grâce à son voisin ?) La plupart des slogans hurlés à ces occasions ne se résument plus qu’à des coassements sans lendemain lorsque la fibre fraternelle qui les fonde s’étiole. (Il ne demeure plus alors qu’une question pertinente : » à coasse ça sert ? »)

            Plus sérieusement, l’un des résultats les plus manifestes s’exprime dans l’encombrement de rues. Ces dernières sont prévues pour assurer la libre circulation des personnes et des véhicules. Boucher ainsi les artères revient à provoquer un infarctus de masse qui ne résout rien dans l’avenir à long terme. Les itinéraires dérivés sont-ils des pontages efficaces ? Comment mettre en place une autre pédagogie où pourraient se croiser, voire s’entendre, les divers options et opinions légitimes et même opposées ?

            Si l’on garde l’image des rues pour comprendre le rôle de la fraternité, on constate que ces dernières ne sont en rien modifiées par ceux qui les foulent à leur surface : elles sont plutôt défigurées et compromises par la violence potentielle de leurs occupants. Elles ne sont pas le support d’un changement radical, entravées qu’elles sont par des piétinements sur place plutôt que par une marche réellement progressive. Elles sont des rues occupées plus que parcourues et obstruées plus que libérées. Elles ne permettent plus la libre circulation et renient ainsi leur raison d’être originelle.

            La fraternité appartient aussi à la catégorie des mani-festations ( le jeu de mots peut se lire : prendre en mains la fête, car si le mot « mani » se rapporte bien à la main, le terme « festa », d’origine incertaine, peut jouer avec festa : la fête). Ce n’est pas d’une manifestation lourde, pesante, paralysante, brutale qu’il s’agit, mais d’une expression allégée, aérienne, favorisant les échanges et les liens plus que les obstructions entre les personnes. La fraternité n’est pas de l’ordre du « poing rond » mais du « rond-point ». Elle établit des plateformes de communication sous l’image de rondpoints, (rien à voir avec des ronds de jambe !) assurant ainsi la fluidité des communications et la mobilité de l’existence. Les manif classiques encombrent les rues, la fraternité dégage les routes. Les premières donnent parfois sur des impasses, les secondes ouvrent sur des espaces hors des quadrillages urbains. Mieux encore, la fraternité aménage et modifie les relations entre humains comme on le fait pour les routes, tandis que les rues stagnent dans un décor inchangé sous la masse écrasante de ses usagers. Le génie des fraternités multiples que l’on voit éclore partout, hors de leaders prétentieux ou de consignes contraignantes, sans combat hargneux ni prétention hégémonique, c’est la création de ces rondpoints multiples sur la route des humains. Sous l’impulsion fraternelle dont nous nous réclamons, s’ouvrent en effet d’innombrables chemins en étoile, multidirectionnels, nés d’intelligences et de cœurs, d’imaginaires et d’âmes parfois les plus humbles et en tout cas proches des réalités quotidiennes et bien loin de la pensée unique ou du « leader maximus ».

            N’est-ce pas naturel que lors d’impasses massives issues de situations paralysantes de nature politique, religieuse, relationnelle, culturelle, on s’acharne à chercher, à tracer de nouveaux chemins de progression ? Il est remarquable de constater que la première attitude à adopter lorsqu’on aborde un rondpoint, c’est l’attention à celui qui arrive sur ses flancs ? Alors que les envahisseurs de rue sont d’abord tenus, dans la plupart des cas, par des revendications personnelles avant d’être collectives, le collectif n’apportant qu’une dimension majorée aux préoccupations personnelles. C’est bien un changement de routes qu’apporte une fraternité éprouvée et non une stabilisation des parcours archi connus.

            « Ohé, garçon, garçon, toi qui cherches, toi qui doutes, prête l’oreille à ma chanson : entends l’appel de la Route », chantait-on autrefois sur les routes de France et de Navarre…Si les rues pleurent souvent, les routes et leurs rondpoints chantent plus souvent encore …

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NOÉ, UN AMIRAL TRÈS SPÉCIAL …

            Ce n’est pas une énième visite de la galerie des ancêtres dont il s’agit ici, ni d’une recherche archéologique culturelle, mais poussiéreuse, de complaisance. Face aux naufrages innombrables qui menacent les humains et dont celui, endémique, des émigrés de tous bords s’affiche comme le dramatique étendard, force est de s’interroger face aux hémorragies de Sens qu’ils déclenchent. Un tel regard sur les plaies vives de l’Humanité ne répond pas à une attitude pessimiste ou geignarde par rapport à un âge d’or illusoire, mais fait plutôt appel à un coup de projecteur « bien aimant », humaniste et fraternel venu du fond des âges, sur un personnage étonnant dont l’Histoire n’a pas fini d’exploiter l’héritage. Ce remake s’impose malgré les sarcasmes des théoriciens théologiquement décérébrés qui évoquent déjà un transhumanisme futur sans même avoir épuisé les ressources du simple humanisme dont nous sommes parties prenantes aujourd’hui.

            Il est clair avant toutes choses qu’il faut considérer Noé comme le symbole du peuple d’Israël et au delà de lui de l’Humanité tout entière s’interrogeant face à l’Histoire dans laquelle nous sommes tous sont amenés à nous engager. Cette Histoire leur est présente à l’esprit comme étant le lieu expérimental de tous les risques, de tous les dangers, de tous les chausse trappes dans lesquels tant de vivants ont laissé leur peau et leur espérance en acceptant simplement d’être des vivants. Bref le premier modèle des quarantième Rugissants ou du Triangle des Bermudes ! On ne peut donc les affronter à mains nues sans précautions élémentaires exigées d’un sportif de haut niveau. De là où il est, Noé ne connaît qu’un seul niveau : celui de la mer, image d’une l’Histoire scabreuse à explorer. L’Histoire se définissant comme le déroulement puis la relecture des événements dévalant sans freins sous les pas hésitants des humains et risquant de les engloutir à tout moment, il est nécessaire de lui opposer une « contre-Histoire », telles les contre marches d’un escalier, qui permettent de s’opposer à ses prétentions totalitaires et à s’imposer comme maîtresse ou du moins gérante absolue de nos destinées. Dans un escalier, ce sont les contre marches qui permettent l’Ascension à un niveau supérieur à celui du plancher. Ce sont donc les oppositions à l’Histoire toute puissante qui assurent sa progression vers l’avenir. Ceux qui prétendent aller dans le sens de l’Histoire sans s’opposer à elle toutes les fois qu’elle menace l’Homme de destruction, sont en fait en marge de son déroulement comme les spectateurs du Tour de France demeurent en marge de la course malgré leur proximité « rasante » mais de pacotille, avec les coureurs.

            Pour plonger dans les alea parfois brutaux et agressifs empruntés par l’Histoire, il faut donc d’abord s’en protéger par un équipement spécial qui assure la proximité avec elle tout en se protégeant du contact avec « la peau » que je dois sauvegarder à tout prix. Le poussin a besoin de ses trois semaines de couvaison à l’abri de la vie avant d’ouvrir sa porte à celle-ci. L’enfant nécessite neuf mois de « mise en chantier » avant sa « mise en service » ! Poussin et enfant entreprennent là le début de leur « Archi-tecture » avant de tester leur capacité à affronter l’existence. Noé représente, non pas un personnage dont il n’existe aucun signe péremptoire d’historicité, mais la gestation prémonitoire de l’espèce avant même son apparition programmée dans l’histoire de l’univers. La Nature a largement précédé l’Histoire dans le déroulement du cosmos et régné seule avant la concurrence tardive de l’irruption de la Vie. Dans un sens, elle peut être considérée comme l’Arché-type de cette Histoire humaine. Elle en est le réceptacle illimité. La Nature est-elle la base de « l’Architecture première, la structure préliminaire, «  de toute l’histoire future d’un vivant dont la mienne ? Porte-t-elle en elle-même tout l’équipement nécessaire et suffisant pour aborder les hauts fonds de la « Vie-Mère » (et non de la vie-père !) à l’instar d’une l’Arche de Noé plus fournie en richesses qu’un supermarché ? Est-elle la première Marche (à suivre) révélant à chaque pas la somptuosité royale de celui qui gravit les suivantes ?

            L’Arche de Noé n’est donc pas l’adversaire de la mer : elle en épouse intelligemment tous les mouvements pour les utiliser en vue de sa progression, sans avoir à s’y abandonner « à corps perdu ». Se livrer ainsi aux méandres de l’Histoire, ce serait s’y soumettre sans condition, sans contestation. Cette dernière attitude a été trop longtemps considérée comme une réaction illicite, à la limite illégitime, parce que contraire à l’ordre établi, surtout s’il s’agit d’un ordre divin plus ou moins imposé selon des codes socio-religieux sur lesquels s’entendent les majorités dominantes. Les contremarches de l’escalier ne sont pas une négation ou une mise en question de sa présence, mais une invitation à se hisser à une étape supérieure en modifiant la direction horizontale de départ. Il en est de même pour la vision transcendante du monde et de l’Humanité : elle ne nie pas la dimension de l’expérience au ras du sol ni celle de la science, mais convie à gagner une position plus élevée pour mieux en mesurer les performances et les effets. L’Arche est donc une « stratégie vertueuse » (du mot vertu qui, en latin, signifie : puissance d’action et non mouvement sentimental et émollient de l’âme) dans sa décision même de défier la mer dès les premiers coups de rabot de son concepteur.

            En résumé, l’Arche n’est ni un bateau de pêche, ni un transatlantique de plaisance pour personnes fortunées, ni un croiseur militaire, mais plutôt un transport de troupes, invité exceptionnellement à jouer les brise lames !

            Au plan symbolique, elle désigne surtout la pédagogie et les stratégies mises en mouvement par chacun de ses passagers pour traverser la vie dans les meilleures conditions de réussite. Elle est donc un défi dès le départ. Le terme défi vient de « ferus, latin : sauvage, qui a donné féroce, inapprochable ». Sauvage renvoie aux « bêtes sauvages » de la Genèse, les mêmes animaux que Noé transporte avec lui (sauvage provenant également de silva, la forêt). Ce sont toutes les ressources les plus intimes, les plus personnelles que recèlent les profondeurs du psychisme, de l’intelligence et du cœur dégageant les saveurs propres à chacun sans possibilité d’amalgame avec d’autres, une fragrance inimitable et qui attendent d’être mises en service à partir de la liberté inaliénable de chaque individu. Cette liberté offerte à chacun de s’opposer est sans doute l’une des dernières bêtes à oser sortir de l’Arche après toutes les autres, c’est-à-dire à se manifester tardivement dans l’existence, étant donné sa parenté évidente avec la divinité. Une telle affinité éveille évidemment la méfiance chez les doctrinaires. Cette appartenance en effet, est celle que nous admettons le moins spontanément faire partie intégrante de notre être (rappelons que Jean-Baptiste et Jésus, au contraire, sont les familiers immédiats de ces « animaux » tardifs dans l’Histoire juive. Mais ils sont sans doute aussi les plus percutants en raison de leur proximité rapprochée avec ces « bêtes sauvages » selon le texte de Marc, plus qu’avec leurs animaux domestiques, plus apprivoisés donc plus soumis et plus consensuels).

            Le débordement de la bête sauvage en bête féroce annonce prophétiquement les déviations mortelles (recours à la violence), qui peuvent advenir dans le « zoo » spirituel humain en réponse à la férocité de l’Histoire, religieuse notamment, lorsque celle-ci se présente avec un visage de « contre humanité » (inquisition, schoah, corruption etc) et destructrice de la Nature elle même (anti écologie, sur armement, géopolitique de la faim, trafic d’êtres humains). Tout cela provient d’une méconnaissance des mécanismes de l’Histoire et de ses retours de manivelle toujours à craindre et des précautions à prendre à son égard pour en apprivoiser les bienfaits potentiels.

            La finale se joue sur le mont Ararat défini souvent comme « La lourde montagne », « montagne de la souffrance » ou encore : »montagne ardente » conformément à sa fonction volcanique qui culmine en Turquie à 5000m d’altitude. Quelle épopée pour Noé que de passer du niveau de la mer à cette élévation ! Quelle promotion aussi pour une Humanité démarrant au ras du sol pour mener ainsi sa croissance jusqu’au « Très Haut » ! (Sourions aux vagissements babyformes de chercheurs américains persistant à débusquer une Arche authentique, porteuse d’authentiques animaux, ayant abordé au sommet de l’authentique Ararat après une course verticale de cinq mille mètres de dénivelé ! A quoi aboutit-on lorsque la théologie divorce de l’intelligence!!

            L’Histoire, notre histoire, pour être réellement vécue dans toutes ses dimensions, exige qu’on chevauche son cours en longueur et en largeur comme les disciples quadrillant la mer démontée avant d’aborder sur une rive sûre, soit en profondeur sur les traces de Jonas dans sa « baleinière sous marine » explorant les recoins de son inconscient, soit en hauteur comme l’Arche amirale s’étirant de son chantier maritime primitif jusqu’à la conquête de la transcendance, dimension spirituelle de l’Histoire. L’Arche et ses succédanés se présentent donc bien comme une aventure humaine à quatre dimensions, fondations de toute « Croix-sens ». C’est l’image grandiose et « quadrimotrice » qu’un Paul donne de l’amour divin. Embarquez le ferry : il reste quelques places pour de charmants animaux de compagnie !

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MIETTES À SUIVRE …

            Oui, pardonnez-moi ce remake de l’article précédent mais le sort des miettes me laissait sur ma faim : c’est normal vu leur volume ! Il fallait bien nettoyer le site et leur proposer une issue digne d’elles non ?

            Allons, c’est entendu : la dispersion irresponsable des pères en fragments aussi disparates qu’illégitimes a mené à pulvérisation du Père Originel. Pulver, c’est la poussière en latin. On passe des miettes à la poussière après qu’on nous ait menacé d’en faire autant avec nous : souvenons-nous du fameux « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière », du mercredi des Cendres inaugurant ainsi une marche « triomphale » vers Pâques ! Et l’intercession d’Abraham se voyant déjà en cet état : « Je suis bien hardi de parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre.. » (Gen 18/ 27). Il y a des degrés dans la pulvérisation en cours : miettes, poussière et cendre ! Jusqu’où descendra-t-on dans le mépris de l’Homme pour lui-même ? Peut-on encore retraiter au moins des miettes ? Leur désagrégation en corpuscules insaisissables fait qu’elles échappent totalement à un retraitement quelconque, fût-ce une purée de molécules. En ce qui concerne l’invasion des pères, si le retraitement s’avère inenvisageable, leur retraite, elle, peut encore prétendre à un salut qui est plutôt un sauve-qui-peut !

            De ce Père dont on a largement bafoué le Visage et déformé l’expression au point de le rendre risible dans le corps de garde (son Fils n’a-t-il pas d’ailleurs subi le même traitement ? Pour atteindre le Père, visons les fils !), est-il envisageable de tenter une réhabilitation et comment ? Le ridicule tue plus sûrement qu’une arme à feu : jusqu’où n’est-on pas descendu dans la déconstruction du Père en ajoutant à la liste de ceux, déjà nombreux, le père Noël et le père Fouettard ?

            Il est évident que les conséquences concernant ce « Commencement Paternel de l’Humanité » vont contaminer forcément tout l’enchaînement de son parcours de même qu’un cancer débutant finit par coloniser tous les organes du corps. Le cœur et l’esprit sont-ils les victimes annoncées de cet émiettement instable ? L’espèce humaine s’en va-t-elle inexorablement vers un émiettement de ce qui la caractérise au sommet, à savoir l’esprit, le cœur et l’âme, cette « Trinité » constitutive de notre splendeur et peut-être le reflet fidèle de sa réplique grandeur nature qui présiderait aux destinées de l’Univers ?

            Le cœur désigne ce lieu spirituel et secret de chacun d’où est pulsé le sang (c’est-à-dire le « Sens » suivant la terminologie biblique depuis Noé : le sang c’est le Sens), la mise en circulation ininterrompue du Questionnement. Quo vadis ? Où vas-tu ? Où va la Vie ? Où mènes-tu la tienne ? La Vie n’est pas réponse mais questionnement (depuis Adam dont la première syllabe signifie déjà la Question). L’esprit, c’est l’expression de la « Respiration », elle aussi ininterrompue, (spirare en latin : respirer), qui assure l’aller-retour permanent entre le monde extérieur et l’espace intérieur de la personne : aller-retour, va-et-vient, entrez sortez, entre-et-sort, recto-verso, les deux faces inséparables de tout vivant. L’âme semble désigner la coordination harmonieuse, l’unité, le liant, l’animation de cette trilogie vers une transcendance Ascensionnelle, Assomptionnelle, voire « Assomptueuse » de l’Humanité. Qu’on me pardonne ce vocabulaire de dérapage contrôlé : l’imaginaire permet souvent de recueillir des intuitions inattendues en lisière des routes trop rigides.

                       Dans notre vision hasardeuse, « cœur, esprit et âme » formeraient le triptyque architectural de la divinité au cœur de l’Homme, son ADN en quelque sorte. Comment imaginer qu’un ADN soit réduit en miettes ? Si tel est le fondement du Sens caché de l’Univers et de Dieu lui-même, cet ADN est inaccessible aux agressions de notre part. Ce qui est réduit en miettes, ce n’est pas Le Père mais les représentations émiettées que nous en avons au travers de mille religions cacophoniques et qui finissent par émettre un brouillard, voilant la vue d’une sorte de cataracte spirituelle que la Bible nomme « la berlue » (être éberlué) depuis déjà Abraham. « Je ne vois pas grand chose et ce que je vois encore, je ne le distingue pas nettement. Ne distinguant plus mon Père parmi toutes les contrefaçons dont on m’abreuve, je finis par douter de sa réelle existence ». C’est l’épaisseur de ce « manteau oculaire » dont Jésus tente de débarrasser les aveugles qu’on lui amène dans son champ de vision à lui. Sa « formule thérapeutique » se condense en une proposition : « regardez-vous comme je vous vois ». Et tout brouillage se dissipe alors. « Regardez le Père des Origines comme je le vois et tout devient clair. » Mais comme tous les adorateurs d’idoles, nous persistons à préférer les photocopies à l’original ! Le Fondement « cœur, esprit, âme » de l’Humanité ne peut être pulvérisé par la gravité des errements humains pas plus que la Joconde ne peut souffrir des mille reproductions dévaluées qu’on en a faites.

            Les miettes ne sont donc que la sanction bienfaisante à l’égard de ce qui a perdu toute réalité consistante. Elles ne concernent que ce qui mérite de disparaître. Il en est de même du monde qui se réduit ou que l’on réduit par destructions massives et réitérées, où l’émiettement des bâtiments se superpose à celui des corps, signant l’irréversible pulvérisation d’une part visible de la réalité humaine et politique du moment présent. Mais n’atteignant pas le fondement profond de la Nature ni l’espérance de vie qui reprennent inlassablement le dessus au delà de la poussière et des cendres.

            Là réside sans doute l’attitude optimiste du croyant : ni le monde, ni la terre, ni le ciel et son contenu ne sont touchés à mort dans la conception même de leur existence par nos maladresses parfois mortelles, voulues ou insuffisamment réfléchies, et nous sommes inclus dans leur réalité.

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  LA BISCOTTE THEOLOGIQUE

                       Pourquoi a-t-il fallu ce matin-là, que mon regard accroche cette poignée de miettes que je m’appliquais à chasser de la table grâce à l’antique et solennel objet consacré à cet effet, vestige de ces minuscules soins de beauté que ma mère réservait à toutes les nappes de la maison à la fin de chaque repas ? Que pouvaient-elles bien avoir à me signaler d’important avant de se fondre dans des balayures sans gloire et sans lendemain ?

                       Ma première observation me faisait comprendre que là où il y a des miettes, il y a quelque chose de cassé. Elles sont des brisures, des cassures de quelque chose de complet. Elles révèlent une dispersion, une dissémination d’un tout qui passe ainsi de la cohérence à l’incohérence : comment redonner un semblant de visage à une biscotte écrasée ? On constate la disparition d’un tout unifié en « nano miettes » irrécupérables dans lesquelles s’estompe l’idée même de biscotte (meilleure représentante du genre). Les miettes font disparaître l’identité de ce qu’elles étaient en corps constitué. Elles sont un produit différent de la biscotte entière. De plus, écraser une biscotte sous un réflexe haltérophile, demande un supplément de rage inexplicable ou préméditée. La pulvérisation de la fragilité est un drame de notre monde actuel. Pitié pour les biscottes !

                       Dernier acte pour les miettes : évacuation immédiate des lieux conviviaux. Les miettes font sale, non soigné, négligé, indigne. Elles sont le signe évident de l’insignifiance, la banlieue du néant. On les ramasse dans le creux d’une main et on les balance aux oiseaux dans le meilleur des cas : les oiseaux sont les seuls prédateurs des miettes. Evidemment stériles, elles ne se reproduisent pas spontanément comme le font les graines et disparaissent de la mémoire immédiate de ceux mêmes qui les ont produites. Elles sont donc sans descendance et sans espoir de retour. Une biscotte égale mille miettes mais mille miettes ne font pas une biscotte.

                       Une facétie nocturne de mon imaginaire tourmenté vint ensuite accoler à mon inconscience innocente, deux termes bizarrement pacsés ensemble : le père et la biscotte ! (les cheminements théologiques ont de ces raccourcis !). Le Père la Biscotte. Cette appellation de conte à dormir debout devenait un nom de code : que me signifiait le Père à travers ce jeu de marionnettes sinon le rappel de tous ceux que mon parcours m’avait fait rencontrer ? Des pères franciscains, des père dominicains, de pères capucins, des pères blancs, noirs ou rouges (cette dernière coloration étant plutôt romaine), des pères missionnaires, des pères directeurs (de conscience), des pères abbés, des pères en paroisse ou en couvent (lieu préférentiel de leur reproduction), des pères supérieurs, des pères maîtres (des novices), un très saint Père, mais aussi les pères de la Patrie et ceux de l’Europe. Et pour clore la liste, un père Lachaise qui me faisait obstinément signe de venir l’asseoir à ses côtés. Des pères à la pelle, des nuées de pères, des pères autoproduits avec interdiction de faire des enfants ( !), des faux pères en quelque sorte mais désarçonnés (ou dé-garçonnés) face à ce titre sans contenu censé les définir, et des pères de famille (avec enfants ceux-là). De vrais hommes généreux, engagés dans un périple héroïque mais déguisés en pères dont on m’avait autrefois annoncé qu’il n‘y en avait qu’un et que personne ne devait usurper ce titre unique et intransmissible. « N’appelez personne votre Père sur la Terre, car vous n’en avez qu’un : le Père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler « Maîtres », car vous n’avez qu’un Maître : le Christ » ( Mt 23/ 9-1O). Mais qu’était donc devenu ce Père unique et jouant à cache cache avec ses fils supposés ? Une poussière de Père ?

                       Ainsi, la stupéfaction suivait de près le simple étonnement : cette moisson surabondante de pères aux mille visages aboutissait à l’estompage du Père Originel jusqu’à effacer quasi totalement son souvenir de nos mémoires filiales ? Cette dispersion de pères concurrents ne serait que l’émiettement du Père fondateur de la Dynastie Humaine sans lequel le Monde demeure observable mais inexplicable ? Le Père en miettes n’est plus un Père et le Monde est réduit à un formidable orphelinat livré à des descendants sans héritage, livrés à leur seul bon vouloir. Plus de souvenir mais plus non plus de désir ni de nécessité d’y pourvoir à nouveau. L’orphelin sait que son état n’a rien d’éphémère mais qu’il est irréversible.

                       Mais le seul bon vouloir devient alors arbitraire car avec l’émiettement du Père, disparaît en même temps la notion de Loi car c’est l’attribut essentiel de ce dernier que de dire la Loi, c’est-à-dire « d’apprendre à lire à ses descendants » selon l’étymologie du mot loi, issu du verbe « legere : lire ». Plus de Père pour nous apprendre à déchiffrer le monde, plus de Maître pour enseigner les premiers rudiments de prise de conscience. L’univers devient non seulement orphelin mais déstructuré et affranchi de tout Sens : chacun y fait sa propre loi selon des convictions arbitraires incontrôlées qui aboutissent aux déflagrations menaçantes devenues pain quotidien dans nos divers systèmes géopolitiques. Ce ne sont pas les remplacements de programmes les uns par les autres qui modifieront la logique de guerre mais bien, si c’est possible, la reconstitution du Père, non pas à partir des miettes heureusement impossibles à reconstituer, mais en partageant le Pain au lieu d’écraser des biscottes ! Ne faut-il pas entreprendre l’immense tâche de « dépaternaliser » tous les acteurs religieux de leurs droits dominants acquis illégitimement, pour en revenir à les « fraternaliser », côtoyant même la fraternité prônée par la République ? Mais de ce côté-là aussi, quel sens garde une fraternité citoyenne sans référence à un Père fondateur ? Encore un miroir aux alouettes ?

                       La pluie des « émiettés pastoraux » ne pourra d’elle-même reconstruire le Pain initial dont elle est issue. Ce ne sont pas les hommes qu’il faut écarter sans état d’âme mais leurs abus de pouvoirs. Il n’est pas question d’une nouvelle St Barthélémy, mais d’un nettoyage en règle de nos intelligences et de nos esprits qui, seuls, sont habilités à cette réforme « au nom du Père » mais aussi des fils Sains d’Esprit ! Les acteurs d’une fiction ont parfois du mal à se défaire de leurs costumes de scène une fois la représentation terminée, à cause des applaudissements qui y collent encore ! Nous devons savoir nous libérer des acteurs pour ne valoriser que les hommes qui en assumaient la fonction.

                       Car sans Père et sans Loi, comment vivre autrement que les « casseurs » que leur désespoir amène à se retourner contre le monde ambiant ? « Tuer le Père » selon Freud, reviendrait-il à le casser comme on casse une Biscotte avec le caractère d’un éparpillement définitif, donc désespérant, que cette attitude engendre ? Trop de pères tuent le Père ou du moins finissent par le rendre inaudible, inapprochable et pour finir indésirable. Quels croyants placent encore en haut du hit parade, un Père auquel est reconnu la splendeur de l’univers qui nous est offert dès notre venue au monde ? Ne faisons-nous pas trop facilement serment « d’orphelinat » par l’angoisse d’être évincés de la course à la nouvelle vision externaliste et transhumaniste de l’univers.

                       Dernier acte en cours : après l’émiettement de la biscotte, évacuation des déchets au bénéfice des oiseaux. Hitchcock nous a appris combien de ces innocentes créatures peuvent devenir des oiseaux de proie ! Le ciel recèlerait donc des volatiles destinés à faire disparaître les dernières traces d’un Père atomisé sous la masse de ses contrefaçons ? N’est-ce pas un des aspects de la Parabole de la semence dont une partie finit dans l’estomac des oiseaux du ciel ? (Marc 4/1 à 4) ? Le ciel (paradis en iranien) serait-il en partie squatté par des occupants indésirables, décidant d’avance qui serait sauvé et qui ne le serait pas ? Il s’agit des censeurs qui finissent par décider eux-mêmes des caractéristiques de l’ADN du Père originel et d’en faire des catéchismes indigestes. (Les tribunaux de l’Inquisition ne sont pas si loin dans l’Histoire..).

                       Ceux qui persistent et signent leur attachement et qui vouent leur recherche à la découverte du Père tel qu’en parlent l’Evangile et spécialement Jean dans ses méditations mais aussi dans l’Ancienne Alliance, participent de tout leur Etre à la Gloire du Monde et de ses habitants. C’est ce Père-là qui permet de Le discerner d’entre ses masques grimaçants et qui communique à ses adorateurs de tous bords la Filiation sans déclin.

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L’ANGLE ET LE COIN

            Une existence humaine est un espace ouvert traversé par des milliers de personnages comme autant de météorites sur un coin de terre, issus de mythes anciens, de la littérature, de l’Histoire récente ou passée. Personnages réels ou de romans, imaginaires ou historiques, héritage familial ou compagnons de route, tous laissent une trace en creux dans les strates de nos parcours. Ils peuvent à tour de rôle, se rappeler à notre bon souvenir selon les besoins du moment et délivrer soudain un message qu’on n’attendait plus.

            Pour un grand nombre d’entre les croyants, le personnage de Marie constitue encore une énigme, entre déesse et » Première Dame » de l’Eglise, dont le statut n’est toujours pas en place dans l’imaginaire de ses adorateurs contemporains. On l’a manipulé depuis des siècles depuis sa situation de départ assignée à la Pentecôte, jusqu’à une multiplication clonée en myriades de Notre Dame de ceci ou e cela selon le désir intarissable de chaque église locale de posséder des papiers d’identité de «  la Sainte Vierge » qui, presque tous se sont avérés de faux documents, étoffés par des apparitions souvent douteuses, des  « miracles » comme autant de friandises pour renforcer des adhésions sans réelles convictions. Il apparaît que la Femme la plus célèbre de la chrétienté se présente aujourd’hui comme une « Marie résiduelle » aux attributions restreintes par rapport à son Origine qui s’est obscurcie au long des siècles. Et ceci, quelles que soient les appellations dont on la gratifie qui s’apparentent plus à des médailles du Mérite qu’à des compétences réellement reconnues (Elisabeth Deux pourrait sans doute nous en toucher un mot…)

            La place de Marie lui est désignée ou plutôt reconnue au début des Actes des Apôtres, (Actes 1-12 à 14) au moment crucial où va débuter « l’Aventure Ecclésiale ». Les personnages principaux sont campés, chacun dans le rôle qu’on attend de lui : les Onze apôtres nominalement désignés et encore sur les rangs, quelques femmes dont Marie, seule nominée parmi elles, et des frères sans autre précision d’identité. Au centre, le groupe des hommes qu’on retrouve juste après avec la prise de pouvoir de Pierre. En périphérie de la salle, les femmes et les frères, ceux et celles qui ne font pas apparemment part égale avec le premier groupe. Mais le « centre » du lieu où ils se trouvent les Onze est-il nécessairement le plus fondamental ? Il y a les murs et les coins sans lesquels une Maison n’a aucune chance de se tenir debout. Voilà Marie remisée dans l’environnement des responsables et petit à petit mise dans un coin : au risque d’être » mise au coin » progressivement dans l’histoire dominée par les hommes : on ne lui réservera pas, en effet, la place Originelle au cœur des décisions ecclésiastiques, mais un strapontin confortable à la périphérie des cardinaux au pouvoir discrétionnaire : dévotion mariale mais non théologie mariale. Les jeux sont faits et les femmes à leur tour demeureront jusqu’à ce jour dans l’anonymat des pionnières du Nouveau Testament. Marie est «  mise au coin » comme un enfant autrefois puni, le nez tourné contre l’arête de deux murs. (On la retrouvera dans les coins de chapelles latérales, sur des coins de cheminée au domicile des particuliers, ou dans des coins de pèlerinages divers, certes fréquentés mais marginaux par rapport aux lieux stratégiques de l’Eglise comme les équipes sacerdotales par exemple ou en tant que pierres de touche au cœur des conciles par exemple). Je me souviens même de cette grand’mère qui, lorsqu’elle se jugeait trop peu exaucée dans ses prières, tournait la statuette de Lourdes le visage dans le coin du mur pour la punir ! Mise au coin des célébrations eucharistiques ou des grandes décisions pastorales, toutes soigneusement masculinisées. Marie, pourtant la mère de Jésus, semble ne pas avoir part à son ADN !

                       Mais le coin n’est pas l’angle : celui-ci marque l’ouverture de deux murs vers l’intérieur d’une pièce : il est totalement béant sur l’espace de la chambre : il voit tout, embrasse tout, enregistre tout. Le coin, pour sa part, clôt la fermeture de deux murs sur l’arête qui les réunit et les ferme sur eux-mêmes. Lorsqu’on met un enfant au coin, on le tourne vers ce lieu fermé d’où il ne peut rien saisir de ce qui se déroule autour de lui. Il est en quelque sorte »interdit » de participation à ce qui se passe alentour. Il ne peut s’intéresser à aucune décision ni projet. Marie, au Cénacle, est en position d’angle, de coin ouvert, s’opposant résolument à la ligne de jonction entre les murs dans laquelle on aimerait la maintenir, la circonscrire, l’avoir sous la main, sans échappatoire possible. Elle et toutes les femmes de son entourage, ni dénombrées ni identifiées, se trouvent en position d’angle ouvert, aux aguets et au courant de tout ce à quoi leur position leur permet d’accéder. L’angle, c’est le coin à l’envers. C’est à la fois le refus du coin et l’adhésion au spectacle du Vivant grâce à la vue sans restriction qu’il propose en tournant le dos à « l’angle mort » qu’est le coin. Comment les Apôtres peuvent-ils prétendre gérer les destinées de l‘Eglise sans écouter d’abord ce que les « observatrices des angles » ont à en dire ? Marie n’est pas seule de son espèce : elle demeure aujourd’hui encore, nimbée de tout »un conseil d’administration féminin » que l’Eglise refuse toujours de prendre en compte. Pour les femmes concernées par ce holdup up sur leurs droits, il n’est pas question de « prendre » le pouvoir mais de « reprendre » d’autorité ce qu’on leur a indument confisqué depuis vingt siècles ! C’est ainsi qu’elles participeront, chez les hommes d’église particulièrement, à la libération d’un pouvoir exorbitant, excroissance tumorale de l’humble responsabilité de pasteurs à l’image d’Abel le berger que Jésus leur avait confiée. On pourrait avancer que ce personnage constitue « l’Abel de qualité » d’un vrai pasteur !

            Paradoxalement, on peut dire que l’angle périphérique est une position centrale ou première, et non secondaire. (on pourrait faire un peu d’humour en retraduisant librement la fameuse phrase de l’Annonciation à Marie par Gabriel : » l’Angle du Seigneur annonça à Marie… »). De même, on pourrait insister en disant que Marie dispose d’une vision angulaire et non » coin-cée ». Marie et son staff, beaucoup plus fines mouches que l’Eglise ne le pense ? Marie qui dit non au coin pour s’ouvrir sur les angles?

            Lorsque je découvre aux termes de lectures audacieuses, que chaque personnage biblique est également en résonance intime de telle ou telle part de moi-même, signant ainsi ma parenté inaltérable avec l’Histoire du peuple d’Israël, les perspectives changent de camp. Comment me situer entre le coin et l’angle à l’appel des grands changements de ma vie, nécessitant peut-être des transgressions, des oppositions, ou même des positions conflictuelles avec les discours officiels ? Quelle position préférentielle je choisis dans des délibérations collectives, citoyennes, politiques ou religieuses ? Suis-je plus impressionné par le décorum des officiels que par la politique du bon sens des citoyens ou des croyants de base ? Ou bien la prudence me dicte-t-elle de rester dans mon coin ?

            Après tout, qui nous dit que Marie ne jouait pas aux quatre coins, mieux encore aux quatre angles au Cénacle, enrichissant à chaque fois sa connaissance de la situation?

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UNE VOYELLE VOUS MANQUE ET TOUT EST DÉPEUPLÉ.

            On fait des histoires interminables à partir d’un atome, d’une bactérie, d’une molécule, d’un virus, d’un boson même, bref de tous ces éléments invisibles, imprévisibles, qui peuvent modifier ou menacer la vie humaine d’un bouleversement sans précédent. La minuscule bouscule le super grand par sa puissance indécelable à l’œil nu. Ces métamorphoses sont si imperceptibles au sens commun qu’on ne sait pas trop s’ils se situent dans un univers réel mais inaccessible à l’œil nu déjà dans un espace virtuel. Si de plus, l’œil nu est fermé, les ténèbres totales envahissent notre espace vital. Il y a donc des changements imperceptibles qui demandent une grande vigilance de notre part en raison des modifications de grande ampleur qu’ils introduisent un beau jour dans nos ronrons satisfaits.

            La fête du 15 août met discrètement l’accent sur ce genre d’incident aux conséquences universelles. En dehors de quelques frissons genre chair de poule qu’évoque encore l’évocation d’un mot depuis longtemps empoussiéré dans nos bibliothèques mentales, l’Assomption puisqu’il s’agit d’elle, ne réserve-t-elle pas quelques secrets d’alcôve au coeur d’un couple mythique qu’on a trop tôt confiné dans les sphères légendaires et surannées ?

            Marie n’est pas un personnage farouche, ni l’occupante d’une « réserve » identique à celles qui abritent les tribus indiennes en voie d’extinction dans l’indifférence générale. On l’imagine à la maison, un œil sur ses mots fléchés, l’autre épluchant en détail le journal local, à l’affût des nouvelles du pays pas toujours réjouissantes. Un œil dedans, un œil dehors. Un mari bosseur, fiable et solidement conservateur, alors qu’elle milite en secret pour une « Palestine insoumise » ! Lui n’a de vénération que pour son héritage génétique et culturel, un culte démesuré pour les ancêtres dont il possède toute la succession en ligne directe sur un mur de leur chambre : comme un aide-mémoire qui résumerait à lui seul ses valeurs politiques et ses convictions religieuses : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Judas et ses frères « etc., et ainsi de suite pendant 42 générations ! La litanie s’achève par un blanc : « Eh bien Jo, tu attends encore quelqu’un ? » Marie, celui que nous allons faire ensemble pour qu’il perpétue cette liste glorieuse en droite ligne, sans la moindre déviation. » Transmission sans déroger d’un pas à ce qui s’est toujours fait, toujours passé de famille en famille….Joseph, je t’aime bien mais cesse de m’assommer chaque matin avec ton catéchisme invariablement répétitif sans l’ombre d’une changement : on n’est plus au temps de tes ancêtres et ta galerie de portraits a vécu : tu ne crois pas qu’il est temps de changer de disque ? » Joseph ferme le phono et boude dans son coin en attendant son heure.

            Marie, assommée par l’enclume des invariants de son homme, l’a pourtant choisi en connaissance de cause : « homme, sweet homme ! ». Mais pour elle, il est hors de question que leur fils commun reproduise à l’identique les péripéties qui ont constitué l’ascendance familiale. Celle-ci comporte des génies, certes, mais véhicule aussi tant de guerres de conquêtes ou d’intérêts, de trahisons, de compromissions, de recours à la violence ou l’injustice : même David, l’ancêtre prestigieux, a vu son règne entaché d’arrangements scabreux et même scandaleux mettant en balance la crédibilité de Yahvé aux yeux de ses contemporains.

            Marie pense carrément à une thérapie génique. Mais Joseph n’envisage sûrement pas une opération. Comment s’y prendre pour introduire dans un enchaînement si imperméable au changement, l’élément modificateur d’ouverture au présent ? Joseph homme du passé ? Ca ne passe pas. Pour l’instant, c’est lui le plus récent de la tribu, forcément puisqu’il est le dernier : mais Marie se questionne sur une pédagogie nouvelle : comment faire pour qu’un dernier soit également premier ? Elle pense même à élever son fils dans cette nouvelle perspective. «  Je ne peux pas changer mon homme, se dit Marie, c’est à moi d’oser bouger si je souhaite qu’il en fasse autant. L’avenir du gamin et peut-être de bien d’autres en dépend ».

            Le génie d’une femme fait le reste. Marie sait bien à quel degré de fécondité réciproque la Vie et l’Ecriture sont liées. Celle-ci contient dans son tracé même la totalité de l’Histoire du peuple : si elle met la main à l’Ecriture, elle touche simultanément à l’Histoire et donc à elle-même qui en fait intégralement partie. Changeant quelque chose à l’écrit, elle modifie par le fait même quelque chose d’essentiel en elle, car c’est bien son histoire qui est intégrée à l’Histoire générale de son peuple. C’est un peu comme si elle osait modifier quelque détail dans un testament qu’elle n’a pas rédigé elle-même. L’Ecriture lui octroie cette possibilité. Pour éviter que l’Ecriture ne devienne pétrifiée, inamovible, il est autorisé d’y introduire soi-même les voyelles afin que le canevas de base constitué des seules consonnes, prenne sens, saveur, couleur à partir des intervention de chacun. Quelle puissance insoupçonnée à notre disposition dans le maniement des lettres ! Il y a donc dans celles-ci beaucoup plus qu’un simple tracé sur un support matériel, mais de la nitroglycérine insoupçonnée.

            Et Marie, initialement assommée par l’enclume génétique et littérale de son époux, se place en face de ce mot, plume à la main, pour extraire délicatement une voyelle qui ne lui convient pas : le « o » et le remplace sans bruit (chouette : Jo est à l’atelier, elle entend tourner sa perceuse) par un « u ». Assommée devient ainsi « assumée » aussi instantanément que la citrouille de Cendrillon se transforme en carrosse. Et tant pis si, au passage, une consonne (un m) devient muette : on n’est pas à un détail près quand on transgresse ! D’assommée, Marie passe à assumée, terme qui a donné le fameux mot qui nous révulse parfois : assomption. Ce dernier vocable est issu du verbe assumer. Le terme : voyelle étant en rapport étymologique avec : vocal, le changement qui s’opère semble donner au mot « nouveau-né » une voix neuve : passe de l’assommoir à l’assomption. Ce peut être une expression de portée thérapeutique évidente.

            Voilà le changement amorcé puisque « assomption » ne veut pas dire enlevée au ciel mais le fait de quelqu’un qui « assume » ses conditions d’existence. Marie ne recule même pas devant un Joseph qui se propose de la dénoncer aux autorités comme agitatrice dangereuse contestant la pédagogie traditionnelle d’Israël. Elle s’interpose dans un système éducatif entièrement axé sur la Loi rigoureuse, en y substituant une dose massive d’intuition établie par la Bien Aimance. Il est vrai qu’elle n’y va pas de main morte en exposant le futur cv du fils qu’elle geste déjà dans son esprit : il sera grand, appelé Fils du très Haut, et occupera le trône de David : rien de moins. De quoi mettre le feu aux poudres des responsables politiques et religieux, mais aussi dans l’armée des oppresseurs du moment et de le faire condamner deux fois à la peine capitale : une fois par les Juifs pour oser se dire Fils de Dieu et une seconde fois par les Romains pour oser relancer la puissance de la royauté dans un pays d’occupation. Marie n’en a cure : elle assume. Tout. Même lorsque les arguments des officiels semblent lui donner raison au moment « crucial ». Elle sent, d ‘une intuition fondée sur l’observation du terrain et puisée au cœur de la transcendance qui l’habite, qu’elle a ouvert une porte cochère pour la suite des siècles, à ceux qui désirent vivre une autre existence que celle dont nous régalent les responsables oublieux de l’Homme. C’est elle qui inaugure la voie Bien Aimante, celle qui va dans le bon sens avec l’Homme au centre et Dieu aux sources.

            L’Assomption n’est donc pas un « transport » magique au ciel, forgeant ainsi la légende d’une Marie superstar, mais une existence assumée dès son début par une femme gravissant elle-même les sommets les plus incroyables par fidélité à la motivation initiale qui l’a saisie en lui soufflant : « Vas y, tu as tout ce qu’il te faut,  tu es parée de fond en comble pour assumer les conséquences de ton choix : chapeau, foi de Gabriel ! »

            Elle a laissé à son homme le temps qui lui était nécessaire pour acquiescer pleinement à son projet fou dont elle était « déjà pleine » dans son esprit, jusqu’au moment où il a pu de lui-même l’inviter chez lui pour lui « donner pleinement corps » pour la plus grande chance de ceux et celles qui se nourrissent de cette relecture. Le malheur est que l’Eglise s’est vite démarquée de cette perspective. Au lieu de faire de ces considérations, le fondement d’une véritable « théologie mariale, c’est-à-dire une voie vers la connaissance divine, elle l’a pudiquement replacée par une « dévotion mariale », un masque souvent carnavalesque dissimulant la véritable signification du visage qu’elle camoufle. Or, infliger un tel camouflet à une messagère de l’espace divin, n’est-ce pas dès le départ compromettre une large part de sa portée éducative dans nos vies ?

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ON A RETROUVÉ LE JARDIN D’EDEN…

           Depuis le temps qu’on le cherchait ! Et que des détectives bien intentionnés envoyaient des équipes à la découverte d’une Arche de Noé plus grande que le Queen Elisabeth 2, ou du Buisson ardent, vous savez celui qui s’allumait tout seul et sans briquet (j’allais dire :sot briquet !) sous les yeux d’un Moïse interloqué ! Tous ces braves gens frappés de berlue comme dit le passage biblique, qui s’acharnent à octroyer une existence réelle à des mythes qui ne sont que des tentatives d’explication de ce qui leur arrive au long des siècles de leur Histoire. Sans parler d’un Samson capable d’abattre d’un seul coup St Pierre de Rome à la seule vigueur de ses biceps ou encore d’un magicien que ses performances sportives autorisent à marcher sur l’eau sans planche à voile ! Qui, où et comment a-t-on pu enfin identifier ce fameux verger où se trouvent rassemblés tous les arbres fruitiers de l’Univers selon la Genèse ?

            Tout en admirant et respectant le monde animal, cessons d’être bêtes pour autant. Sachons traduire en langage intelligent ce qui est écrit en paraboles introductrices de Sens. Le verbe traduire vient du latin : »trans-ducere » : conduire à travers, (ducere, conduire, a donné entre autres : déduire, réduire, conduire). C’est l’idée de » transférer d’un lieu à un autre » puis » faire passer d’une langue dans une autre » qui préside au sens général de transition d’une signification à une autre. La traduction est une disposition de l’esprit actif qui ne cesse d’assurer des liaisons de sens entre les mots et le réel, entre l’Histoire et sa compréhension. Ce n’est pas parce qu’un livre décrit précisément l’Arche-Zoo de Noé que celle-ci a existé en vrai. Elle est le produit d’un questionnement sur la Vie grâce à l’imaginaire et à l’intuition de ceux qui y réfléchissent. Dans le mot traduction, on pressent une fonction de guidage, de coaching invitant des visiteurs d’un site à ouvrir leur regard au delà de ce qu’ils en perçoivent matériellement. Ceci n’est pas du ressort des bêtes que nous aimons pourtant.

            Et le Jardin alors ? Faut-il poser la question : existe-t-il vraiment ou plutôt : comment existe-t-il ? Le texte de la Genèse précise que le Jardin constituait un espace donné dans lequel l’homme a été placé pour le garder et le cultiver. (Gen 2/15). Autrement dit, le Jardin originel est un espace vierge dont l’existence réelle va dépendre de son jardinier exploitant. Sans cette condition sine qua non, l’immense capacité à vivre du monde ne se réduit progressivement qu’à une friche inhabitable. Qui nous interdit de penser que l’Humanité à ses débuts ( Adam et Eve) frappés d’admiration et de passion pour cette offre gratuite qui leur est proposée d’un Univers à bâtir de toutes pièces, ne vont pas s’en séparer pour travailler à sa dissémination et à l’implantation de toutes ses essences nourricières ? Afin de ne pas garder pour eux seuls le privilège d’un parc privé entouré de murs, ils se veulent fondateurs de parcs publics, d’espaces verts, de cultures collectives voire communautaires qui transformeront la traversée de quarante ans d’errance désertique en Terre promise et permise à une exploitation légitime.

            C’est à ce carrefour crucial que le Jardin originel se redécouvre à l’incrédulité de l’explorateur : ce Jardin n’existe et ne s’exhume de l’oubli que là où on le cultive soi-même. Cette évidence a frappé ma conviction à la façon aveuglante dont un Paul a été mis en face de ses errances de chercheur et de l’urgence à en modifier le cours. C’est à vous, multiples groupes de recherche et de partage autour de la filiation et de la Bien-Aimance que je le dois : avec vous tous, j’étais déjà dans le Jardin et je ne le savais pas. Cette fraternité à laquelle nous avons tous œuvrés de compagnie, a produit de tels fruits dont le goût « bio » guérit nos sens, nos cœurs et nos intelligences, que j’ai compris que là poussaient les arbres fruitiers de la Genèse. Les groupes humains de cette qualité sont les espaces verts plantés dans la ville à laquelle ils assurent une qualité de vie incomparable. Que seraient nos villes sans leurs espaces verts qui sont également des « espaces vers.. » Vers quoi ? Vers des issues pour en sortir et à notre tour, aller planter ailleurs, comme nos ancêtres, dans des espaces encore en friche et Dieu sait s’ils sont nombreux et terribles à la surface de notre planète. Pas bêtes, Adam et Eve !

            Sans doute, la présentation de ce sésame fera mouche au comité d’accueil chargé d’examiner les entrées au Jardin éternel : » J’étais simple jardinier sur la terre et je n’ai pas eu le temps de me laver les mains avant d’arriver chez vous ».

            Chacun de vos groupes rencontrés sur la durée et dans une perspective de « Croix Sens » est une petite merveille implantée comme un jardinet, un potager nourrissant, un jardin public arboré, un parc populaire fleuron d’une municipalité écologiste, pourquoi pas un vaste golfe proposant nonchalamment sa disponibilité verte à qui désire s’y reposer. Jardins français, anglais, belges ou suisses, le Jardin d’Origine a fait des petits sans complexes. Peut-être même certains d’entre nous ne sont-ils qu’une rangée d’arbres au bord d’une artère de Bruxelles, Messancy, Ciney, de Muraz ou de Lyon, de Nancy, Champenoux, Bayon, de Seynod ou encore de Paris. Mais de quel défi esthétique face au béton ne sont-ils pas alors témoins, plantés à cette place privilégiée ? Au cœur de la ville. C’est là la véritable place d’un espace vert et non à l’intérieur d’un édifice religieux ou d’un catalogue du Club Med…C’est au cœur des regroupements humains au cœur desquels la présence de la transcendance pose question, que s’ouvrent des espaces où les amateurs de Bien Aimance sont appelés à planter leurs tentes. Cette dernière n’est pas un « abri de Jardin » mais une entreprise « bio-spirituelle » au contraire d’une assemblée de « petits catho secs » réunis dans un salon de « thé au logis » !

            Seule précaution à envisager : ne pas faire de ces cultures précieuses des « réserves » au visage humaniste, séduisantes mais limitées et closes sur elles-mêmes quelles que soient leur dimension. Le Jardin de « nos premiers parents » était béant sur la suite à donner à ce qui était pour eux « une initiation à la culture spirituelle » » mais qui exigeait une suite à donner pour humaniser la suite des siècles à venir. Il était donc recommandé d’en sortir pour lui offrir toute sa dimension exploratoire et en transmettre les semences, seul antidote à l’ivraie qui menace de tout envahir. Nos groupes peuvent être tentés par la culture de bonzaïs, soignés avec zèle mais dépouillés de grandeur. Entrer dans le Jardin mais n’en point sortir, c’est choisir de demeurer auprès du Tombeau final qui, lui aussi, est construit dans le Jardin mais qui ne le quitte pas d’une semelle. Ce rendez-vous suffit à nombre de croyants qui se révèlent bons pèlerins mais piètres jardiniers.

            Il est vain de vouloir, comme on le dit, replanter la campagne dans les villes, mais il est plus pédagogique d’en redonner le goût par des micro réalisations municipales souvent très séduisantes. Car c’est bien dans la terre que les arbres sont appelés à fructifier. Ces micro- réalisations sont à notre portée et personne d’autre ne pourra les promouvoir à notre place.

            Ma reconnaissance ne peut qu’être sans limites pour vous tous, frères et sœurs de tant d’expéditions spirituelles, pour m’avoir et nous avoir réservé une place dans vos diverses versions du Jardin d’Eden où le parfum de la divinité émane de tous vos arbres à la fois. De leurs fruits et de leurs parfums, nourrissons-nous et enivrons-nous selon les recommandations du Cantique des cantiques.

            Une dernière remarque concernant la diversité des Jardins dont parle l’Ecriture : Celui des Origines, le Jardin du Cantique, celui de la Résurrection, tous porteurs d’une dynamique de créativité, de fraîcheur, d’enthousiasme. Comment se fait-il qu’un autre lieu de ce type soit celui où beaucoup aiment se retrouver pour s’y nourrir de la trahison, de la crainte, des coups, de la mort prochaine : le Jardin de Gethsémani ? Un jardin sur lequel Jésus n’est jamais revenu, une fois traversée l’épreuve finale de sa vie ? Pourquoi se focaliser une fois de plus sur ce lieu de passage éphémère et enténébré ? Ne serions-nous pas devenus, à la longue, de lourds maniaques de la Croix, de la Passion, de la Souffrance portées aux nues ? Ce n’est pas un Christ lacéré, déchiré, non présentable qui s’est élevé dans les nues de l’Ascension, mais un Vivant tel qu’aucune de ses cellules ne manquait à l’appel. Non que nous soyons des révisionnistes poussés à nier des faits historiques avérés, mais de là à les transformer en litanies répétitives dans nos assemblées de soi-disant ressuscités, comment s’étonner qu’ils imprègnent de défaitisme les mentalités depuis des siècles de retours sur images négatives ?

            Un peu d’humour aiderait peut-être à relativiser le poids de plomb qui empêche les tombeaux de s’ouvrir : au lieu de lire « Gethsémani », ne pourrait-on pas céder de temps en temps à une petite voix espiègle nous invitant à lire : » Jette ces manies » ?

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HUM…HUM…

Qui tousse ainsi dans sa barbe laissant pressentir une interrogation, une incertitude, un doute ou même un désaccord secret ? Une toux sèche, répétitive, une coqueluche peut-être ? C’est le dictionnaire du « Grand Robert » qui s’enrhume ! Humide, humus, humain, humiliation, humour, humer, in-humer, ex-humer, inhumain (le dernier petit verre de r’hum du condamné ?) hum ! C’est une véritable » quinte de tout » qui s’empare de certaines de ses pages à y regarder de près !

            Humus est une racine à rhizomes dont on ne peut pas se défaire et qui véhicule un sens global par toutes ses radicelles. Le terme humain est ainsi défini : » Au niveau le plus ancien, où homo serait lié à humus par l’idée de « terrestre », un rapport formel entre homo et humanus, est plus que vraisemblable. » C’est ainsi que, grâce à ce rapport à une même terre, le terme humus entre dans une parenté avec nous-mêmes qui vivons d’elle et sur elle : la Terre.

            L’Humanité a partie immédiatement liée avec la Terre, celle-ci n’étant que son fidèle reflet dans le miroir que notre condition d’humains lui présente. Elles sont indissociables l’une de l’autre, incompréhensibles l’une sans l’autre, sans être interchangeables pour autant mais plutôt jumelles l’une de l’autre. Depuis la lecture du premier chapitre de la Genèse, cette clef de lecture concernant notre Histoire nous était déjà abondamment fournie. Lorsque les auteurs bibliques parlent de (T)erre, c’est essentiellement de l’Humanité qu’il s’agit et non de la (te)rre géologique ou du territoire politique du peuple d’Israël. Ce qui est en jeu, c’est l’Aventure d’une espèce vivante à la découverte tâtonnante d’elle-même jusqu’à nos jours inclus. (rien à voir avec une hypothèse facétieuse de l’apparition des  « P’hommes de terre.. ! »

            On peut en conclure que la Terre, l’Humus historique de l’espèce, ne désigne qu’un retour puissant à ce que nos existences ont de plus humain, de plus riche, de plus fécond pour en dégager la beauté la plus séduisante dont l’exploitation repose entre nos mains. Le « mot-parent » qui lui est attaché est celui « d’in-humation » : renvoyer quelqu’un à sa propre Terre, non pour l’y enterrer mais pour l’en faire germer et grandir. Inhumer est un acte de profonde création qui consiste à habiter pleinement son histoire personnelle, à s’y enfouir en quelque sorte, jusqu’à ce qu’en émergent les fruits attendus : cette seconde phase est appelée « ex-humation » c’est-à-dire une sortie de terre comme une tige de blé sort de son sillon sans le quitter pour autant , pour que s’épanouisse l’épi hors de terre.

            Nous confondons une fois de plus des termes tels des illettrés qui se contenteraient d’écrire phonétiquement sans se soucier de l’incohérence du résultat. Il s’agit ici des vocables « inhumation » et « enterrement ». Ce dernier terme se distingue du précédent par le fait que d’un enterrement, on n’attend aucune réémergence au grand jour, aucun feu follet au ras du sol, aucune repousse spontanée de quoi que ce soit. C’est ce qui rend les cérémonies religieuses de deuil si désolantes et si mornes parfois car on y célèbre des adieux sans retour malgré de vagues affirmations de résurrection auxquelles n’adhèrent réellement que de rares croyants « doctrinalement conformes » au discours officiel. L’enterrement ne concerne que le support biologique, le corps de chair, désormais vide de son habitant, et devenu inapte à exprimer le moindre souffle de vie. D’où son enfouissement en terre, c’est-à-dire dans le lieu désormais clos où tout parcours humain trouve son aboutissement.

            Il y a heureusement de magnifiques exceptions que l’on devrait regrouper sous le mot « in-humation » étant donné sa signification de retour à l’Humain. Qu’est-ce à dire : retour à l’Humain ? C’est retourner quelqu’un vers la Terre d’où il vient sans confondre celle-ci avec le cimetière fatal. Cette Terre est représentée aux obsèques par l’assemblée qui se trouve réunie à cette occasion. C’est de l’ensemble de cet environnement humain que provient le défunt, celui qui a cessé d’y « exercer une fonction » (dé-funt provenant du terme dé-fonctionner). Mais l’être ne se réduit pas à une simple fonction : c’est un vivant qui s’est établi dans une portion d’humanité pour y dérouler son intense cursus vital. Il y a vécu, il s’est senti porté, accompagné, estimé, aimé par la connexion de multiples réseaux : famille, milieu professionnel, amis, connaissances. Il a aussi apporté son quota de participation créatrice, relationnelle, peut-être scientifique, artistique ou spirituelle, contribuant ainsi à la promotion de sa communauté d’enracinement. Certains s’y sont fait un nom, une réputation, une célébrité. In-humer quelqu’un, c’est le reconnaître avec éclat comme part essentielle et irremplaçable d’une portion d’Humanité. Cette dernière ne peut donc l’oublier. Elle lui ouvre son espace de Mémoire au moment de l’acte final de sa disparition, l’enveloppant de sa reconnaissance, lui décernant le titre d’acteur majeur dans ce vers quoi elle a pu s’élever grâce à sa présence. C’est dans ce tissu vivant que le défunt a désormais sa place et non dans un cimetière ou un colombarium. Nos morts ne sont plus là où l’étroitesse de notre vision sans transcendance leur assigne malheureusement une place définitive de « dormeurs » selon l’origine du mot cimetière, à l’écart des vivants mais ils sont immergés dans l’Humus puissant qui continue sa fonction vivifiante au delà de leur sortie de route. L’Histoire du grain qui laisse exploser son enveloppe externe pour étendre son impulsion de croissance à l’humus qui le contient désormais confirme puissamment cette conception.

            C’est en particulier le sort des « grands hommes » ou des célébrités dont l’exceptionnalité de la vie agit comme une référence ralliant beaucoup de suffrages longtemps encore après qu’ils se soient éclipsés de la scène publique. Artistes, auteurs, écrivains, philosophes, inventeurs, spirituels, politiciens etc, tous ont droit au seul hommage reconnu pour avoir existé en tant qu’Homme uniquement. Appartenir à l’Humanité est amplement suffisant pour que celle-ci se souvienne de vous, le fasse savoir et vous assure la transmission ultérieure de ce que votre existence a eu de fécond. Les biographies, les récits de vie, ne sont pas autre chose que la codification solennelle de la face unique et « in-occidable » de chaque vivant dont l’Histoire conserve, »inhume  en elle » la contribution exceptionnelle à la création du monde. Une image peut évoquer cette consécration inédite : celle du Panthéon qui, loin de la fonction crématoire réservée aux cadavres, exerce celle de » conservatoire » ou « d’in-humatoire » des visages les plus talentueux de chaque membre de l’Humanité. On pourrait presque parler d’une « canonisation laïque » sœur de lait de l’intronisation à l’Académie française ou encore du couronnement par le prix Nobel de tant de merveilleux contributeurs à notre Bien Vivre.

            C’est à partir de cette in-humation dans le tissu vivant de l’Aventure humaine en gestation que commence l’intronisation de » l’impétrant » dans la légende. Car il y a bien plusieurs formes de vie pour ceux que la Vie a entraînés dans sa course folle. D’une part, l’enracinement dans le réel concret d’un parcours quotidien, laborieux, fait d’une multiplicité d’expériences assumées sur le terrain : l’Histoire Terrestre. Ce peut n’être qu’une mémoire de papier, de bibliothèque, voire de rapport d’autopsie destinée à ne plus faire de vagues. D’autre part, l’immersion dans la Légende, c’est-à-dire dans la façon dont nos contemporains se souviennent du disparu et « relisent » le sens de son itinéraire : la Mémoire et la Transcendance qui en transmettent la substance par conviction. Selon l’étymologie du mot légende, issu du verbe : legere= lire en latin, la légende signifie exactement « la façon dont on doit lire », une sorte de pédagogie post mortem des empreintes ineffaçables dont l’époque a été marquée par le passage d’un de ses membres. (Il y a dans le ciel une immense Mémoire qui se souvient pour nous de tous nos jours d’été). Serions-nous donc des êtres légendaires ? Les légendes appartiennent-elles seulement au monde virtuel de l’imaginaire ou sont-elles déjà mystérieusement l’ombre projetée d’une autre dimension d’une Vie plus durable que nous avons placardisée dans les oubliettes de nos origines au point que la Lumière n’y entre plus ? Ne dit-on pas de quelque chose qui résiste au temps qu’il a la vie dure ? Ou durable ?

            C’est la raison pour laquelle toutes les formes d’exclusion dégradante hors de quelque communauté humaine que ce soit, proférées par n’importe quelle autorité personnelle ou collective, politique ou religieuse, appartiennent à la catégorie des crimes contre l’Humanité. Elles doivent être proscrites sans condition préalable de nos cœurs et de nos mœurs trop acclimatés depuis des millénaires aux procédures de « rejet de ceux qui gênent ». Condamnations ignominieuses, peine de mort, génocides, guerres de conquête, exils de populations par migrations forcées, marginalisations variées, excommunications déshonorantes pour ceux qui en sont frappés et pour ceux qui les prononcent, devraient appartenir désormais à un arsenal hideux et démodé d’interventions où la fraternité est quotidiennement mise à mal. Comment peut-on se permettre d’abattre pour le compte un « rouage » aussi fondamental et indispensable à la gloire de la féerie humaine ? Qui sommes-nous gifler en face à Celui qui, dès l’origine, a murmuré à l’oreille de celui que nous condamnons : « Tu es aimé d’un amour inconditionnel et hors de portée de la corruption finale » ? C’est ainsi que s’exprimait devant chaque condamné à mort, dans le film: « Nous sommes tous des assassins » de André Cayatte », un jeune aumônier de prison tout nouvellement promu à cette mission : » « Mon frère, tu es immortel et irremplaçable ».

            Il existe aussi hélas, des déviations de terme qui aboutissent à des perversions de sens comme le terme «  humiliation » par exemple, issu du même vocable : humus. L’humiliation désigne, non pas une plantation en terre dans l‘attente d’une récolte, mais d’un enfouissement sous la couche d’humus et non pas dessus. C’est précisément du ressort de l’enterrement en profondeur dont on sait que l’enveloppe corporelle ne ressortira pas. Le plus grave, bien entendu, c’est de vouloir « enterrer » une personne de son vivant et non seulement son corps. L’expression : » il ne fait que m’enfoncer » dénonce bien le fait de dénier à quelqu’un toute valeur créatrice issue de son histoire personnelle, l’empêcher de se faire une place dans la société, l’anéantir en quelque sorte. Crime contre la Bien-Aimance, bien évidemment.

            Heureusement, il nous reste l’Humour, proche de la même souche humus, qui se présente comme l’excipient indispensable d’une humidification anti sécheresse de nos propensions trop rapides à enterrer les gens sans les avoir inhumés auparavant…

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BIENTÔT LA RÉCOLTE DES FRUITS ? (deuxième partie) **

            Qu’est-ce qu’un objet transitionnel ? C’est un objet souvent matériel, repérable, manipulable, sécurisant, qui vient s’interposer dans une relation quasi fusionnelle entre deux êtres. Sa fonction consiste à « pallier » la sécurité liée à la mère, par exemple, lorsqu’elle est amenée à créer progressivement une distance de plus en plus marquée avec son jeune enfant. Cet éloignement engendre insécurité et angoisse chez celui-ci, contraint à une forme de solitude qui l’épargnait jusque là. Il y a modification de l’alimentation fournie par la mère : physique, affective, stimulante, verbale. Le côté d’absence de parole est particulièrement sensible dans ce cas de figure, car il fait peser à son tour sur l’enfant un risque de mutisme ou de perturbation relationnelle. L’objet transitionnel, c’est le fameux » doudou » du jeune enfant, imprégné de l’odeur de la mère et censé lui substituer une sorte de « prothèse maternelle » pour relativiser la douloureuse prise de distance entre mère et fils et inviter ce dernier au processus de l’indépendance affective vécue jusqu’ici comme une passivité bienfaisante.

            Dans le cas de l’hostie, le même système se met en place entre l’absence permanente d’un Dieu duquel nous sommes invités à tout attendre et tout obtenir, telle une mère nourricière, et un « objet », un donné matérialisé qu’on va jusqu’à appeler « présence réelle » pour pallier en réalité cette « absence réelle » du désir.

            On transfère la réalité du Dieu invisible et intouchable dans le petit morceau de réel sans véritable contenu que constitue une « rondelle de pain azyme (dictionnaire) » Celle-ci est revêtue, habillée de toutes les caractéristiques spirituelles du divin : invisibilité, immortalité, incorruptibilité. Et devient ainsi la « suppléante » de Dieu en personne. C’est en tout cas ce à quoi s’accroche la foi des fidèles. Une fois encore, il y a confusion, voire inversion, entre le signe : l’hostie et la réalité qu’elle indique :l’Eucharistie. On pourrait poser la question : l’hostie, doudou de Dieu ? Celui-ci justement, tarde à revenir se manifester en pied à nos regards souvent desséchés à force d’attendre depuis des siècles, ce qui fait douter de son existence auprès de nombreux croyants. S’opère alors le transfert total du réel sur le signe : on finit par adorer le pain azyme en reléguant aux oubliettes le seul Vivant, on fait le choix du comestible sur le nourrissant.

            Il en est de même de la référence aux saints, immatérielle, insaisissable in live, mais qu’une théologie a rendue incontournable à la dévotion populaire et dont les nombreuses statues et autres représentations jouent le rôle d’objets transitionnels. Le risque est évidemment de tomber dans une matérialisation du sacré, qu’on a largement connue lorsque le contact physique avec l’hostie était prohibée pour les profanes, ainsi qu’avec tous les objets du culte : ciboires, calices et autres ostensoirs. La perte de l’essentiel conduit à l’enlisement d’une foi épurée, dans ses expressions les plus abjectes : commercialisation de tout ce qui touche à la « religion » : boutiques de souvenirs aux lieux de pèlerinage, indulgences, etc., aujourd’hui toujours en exploitation confortable et tolérée béatement par les autorités.

            La seconde destinée de l’hostie est de se voir ex-posée, c’est-à-dire »posée hors de  portée » de ses adorateurs, exhaussée avec ostentation (du mot ostensoir), à la contemplation des fidèles. L’objet transitionnel qu’elle constitue et qui devrait être seulement l’antichambre de l’Eucharistie, devient en réalité la pièce de réception où l’on s’attarde en attendant d’être introduit chez le Maître de maison, et que l’on quitte sans l’avoir rencontré autrement que par ses intermédiaires. L’hostie est donc montrée hors du lieu où elle devrait s’enfouir : le cœur des croyants. C’est là son véritable ostensoir et même reposoir.

            Cela ne signifie pas que cette exposition publique soit déplacée ou hors de propos, mais qu’elle ne doit pas oublier son véritable objectif : entretenir la Mémoire vive de ce que les yeux ne voient pas mais de ce que le cœur a éprouvé et qu’il doit continuer à approfondir dans la vie au jour le jour. Il n’y a pas à craindre une comptabilité future et scrupuleuse des heures que les croyants auront passées devant le St Sacrement exposé, mais une validation du temps passé auprès des frères et sœurs dont ils auront été appelés à partager le destin. L’hostie n’a aucune vocation à être adorée car Dieu ne s’y trouve pas plus que dans un autre espace matériel aménagé pour l’y conserver, tel nos tabernacles. Elle se veut une rampe d’accès qu’il faut quitter immédiatement après y avoir posé le pied, pour marcher vers ce qu’elle nous « montre du doigt » si l’on peut dire : l’Eucharistie vécue à plein corps et à plein cœur par les membres de l’assemblée dans leur quotidien. L’hostie n’est que le rappel virtuel de la filiation divine inscrite au cœur de l’homme dès son origine.

            Mais si elle n’est qu’un objet transitionnel, elle n‘est donc qu’un jalon provisoire comme le doudou du bébé ne lui est nécessaire qu’à cause de son immaturité affective. Elle est donc destinée à disparaître de la pratique du croyant au fur et à mesure de son accession à un seuil d’autonomie suffisant dans la pratique de sa foi. Lorsque ce seuil est atteint selon le cheminement et le rythme de chacun, celui-ci peut s’en affranchir avec bonheur. Car il ne s’agit pas de se soumettre à un ritualisme établi pour être qualifié de bon croyant, mais d’obéir aux mouvements intérieurs d’une spiritualité devenue adulte. Cette exigence inhérente à la liberté personnelle s’accommode mal des habitudes séculaires d’une religion trop codifiée. A chacun d’ouvrir ses portes et de débloquer ses verrous. Cette disposition essentiellement pédagogique et non doctrinale permet à chacun de célébrer sa foi selon les étapes où elle en est de sa croissance sans que personne y trouve à redire.

            Une autre métaphore se glisse subrepticement entre les propos précédents. Celle de l’Elysée où un citoyen lambda vient d’être invité par le président. Il se présente à l’heure dite à l’entrée où le poste de surveillance lui énonce les consignes nécessaires à respecter. Le citoyen se voit donc bien introduit dans l’enceinte mais il n’est en fait qu’à la porterie : il y a loin de la porterie au salon privé où il est attendu. Il est bien »à » l’Elysée mais pas encore « dans « l’Elysée. L’hostie est à la porterie ce que l’Eucharistie est au salon de réception : le président ne siège pas à la conciergerie, mais dans l’intérieur de son palais. Depuis l’entrée jusqu’à la rencontre privée, il s’agit bien du même palais avec cependant des étapes pour y gagner les appartements d’habitation. Hostie et Eucharistie sont bien interdépendantes, uniquement distantes par un chemin d’accès de l‘une à l‘autre.

            Puisqu’on est à l’Elysée, demeurons-y quelques minutes encore. Un nouveau président de la République vient d’y être installé. La question se pose de savoir si l’on vote pour sa personne ou pour le programme qu’il propose. La légitimité lui est acquise de par le vote des citoyens mais la justification de sa présence à ce poste lui vient d’un programme apte à faire progresser la nation dans son ensemble. La parabole ferait du président une hostie et de la nation une « eucharistie » politique en formation. Pas de président sans une nation, pas d’hostie sans eucharistie. Il ne faut pas prendre l‘une pour l’autre. Une autre question surgit : nation ou assemblée de croyants ont-elles le désir et les moyens de leur ambition ? Réduit à lui-même seul fait du président un parasite social sans contenu. L’hostie limitée à elle seule en fait un objet vide exposé et exilé hors de portée de la communauté. Faire vivre Jésus-Christ aujourd’hui, c’est se rendre acteurs de son « programme » (sa Parole) et non pas attendre béatement que sa personne redescende du ciel comme l’espéraient, la bouche ouverte, les disciples à l’Ascension. Lui montant et eux guettant sa descente, se croisaient dans l’ascenseur sans grand espoir de se retrouver. Son programme consistait à leur conseiller des « eucharisties montantes » : car la marque de ces appareils spéciaux ne permettent que des montées sans redescentes. C’est la raison pour laquelle le message qui leur parvient à la relecture de l’événement se précise en » Ce même Jésus que vous avez vu s’en aller « reviendra » de la même manière que vous l’avez vu s’en aller ». Reviendra et non pas « redescendra ». Mais ceci est une autre histoire…Revenir en montant, c’est favoriser une remontée du fond du doute, peut-être du désespoir, monter le niveau de la transcendance sans se laisser capturer par le clinquant inutile des objets de culte, hausser le ton, le son, mettre la barre plus haut que dans une religion encore proche des célébrations païennes. « Heureux ceux qui ont au cœur des chemins qui montent » dit le psaume, non pas des sentiers qui descendent. Reprendre de la hauteur là où on l’a abandonnée en route sous l’infection virale de l’indignité congénitale proclamée à toutes les messes (mais pas dans les véritables eucharisties). Fuyez les messes, regroupez-vous en des eucharisties vivifiantes.

            L’hostie n’est donc pas l’Eucharistie mais en excite la présence potentielle en chacun. Un peu comme un avant-projet : celui-ci est le projet »en dossier » mais pas encore « endossé ». En adorant l ‘hostie, on ne fait que vénérer le dossier ! En route, beaucoup préfèrent s’arrêter à une étape, un peu comme des pèlerins de Compostelle accomplissent du trajet ce qui est en leurs possibilités, et partagent leurs impressions en disant : j’ai fait Compostelle. La justesse du propos consisterait à dire : » j’ai fait un bout de chemin sur la route de Compostelle », ce qui n’implique pas l’obligation d’aller jusqu’au bout en une seule étape pour que le pèlerinage soit entériné comme ayant eu lieu. C’est le pèlerinage du cœur qui n’est jamais au bout de son périple. Il est remarquable de constater que l’Eucharistie selon St Jean ne fait allusion à rien qui soit comestible ou buvable mais à un éloge appuyé de l’amour à tout crin comme seul critère imparable de la présence divine. Combien d’hommes et de femmes sont ainsi les témoins dans le monde de cette présence sans avoir jamais appartenu à l’église ! Ce n’est plus le slogan clamé autrefois : » Hors de l’Eglise pas de salut » qu’il faut relancer sur le marché de la pub, mais plutôt : » Hors de l’Amour, pas de salut ».

            A un degré plus avancé, on se heurte aux névroses qui sont plus d’ordre psychologique que religieux mais qui s’expriment plus volontiers dans le domaine religieux dont elles n’ont à craindre aucune remise en question : elles y trouvent en effet plus de réponses sécurisantes que de questions dérangeantes. Il n’est pas judicieux de vouloir »casser » des névroses : elles ont le rôle d’abord protecteur d’un être fragile face aux interpellations agressives de l’existence. Ce sont ses verrous intérieurs que chaque propriétaire doit débloquer de lui-même lorsqu’il se sent parvenu au juste moment d’y procéder. C’est un exploit peu commun que de pratiquer le parapente en libre circulation aérienne. Face au vertige de la liberté personnelle, l’antique soutane ecclésiastique est l’un de ces marqueurs incoercibles d’une névrose de crainte qui fait s’y accrocher des gens de grande valeur mais à l’autonomie réduite. Elle n‘est plus aujourd’hui qu’une balise de détresse qui se déploie lorsque le parapente s’est arrimé à un rocher qu’il lui est impossible ou difficile de quitter. Ainsi de nombreuses pratiques dévotionnelles qui font du sur place au port, comme des barques maniées par des rameurs vigoureux qui auraient oublié de détacher les amarres…et le temps passe ainsi dans un confort innocent…

            Seule une vigoureuse reprise en main de leur destin spirituel amènera les communautés à une critique sans concession et sans retour des vieilles matrices eucharistiques utiles aux périodes de soumission encore prégnante mais inadaptées aux nôtres. Elles seules sauront pratiquer un massage cardiaque efficace à notre bon vieux Credo asthmatique. Elles seules toujours sauront rhabiller les antiques ossements desséchés de la maison Ezéchiel du vêtement blanc qui sied aux invités à la noce. Elles le feront si elles le veulent et si elles le peuvent car on devine sans peine les oppositions et même les obstructions qui leur seront opposées par une partie du personnel spécialisé dans la « gestion des âmes »mais également par un refus délibéré de transmettre leurs « pouvoirs ». C’est toujours le cas aujourd’hui dans la vieille tradition millénaire d’une tension permanente entre les peuples et leurs représentants, mais partout se font entendre des craquements irréversibles dans la cuirasse de Goliath. Ezéchiel, encore lui, se dressait déjà avec véhémence contre le monopole du pouvoir religieux affiché par ses représentants patentés. Jésus non plus ne s’en est pas privé. Aujourd’hui on le dépasse dans bien des circonstances. Viennent des temps nouveaux et des fruits inconnus !…

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BIENTÔT L’ÉPOQUE DES FRUITS ? (Première partie) *

            En fait, c’est tout le temps l’époque des fruits selon l’hémisphère dans lequel on se trouve. Le fruit est l’aboutissement de tout un processus évolutif d’un vivant depuis sa naissance jusqu’à sa maturité finale au bout de laquelle il « tombe » de lui-même, dans l’espérance qu’un cueilleur de passage en fera son profit. Fruits de la croissance, fruits de l’expérience, du travail, de l’engagement, de l’initiative, fruits encore de la compétence, de l’amitié, de l’amour, fruits toujours de la recherche, du questionnement, de l’audace et du risque.

            En vieux routard du questionnement d’une spiritualité contemporaine, compatible avec l’époque échevelée qui est la nôtre, c’est autour de l’Eucharistie ou plutôt de sa désertion massive que mes rêves m’ont porté. Car elle n’est pas une cause perdue pour tout le monde, ni même désespérée, mais laissée dans son emballage sans doute parce qu’on n’en distingue pas les fruits qu’elle est censée porter ou qu’on laisse en friche ceux qu’elle pourrait produire au cours d’un fonctionnement renouvelé.

            Et le papier d’emballage justement est d’une épaisseur cartonnée décourageante, car elle est emballée dans l’hostie. S’il existe deux mots dans ce contexte, c’est qu’il y a bien deux sens distincts dont il faut tenir compte. L’Eucharistie signifie : rendre grâces et l’hostie : la victime. Comment ces deux perspectives peuvent-elles s’entendre sur un même projet ?

            Dans le premier cas de figure, il s’agirait de « rendre » quelque chose qu’on m’a confié, prêté ou que j’aurais pris et qui ne m’appartiendrait pas ? Dans un sens de restitution, presque de réparation. Ou encore comme un militaire qui, au bout de son service citoyen, vient « rendre son paquetage » aux autorités de l’état, après utilisation intensive ? Une fois de plus, nous sommes renvoyés aux fondamentaux de la Genèse dont on pourrait dire : «  tout est arbre à l’origine » et arbre de vie. Il s’agit de « rendre en fruits » ce que nous avons reçu en arbres. Les dons dont la Poussée de vie originelle m’a gratifiés sont nombreux et variés : l’existence, la vie, la royauté, la filiation divine, la remise intégrale entre mes mains de tout mon patrimoine humain, sa gestion indépendante et innovante, la délivrance anticipée de tout ce qui risque d’entraver ou pervertir ce fonctionnement intégral de moi-même. Ce que j’ai reçu n’est pas un emprunt à restituer avec des intérêts, mais des ressources destinées à se multiplier sans limites imposées. (les jarres débordantes de Cana et le vin transgressant les limites raisonnables). Elle est le fonctionnement et le résultat recherchés pour que ces ressources deviennent nourriture permanente et accessible au plus grand nombre. L’Eucharistie n’est donc pas une plus value gratuite tombée du ciel dans l’escarcelle des plus méritants, ni un objet matériel qu’on suçote en quelques secondes éphémères et insipides.

            Est-ce bien le rôle joué par l’hostie liée au sens d’une victimisation selon son sens, avant que l’immixtion de la signification religieuse d’offrande n’en atténue la rugosité sacrificielle ? L’hostie et un objet matériel, comestible, mais guère plus nourrissant que le bouquet de fleurs d’oranger censé représenter le mariage sur les cheminées de nos arrière grand parents. Pas plus que ce bouquet « n’est » le mariage mais le rappelle et renvoie à l’union in live de ceux qui habitent la maison ou que l’anneau de mariage « n’est le mariage » mais le représente en renvoyant à ceux qui l’ont contracté, l’hostie »n’est l’Eucharistie » mais renvoie aux vivants qui la célèbrent. Ni le bouquet, ni l’hostie ne peuvent tabler sur une transformation magique mais demeurent inertes tant que le couple ou la communauté ne se soucient pas de vivre la réalité de ce que ces signes désignent. Ni le bouquet, ni l’hostie ne sont une »présence réelle », mais des signes avertisseurs qu’une présence conjugale ou divine, bien réelle cette fois, est à l’oeuvre dans le couple ou l’assemblée consentante et participante.

            L’hostie n’est ainsi que comestible et sans effet tant que l’Eucharistie ne s’avère pas nourrissante d’une vie partagée entre les membres qui la composent et qui, eux, constituent la « Présence réelle ». Celle-ci n’est pas une présence de Dieu « aux côtés » de l’Homme mais « dans » l’Homme comme la sève au cœur de l’Arbre. C’est la Femme qu’on trouve » au côté » de l’Homme dès l’origine. Et l’on continue joyeusement à confondre hostie et eucharistie dans la plupart des lieux de culte. D’où l’impression que la première n’est guère plus opérationnelle qu’un placebo, entraînant la lente mais régulière hémorragie qui frappe les assemblées de fidèles. On n’y célèbre plus, la plupart du temps, de ces eucharisties proches de leur prototype au Jeudi saint avec la première assemblée recevant sa première transfusion de Sang ou de Sens de la part du fondateur. On n’y trouve plus que la messe, c’est-à-dire un montage de toutes pièces, cultuel, rituel, doctrinal, rappelant les points essentiels de la foi mais où l’amour primitif rassemblant les Apôtres au Cénacle, ne trouve plus sa place. De cette Eucharistie toute chaude encore de ses contractions douloureuses et préparatoires dans l’Histoire d’Israël et culminant dans la nouvelle forme que lui donne Jésus, celui-ci nous dit : « Faites la en Mémoire de Moi ». Le point crucial se trouve là : l’Eucharistie est faite pour la Mémoire et non pour l’estomac. Pour stimuler nos mémoires défaillantes du Testament eucharistique laissé par Jean  spécialement: tout est amour et rien qu’amour. Jean n’a pas éprouvé la nécessité de mentionner la Cène, dans son Evangile, jugée sans doute moins primordiale que la primauté universelle de l’amour.

            A ce sujet, il est stupéfiant que dans la proclamation du Credo, architecture de la foi de l’Eglise, on ne débusque nullement le mot Amour. On se trouve en face d’un schéma, d’un canevas, d’une structure froide, d’une armature, d’une ossature aussi anguleuse que celle devant laquelle médite Ezéchiel dans la vallée des ossements. Et un squelette ne tient pas debout tout seul : il lui manque toute l’articulation et le recouvrement de chair, de muscles, de tendons, de souffle nécessaires à la vie. Inertie, raideur, rigidité, immuabilité, inamovibilité : tous ingrédients qu’on trouve de préférence dans les cimetières. Le Credo n’est pas l’Eucharistie, pas plus que le Credo républicain n’incarne les valeurs de la démocratie : tous deux ont plutôt valeur de symbole, de slogans, d’appartenance à un parti, à un mouvement, à un regroupement autour de certains choix politiques précis, religieux ou idéologiques. Le Credo : « liberté, égalité, fraternité » rend quelques points à son concurrent en colorant sa formule d’une teinte un peu plus humaniste. Mais ils ne sont guère mobilisateurs ni garants l’un et l’autre, d’une fraternité réellement vécue dans les rangs de ceux qui les proclament. Le Credo laissé à lui-même et tel qu’on le fait réciter aux fidèles est plutôt l’expression d’une foi déshabillée tandis que l’Eucharistie se célèbre en revêtant l’habit de noces ! Quant au reste de la célébration, elle demeure marquée par une lourde insistance sur le péché, l’indignité, la misère, la pitié et la mendicité envers Dieu de ce que nous ne nous décidons pas à exhumer de nous-mêmes ? Tant pis !

            Quant à l’hostie, quel est son rôle caché dans le psychisme des croyants ? Elle semble avoir deux destinées : être mangée ou être exposée (les fameuses expositions du St Sacrement): mangée comment, exposée à quoi ?

            On peut être « mangé » en étant comestible, l’estomac se trouvant alors au centre du dispositif, ou en étant nourrissant : lectures, rencontres, expériences, privilégiant alors l’intelligence, la compréhension des choses. Avec quelques états exceptionnels « hybrides » comme celui de la mère allaitant un enfant et qui se fait nourrissante sans pour autant être comestible. Dans les deux cas, l’action de manger se traduit par une « absorption » de quelque chose qui s’en va alimenter telle ou telle partie de l’être selon la nature de ce que la personne ingère. C’est l’absorption qui est ici en cause : je peux absorber par l’estomac ou par l’esprit, être moi-même absorbé par une passion, une lecture ou une tâche minutieuse. L’Etre tout entier a besoin d’être alimenté, et pas seulement sa composante biologique. C’est l’Eucharistie qui travaille à l’absorption réciproque de la Divinité et de l’Humanité au cœur de l’assemblée et cela, grâce à l’intense activité spirituelle et fraternelle développée par les participants. L’hostie n’est alors que le » poisson pilote » de l’Eucharistie : elle indique, comme son ombre, la direction à suivre pour que l’Eucharistie ait bien lieu : faites Mémoire, mais sans se prendre pour l’Eucharistie. C’est la fonction de ce qu’on appelle en psychanalyse : l’objet transitionnel.

                                                                                  (*suite en deuxième partie ultérieure)

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LA RESURRECTION-DÉCOR(PS) ?

            Quelle drôle d’idée de venir pérorer sur le décorum tourbillonnant tel un essaim d’insectes autour de la question universelle non résolue jusqu’à ce jour, du sort de nos corps mortels ? Qui plus est un weekend de Pentecôte où l’Esprit semble venir aspirer pour les remplacer, telle une liposuccion céleste, nos impuissances à prendre en compte ce qui est pourtant le premier événement de notre existence : le corps. Un Esprit fort dans un corps faible, le premier finissant par écraser forcément le second, est-ce le nec plus ultra de la recherche ou même de toute aspiration Humaine ?

            Il n’existe pas d’Homme sans corps. Bien sûr, ce corps peut être ignoré, snobé, méprisé, négligé, risquant sa peau à chaque naissance dans un monde d’ogres, à commencer par d’excellentes mères qui trouvent leurs nouveau-nés à croquer, jusqu’à la rencontre abrupte avec la déchiqueteuse d’un terrorisme dégénéré. Mais il est là à demeure, de A à Z, premier passeport obligé pour se maintenir présent dans le monde. Il peut être aussi adulé, admiré, honoré, vénéré, embelli, encensé comme le cadeau le plus inexplicable qui nous est donné au départ. Si nous secouons un peu le terme décorum comme un arbre fruitier, il nous tombe des fruits inattendus : « des corps-hommes ? Décor-Rome « ? Objets vivants d’une culture personnelle et autogérée ou éléments rigides pliés à des exigences idéologiques avec mode d’emploi codifié et inamovible ?

            Si le corps est bien l’élément central de l’histoire personnelle de chacun, cela ne signifie pas qu’il est premier dans l’ordre des valeurs, ni second non plus : il n’y a pas de classement hiérarchisé entre les constituants du corps évalués « en kit ». Chacune des composantes de l’Humain participe à une valeur unique, globale, indissociable : l’Homme dans son entièreté. Mais le corps au centre indique une priorité pédagogique et stratégique à mettre en place et à sa vraie place sous peine de gripper la machine sévèrement et pour longtemps. Un peu comme une partie de foot qui ne peut commencer qu’une fois la balle placée au centre du terrain et qui y retourne après chaque but inscrit. Ne pas perdre de vue l’importance incontournable du corps centré et central. Dans la plupart des approches théologiques, on a toujours affirmé que Dieu était au centre de tout l’univers. Une autre vision concurrente place au contraire l’Homme à cette place, comme étant la première des œuvres qui couronne cet univers en s’offrant à lui comme sommet possible de sa réussite. Dieu et l’Homme occupent chacun une situation fondamentale qu’ils ne peuvent ni s’inter-changer ni se jalouser : si l’Homme est bien au centre, Dieu est aux sources : ils ne se rencontrent donc que dans un dialogue fécond auquel participe bien entendu, celui du Corps et de l’Esprit. Substituer à cette cohabitation exaltante une perspective de conflit ou de concurrence entre Humanité et Divinité relève d’une approche frisant une schizophrénie biblique bien entamée (mais toujours guérissable). Dieu et l’Homme sont premiers ex æquo chacun dans son domaine. Les hommes n’ont pas vocation à être « décoratifs » dans le cosmos mais plutôt « des corps actifs ».

            Lorsqu’on parle de la résurrection des corps, une succession d’images visuelles et sonores se rappellent à notre bon souvenir : la danse macabre de Saint-Saëns, les trompettes de Jéricho et celles du Jugement dernier, l’Alléluia de Haendel, mais aussi les images pieuses avec l’entrée en lice du monde mystérieux et inquiétant de l’Apocalypse, la sortie des squelettes assez à l’étroit dans leur dernier costume de sapin, la répartition entre les bons et les méchants, la vision terrorisante des diables aiguisant déjà leurs fourchettes…Rien que des images de synthèse que l’imagination se fabrique en cas de panne d’intelligence. Dans la droite ligne de ces représentations souvent renforcées par des groupements religieux minoritaires mais encore vivaces, les croyants ont petit à petit identifié résurrection et réanimation. Mais si l’esprit reçoit la mission d’accompagner un vivant dès son premier souffle, il n‘est pas prévu qu’il refasse une beauté automatique à un corps qui n‘en est plus un.

            Pour autant, la résurrection des corps n’est-elle qu’un mythe sans aucun lien avec le réel ou peut-on envisager d’y prendre part dès maintenant, même dans l’ignorance de ce qui en adviendra dans un avenir et un espace qu’il ne nous est pas donné de gérer aujourd’hui ? Rappelons qu’une résurrection se caractérise par deux phases essentielles : un appel et une réponse correspondant aux deux sens du terme « suscitare », latin, qui signifie : éveiller et se lever. Deux pièces du dispositif qui ne fonctionnent pas l’une sans l’autre. Me réveiller le matin en refusant de me lever correspond à une vie que je décide de ne pas activer de la journée. L’appel préconscient du corps à ouvrir les yeux n’étant pas suivi d’une « levée du corps », il n’y a ni insurrection ni résurrection en réponse. L’appel peut provenir d’une intuition, d’une rencontre, d’une lecture ou d’une expérience : tout peut devenir une occasion d’appel et se trouver ainsi au commencement de destins particuliers. La réponse est la mise en œuvre de « l’appel qui nous rappelle » que le monde attend de nous les cadeaux que nous lui réservons : « lève-toi et marche » Et la réponse est le retour positif vers cette aspiration à vivre à pleine puissance. Il n’y a, dans ce cas, aucune « réanimation « mais une « animation relancée » à chaque fois qu’il en est besoin.

            Il devient alors possible d’envisager une fenêtre nouvelle s’entrouvrant sur la résurrection des corps. Elle concernerait plutôt une redécouverte du sens, du rôle et du statut du corps au cœur de notre civilisation actuelle qui semble l’avoir éjecté de ses préoccupations premières. Cette redécouverte correspondrait à l’appel, tandis que la réponse serait apportée ou proposée par ceux qui n’oublient pas la part transcendante du corps et le remettent à sa place réelle comme support de l’Humanité et activateur de la divinité. Il faut se réjouir d’observer les retours multiples à une spiritualité intelligente, soutenue par la progression des sciences humaines qui nous en proposent certains ingrédients : la méditation, la sophrologie, la parole restituée aux peuples, la promotion de la compassion, la Bien-Aimance etc et qui, toutes, s’appuient sur ce qui donne sa crédibilité à une résurrection menée d’abord de main d’homme : le corps. Celui-ci devient alors la visibilité en acte de la divinité.

            Pour finir, une image biblique vient à son tour corroborer l’hypothèse du corps et de sa place centrale. Celle du Jardin d’Eden dans lequel est plantée une myriade d’arbres, c’est-à-dire d’expériences humaines à tenter sans modération. La seule exception est l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal ou, plus exactement, de l’Accompli et de l’Inaccompli. Ils sont deux apparemment plantés carrément dans le même trou car l’Arbre de vie se trouve en colocation avec le précédent. En plein milieu. Dans ce récit mythique où un couple originel aux prises avec un corps à corps ou plutôt un côte à côte sérieux, démarre l’aventure multiséculaire de l’Humanité, on ne peut approcher le corps de l’un sans toucher à celui de l’autre, la femme étant en gestation dans l’intimité de son « home (me)» ! C’est donc ce premier « pas de deux » qui se présente comme le fondement de toute vie authentiquement humaine : le corps en Vie, première racine de l’Arbre de vie en (chaque) personne. Tout doit être envisagé en fonction du Bien Vivre et du Bien-Etre de l’Homme qui débute par celui du corps. Comme l’adage le dit : il est nécessaire de remettre ce corps au centre du village.

            A ce stade, il est essentiel de ne pas confondre le corps lui-même avec son enveloppe charnelle. Celle-ci n’est que l’apparence visible de ce qu’elle contient de plus précieux : l’histoire de chacun qui « prend elle-même corps » tout au long des années du parcours terrestre de chacun. Mon enveloppe charnelle n’est pas identifiable à l’histoire de ma vie. L’enveloppe visible que nous présentons de nous-mêmes à ceux qui nous entourent, possède un pouvoir de séduction pour les inviter à entrer à l’intérieur et s’en nourrir. C’est un peu comme une lettre qui vous arrive au courrier : elle est composée d’une enveloppe et d’un message à l’intérieur. Sans enveloppe porteuse de l’adresse, la lettre perd sa raison d’être et se dissout dans l’égarement. Mais une fois parvenue à destination, l’enveloppe « doit » être déchirée pour permettre d’accéder à son contenu. Lorsque la mort survient, elle déchire l’enveloppe corporelle parvenue en fin de course, mais pas le corps de notre parcours. Ceci pour permettre à la consistance de notre histoire d’accéder à une métamorphose et non une dissolution, tel le passage de la chrysalide à l’état de papillon tout comme le contenu de la lettre n’est pas déchiré en même temps que l’enveloppe.

            Il y a là une autre lecture possible de la résurrection des corps. Cette dernière est l’œuvre de tous ceux qui tentent de faire passer le Corps de l’état de déréliction où l’inconscience et l’inintelligence des hommes l’avaient abandonné pour mieux en exploiter ses avantages primaires, à celui de réhabilitation. Des lectures religieuses déprimantes avaient contribué largement à faire du corps un simple « corpuscule » et même un « corps-pustule » dans les époques les plus sombres de l’Histoire. Et Dieu lui-même se trouvait englouti par le tsunami d’une même folie qui, aujourd’hui encore, montre que la Bête n’est pas morte. Car Dieu ne se laisse entrevoir que par l’hébergement que lui procurent nos corps et la nature : l’incarnation réelle de la divinité ne se trouve pas dans la froideur métallique d’un tabernacle mais dans la chaleur fécondante des vivants. (Marie était peut-être secrètement équipée d’un mini tabernacle en dur, prothèse d’un utérus défectueux ?). Combien de grands personnages considérés comme des saints de toute provenance, se sont laissés emporter par la conception dévalorisante du corps : privations, jeûnes excessifs, auto-flagellations, cilices, sexualité interdite à certains, crânes farcis de doctrine plus que d’intelligence. La tendance s’est inversée depuis quelques décennies au cours de nombreuses approches renouvelées : c’est bien cela la résurrection, le réveil et la remise debout de cette pierre d’angle dont parle l’Ecriture. Et cette résurrection, c’est à nous qu’il appartient de la re-dresser : nous en assumons la responsabilité à plein temps. Comme nous ne sommes ni les spécialistes ni les familiers de ce genre d’opération, il est normal que se produisent quelques bavures, comme passer, par exemple, de la dimension restrictive du corps à sa réhabilitation excessive en le gonflant de prérogatives qu’il n‘a pas. Mais vaut-il mieux une résurrection avec bavures ou une mort sans bavures ? D’autant que ce dernier terme est le même que celui de buvard avec les syllabes inversées. Une résurrection buvardant sans bavardages les erreurs du passé permet d’en assécher leur propagation.

            La remise à la place centrale du corps, pièce du puzzle universel perdue depuis longtemps fait donc partie essentielle de ce qu’on appelle la Bonne Nouvelle : c‘est bien pour cela que cette Nouvelle commence par l’Incarnation : pas de Nouveauté dans l’Humanité qui ne débute par le Corps d’abord, le Corps d’accord.

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UNE AMBULANCE ÉNIGMATIQUE 

            L’ambulance n’est pas une voiture comme les autres. De même que certains découvrent les cafés philosophiques, d’autres font l’expérience de l’ambulance intelligente qui se présente comme un véritable scanner « philosophal », capable de révéler indiscrètement les turbulences cérébrales de ses passagers.

            Déambuler en ambulance nécessite un préambule explicatif…vu qu’il s’agit bien d’une balade de santé ambulatoire. Mais pas seulement : celle-ci peut se doubler d’une promenade

intensément réflexive, inattendue dans ce type de scanner à quatre roues. En général, le patient à qui on le propose est enfourné dans le fourgon à l’envers, la tête tournée vers l’arrière avec vue unique sur la vitre du fond et le spectacle qu’elle offre. Si d’aventure il est accompagné d’un second passager, ce dernier prend place à ses côtés, la tête tournée vers l’avant, côté conducteur. Les deux compères se trouvent ainsi placés côte à côte mais en sens inverses l’un de l’autre. « Tête à tête » croisé, torticoliquement risqué !

            Orienté vers le fond, le patient voit filer la route derrière le véhicule comme un ruban d’asphalte qui lui échappe sans pouvoir le rattraper. Image du temps perdu, égaré, d’un passé qui ne revient pas, que l’on fuit sans avoir su ou pu l’exploiter à temps. Des regrets, des remords, peut-être de l’amertume…Et tout ça à cause de sa position en marche arrière : dans l’ambulance, le patient sur son brancard est toujours celui qui occupe cette place : faut-il en inférer que les obsédés du passé le sont sous l’influence d’une « maladie sociale » ou d’une infirmité congénitale ?

            L’autre passager, par contre, visage tourné dans le sens de la marche, voit la route de face « lui foncer dessus », accourir au devant de lui de toute la vitesse du véhicule. La question est : comment négocier les événements qui s’annoncent dans mon présent immédiat ou dans mon horizon proche ou lointain ? Le passager est en principe exempt de maladie: est-ce un signe de bonne santé de l’être que de se trouver dans le sens de la marche ? Le choix est ouvert entre affronter la vie ou en regretter la fuite. Il faut noter que l’ambulance figurant la Vie, va toujours dans le sens de l’Histoire, c’est-à-dire vers l’avant, quoi qu’en pensent les passagers. C’est un donné incontournable de l’existence qu’on ne viole pas impunément. M’en détourner ne provoque pas immédiatement ma mort mais la non-vie, c’est-à-dire une existence qui me baigne et me sollicite de toutes parts alors que je suis incapable de la prendre en mains. Elle me coule entre les doigts comme de l’eau, en me laissant toutefois la possibilité de modifier ma vision des choses, générant ainsi une attitude plus responsable de ma part.

            Car entre la vie et la mort, il existe une place pour la « non-vie » qui n’est déjà plus tout-à-fait la vie sans être encore tout-à-fait la mort, un espace transitionnel fondamental entre les deux. Un espace de chance en quelque sorte qui autorise d’autres options, d’autres issues. (Du mot : uscita, italien, qui signifie issue et qui a donné :  « ré-uscité » : l’art de se ménager des issues et sur lequel s’est greffé le terme : re-susciter). C’est peut-être cet espace interstitiel que le peuple d’Israël désignait comme le shéol ou royaume des ombres. Ou encore les fameuses limbes où l’on parquait les enfants morts sans baptême et peut-être aussi ce lieu mal famé du « Purgatoire » où les locataires des lieux attendaient, en se rongeant les sangs, une amnistie ardemment espérée de leurs exactions.

            Quoi qu’en pensent les passagers de « l’ambulance-Vie », celle-ci va droit son chemin selon l’élan qu’elle a pris au départ. On pourrait presque dire que la vie les balade et nous balade à son gré. Nous sommes en quelque sorte au cœur d’un dispositif que nous avons reçu et qui nous vient de bien avant qu’il nous lance à notre tour dans le carrousel de l’existence. Le malade au regard monopolisé par la vitre arrière, tourne carrément le dos au chauffeur qui demeure caché à ses yeux. Mais pas plus qu’une voiture ne peut ordinairement se déplacer sans chauffeur, la vie ne peut avoir éclos et poursuivi son cours sans l’Origine d’une mystérieuse poussée. Celle-ci invite à se jeter dans le vide abyssal de l’univers, comme une mère expulse son enfant vers un destin     autonome. L’enfant va ainsi pouvoir devenir un être autonome et créateur à son tour,  même s’il en arrive un jour à perdre sa mère de vue. C’est pourtant bien à elle qu’il devra ce qu’il est devenu même s’il lui arrive de la renier définitivement.

                      Quant au passager accompagnateur, sa position orientée vers l’avenir de la           route qui se rue à sa rencontre, face de lui, comme un avenir prometteur, il distinguera nettement le conducteur, mais seulement de dos, sans identification possible de son visage. Il est seulement certain de sa présence au volant. Moïse lui-même ne s’est-il pas entendu dire par son Dieu : » Tu ne me verras que de dos ? »  Vaut-il mieux constater de visu la présence de quelqu’un à son dos ou bien vouloir à toutes forces photographier son visage pour déclarer qu’il est bien là ?

                       Sans doute on retrouve dans cette image l’amorce de la question universelle de   l’existence de Dieu ou, plus précisément, de sa présence opérationnelle au cœur de la    vie ainsi que de l’intérêt passionné qu’il lui porte. Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Si je      pressens la réalité divine dans les méandres de ma quête de vérité, quel nom puis-je lui         donner si je ne la vois que de dos ? Et pourquoi pas un peu de mon propre nom si, pour    ceux qui osent s’aventurer dans cette hypothèse, un degré de parenté intime nous         relie ? L’Apocalypse, ce « pare-soleil » merveilleux de la splendeur humaine, à travers         les images excitantes qu’emploie Jean pour appâter nos recherches, ne dit-elle pas          que     chacun de nous a reçu en héritage un nom caché, exceptionnel, un « caillou blanc» comme dit le texte ? Or, pour les chercheurs contemporains, un caillou est un diamant        d’exceptionnelle qualité. Qui d’entre nous oserait, en jetant un coup d’œil furtif dans le           rétro de l’ambulance, s’avouer que son être intime est constitué de la résistance et de     la brillance d’un diamant unique au monde ? Folie mégalomane, névrose religieuse,             état de sénilité spirituelle avancée ? L’humanité semble ainsi être prise en étau entre             deux   puissantes tendances antagonistes et inconciliables : l’une déplorant le temps       passé comme celui d’un âge d’or sans retour possible ; l’autre comme l’attirance d’un             désir sans frein de nouveauté et d’aventure : ce sont les positions respectives des            deux passagers du véhicule sanitaire.

              On devine que, résidant dans le même habitacle, côte à côte, mais en position tête-bêche, les deux voyageurs aient du mal à concilier leurs points de vue, leur cohabitation n’étant pas acquise d’avance. Ainsi en est-il des diverses tendances philosophiques ou idéologiques, ou du heurt permanent entre foi et athéisme : l’attitude vis-à-vis d’une divinité possible ou improbable oppose radicalement les adversaires tant que chacun ne pense qu’à démontrer la justesse de son hypothèse en démontant celle du concurrent. Mais tout en se trouvant en position inverse dans l’ambulance, les deux passagers font tout de même partie du même voyage sans que l’un d’eux s’octroie le droit ou le pouvoir d’éliminer son voisin. C’est peut-être la porte entr’ouverte à une autre lecture du fameux arbre de la connaissance du « Bien et du Mal « auquel on prêterait deux noms tout aussi évocateurs : arbre du « Doute et de l’Espoir ». Il ne reste qu’à résoudre ce dualisme paralysant en optant résolument pour l’espoir sans jamais revenir sur son choix. Il ne s’agit pas ici de remplacer deux termes qui nous gêneraient par deux autres, par facilité ou compromis, mais « de les habiller » provisoirement de deux « sur-noms » plus significatifs pour notre époque. Cette souplesse sémantique n’éclipse pas l’interprétation classique signifiée par Bien et Mal auxquels on a tendance à attribuer d’abord une coloration fortement morale. (Ce n’est pas parce que le patient de l’ambulance regarde en arrière, qu’il est moins estimable que son compagnon). Approcher une réalité au moyen des mots, c’est utiliser ces derniers comme des marches d’escalier successives, pour affiner toujours plus les diverses significations qu’elle contient.

             Il n’existe pas encore aujourd’hui d’ambulance sans pilote : contentons-nous de celles qui circulent à notre époque. Elles ont toutes un conducteur qui a l’air de savoir où l’on va…

 

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LA PLONGÉE DE JONAS

                        Nous discutions l’autre soir avec des parents de jeunes déjà grands, de l’impact que peut avoir sur les enfants un langage parental très et sans doute trop construit, trop conventionnel, trop marqué d’à priori issu de leurs expériences personnelles valables ou d’un désir légitime d’avoir raison. Ce langage qui se veut souvent « bien-veillant » est reçu fréquemment par les ados comme un langage « sur-veillant ». L’opposition entre »les deux camps » n’est pas nouvelle entre ceux qui maintiennent leur droit « d’avoir raison » en vertu de leurs expériences vécues et ceux qui opposent « leurs propres raisons » de défendre les leurs. Cette opposition peut tourner à la guerre d’usure ou même à des combats rapprochés entre membres d’une même famille de générations différentes. Le « conflit des langues » est l’un des plus marquants de toute l’histoire de l’humanité comme nous le soulignent des passages bibliques comme Babel ou la Pentecôte débouchant même sur une conflagration insoluble Humanité-Divinité. Se parler devient un casse-tête problématique et source d’incompréhension mutuelle paralysante. Les langages finissent par verrouiller mutuellement leurs quelques chances de garder le contact.

                        Le terme de verrou attire l’attention, particulièrement dans un mini texte tiré de la grande sagesse biblique au livre de Jonas. Une petite virée dans cet espace ne nous laissera pas indifférent quant à nos problèmes contemporains.

                        Sans reprendre ici l’histoire des relations « tumul-tueuses » entre Dieu et son Premier Ministre de l’époque Jonas, souvenons-nous que le premier lui demande avec raison de se mobiliser pour une mission bien précise mais non dénuée de risques et que ce premier ministre lui oppose ses propres raisons de s’en détourner carrément à l’opposé. Jonas ne tarde pas à s’apercevoir de sa bourde magistrale et s’engage dans une relecture de son comportement et de ses conséquences qui l’engouffrent dans une déprime carabinée. L’enchaînement dépression-amertume-naufrage personnel s’ensuit et le voilà jeté à l’eau pour tout recommencer à partir, non pas de zéro, mais du point d’opposition originel avec Dieu en personne.

                        Il ne s’agit donc pas là d’une noyade par vengeance divine, mais d’un retour aux origines, la mer symbolisant le premier milieu d’éclosion du vivant : les eaux mères, les premières expériences de naissance à l’autonomie. « Retourne à tes débuts pour pouvoir penser plus juste » : telle est la pédagogie qui secoue le prophète. Le retour aux eaux mères est nécessaire mais scabreux : je peux en effet ou me noyer dans la mer ou y pratiquer des pêches miraculeuses.

                        Nous avons compris, grâce aux apports des sciences humaines contemporaines, que le texte biblique avait intégré depuis longtemps la notion d’inconscient, de ces zones immergées dans l’histoire personnelle de chacun mais aussi dans celle d’un peuple entier. La mer est l’image à laquelle il a recours pour évoquer ces bas fonds, inaccessibles à la raison seule et riches d’immenses ressources pas encore parvenues au niveau de la conscience claire. Comme un escalier en colimaçon grimpant des culs de basse fosse jusqu’à l’espace clair et habitable du donjon. Une ascension laborieuse et pleine d’inattendu menant des ténèbres du raisonnement pur à l’intelligence pétrie d’intuition. Passer des premières à la seconde amène Jonas à repérer ce qu’il appelle « des verrous » qui faisaient obstacle à leur dépassement.

                        « Les eaux m’avaient environné jusqu’à la gorge l’abîme me cernait, l’algue était enroulée autour de ma tête, à la racine des montagnes j’étais descendu, en un pays dont les verrous étaient tirés sur moi pour toujours ».

                        Jonas n’est probablement pas un personnage à lui tout seul. Il se trouve mis en exergue pour représenter l’ensemble du peuple d’Israël en train de faire le point sur son parcours et ses travers, cherchant à faire de ceux-ci une traversée. (un peu comme lorsqu’on parle des Français en disant : Marianne ou des Américains en disant :l’oncle Sam). C’est donc le peuple entier qui se jette à l’eau pour relire son Histoire. L’expression courante « comme un seul homme » illustre bien la « condensation » de tout un peuple sous le visage d’un personnage unique. Des personnages fictifs autour desquels « s’enroule » la réflexion collective d’un peuple qui, elle, est bien réelle. Jonas serait en sorte le « résumé d’un peuple » en pleine ébullition d’intelligence active. D’où l’importance et la densité que peuvent revêtir la moindre des paroles d’un tel texte, dont ce terme : verrous.

                        Le peuple découvre avec stupeur, en remontant à ses origines immergées dans un passé oublié, qu’il existe un « pays », une étendue, une extension possible de son être sur lequel des verrous ont été posés pour toujours, le rendant ainsi inaccessible, inexplorable, inexploitable, un poids mort en quelque sorte, comme le fond de la mer sur lequel descendent les bateaux naufragés pour s’y engloutir définitivement. C’est une forme d’amputation, de privation d’être, une part fondamentale de soi confisquée : (comment et par qui ?) nous rendant ainsi incompréhensibles à nos propres yeux. Cet embargo ne peut provenir de celui qui nous a pensés pour la Vie avec toute la boîte à outils qui va avec et dont aucun ne manque. Qui peut avoir intérêt à verrouiller notre développement sinon une ignorance massive de l’homme sur lui-même ou une intervention hostile et toxique cherchant à le réduire en esclavage ? Car s’il existe des verrous, c’est que quelqu’un les a posés. Qui d’autre que ceux qui nous ont précédés et transmis la responsabilité de l’univers à perpétuer ? Ces derniers étaient-ils eux-mêmes verrouillés sur des choses essentielles à ne pas transmettre ? Se peut-il que nos prédécesseurs ayant localisé et en quelque sorte enjoint et « condamné » la Divinité à trôner dans les cieux, s’indignent de voir un Jonas en faire l’expérience au fond de la mer, c’est-à-dire au cœur le plus secret et le plus improbable de l’Homme ? Car c’est bien la révélation formidable dont nous n’avons toujours pas tiré les conséquences pour nous-mêmes, que nous fait faire Jonas : il retrouve la présence divine au cœur de l’inconscient humain après l’avoir fui ou mal entendu ses appels en ne demeurant qu’à la surface de lui-même.

                        Les mots se trouvant être de la matière »fissible », démontable selon la règle à jouer du Lego, le terme verrou n’échappe pas bien sûr à ce démontage de lui-même en des éléments distincts susceptibles d’ouvrir au large nos intelligences enchaînées par sa signification immédiate. Les  verrous sont posés en général pour empêcher d’aller quelque part : mais une fois ces « verrous » identifiés, « vers où »  se diriger ? Le verrou, symbole de fermeture devient alors le » vers où », image d’échappatoire. Et vers où ? Sans doute vers quelque destination de haut niveau. Vers l’autonomie, vers la revendication de l’indépendance de pensée, vers la libre gestion de nos personnes, vers la constatation inouïe que nous sommes empreints de divinité de A à Z, des profondeurs du ciel aux fondements de la terre et de la mer. Ce qui fera dire à Jonas : je crois au Dieu qui a créé le ciel, la terre et la mer. L’Eglise s’est radicalement amputée gravement d’une part essentielle de sa foi en faisant dire au Credo : je crois en Dieu créateur du ciel et de la terre. Point. De mer, il n’est plus question. Elle passe pour pertes et profits mais pour qui, sinon pour ceux qu’elle a pris sous son dogme réducteur ? N’est-ce pas une des raisons au nom desquelles elle ne peut nous fournir un accès qu’à un Dieu diminué et incapable d’assurer le rôle qu’on attend de lui ? Un Dieu décevant parce que mal transmis par des responsables qui ont préféré la sécurité des verrous à la liberté de l’intelligence. « Un pays fermé sur moi pour toujours » disait le texte. Une dignité essentielle qui nous est désormais refusée sans recours, ajoute la « doctrine » d’une Eglise au pied bot, se fondant désormais, sur le terrain nauséabond du péché à tout crin !

            Le mal ne serait que partiel quoique déterminant, si le dictionnaire n’affinait pas le sens originel du mot verrou : « issu de vereculum, latin, signifiant un petit javelot, une broche, une pique. » Il est donc évident que le verrou n’est pas seulement un outil prévu contre l’insécurité, mais une arme de jet destiné à blesser et même à tuer. Un objet agressif, offensif, dont la pointe permet une pénétration plus efficace tournée vers un organe vital essentiel. Le verrouillage a donc à voir avec un meurtre possible. C’est la portée « transperçante » du terme qui mène souvent jusqu’où on ne voudrait pas aller, qui crée le drame entre parents et jeunes lorsque les adultes s’attachent à des consignes ou des convictions « verrouillantes » parce qu’inamovibles dans leur esprit. Sans explications ni discussions tolérées, le silence devient complice du verrouillage, de l’interdiction d’aller » vers où ? » Il perce en silence l’opposition des jeunes et les cloue à la pointe d’une parole toute-puissante sans aller ni retour.

            Le même procédé souvent inconscient de la part de ceux qui détiennent un pouvoir s’exerce à tous les niveaux de la société dans les rapports professionnels, politiques, religieux, moraux à la base desquels on débusque souvent des frustrations de personnes autrefois soumises à des pans entiers de leur être réduits à un silence précoce et durable. Secrets de famille, pathologies relationnelles diverses, divorces ou suicides inexpliqués, drames sociaux dus au chômage ou aux conditions de survie, peur d’aborder les problèmes récurrents, mensonges politiques, encadrement strict de la parole dans les lieux publics réservés pourtant à cet usage etc.. Les verrous ne sont pas seulement « tirés sur moi » mais ils « tirent  également contre moi » et mes valeurs les plus exceptionnelles. Les silences obstinés sont parfois plus meurtriers qu’une explication orageuse et même musclée surtout lorsque les grandes causes ou valeurs humaines sont en cause. On est parfois plus près de Dieu au fond de la mer que dans l’espace céleste ou terrestre : ces trois espaces sont inséparables dans la vision biblique de l’Humanité.

                        II serait trop simple de placer une fois de plus les méchants d’un côté et les bons d’un autre. L’objet verrou est à double tranchant, si l’on peut dire. En effet, à y bien regarder, il y a des verrous des deux côtés de la porte, car à ma découverte de ces outils qu’on m’a opposés, il y a ceux que j’ai moi-même posés pour interdire d’entrer à ceux qui m’interdisent de sortir. Les verrous de protection s’opposent aux verrous d’enfermement. Et comme ces derniers me viennent d’interventions pédagogiques inadaptées à mon cas mais très anciennes dans le temps, les responsables ont disparu depuis longtemps de mon existence mais continuent souvent à se manifester comme des implants au niveau psychologique. C’est donc de moi seul que dépend la réouverture de mon être à la liberté. De plus, les geôliers se sont éclipsés avec le trousseau de clefs.

            Mais Zorro est parvenu quand même à se glisser jusqu’au soupirail ou au fond de la mer où je me maintiens par incapacité de retirer moi-même mes propres verrous qui ont malheureusement rouillé au fond de la mer ! Tant que mes verrous ne se déverrouillent pas, c’est moi qui dérouille ! Mais si je ne déverrouille pas, je fais dérouiller ceux sur qui je laisse peser le poids de mon impuissance sans compter la propension toujours menaçante à leur faire subir ce dont j’ai moi-même souffert. C’est ainsi que se répercutent de génération en génération des syndromes tels que celui des femmes battues qui se mettront à battre leurs enfants. Ou encore le rêve généreux de pères rêvant de Sciences Po pour leur progéniture qui, elle, se voyait dans une ferme de la Lozère à manager deux vaches et quelques chèvres. Mais le pouvoir déterminant d’un père verrouillé sur son rêve, verrouille à son tour et à double tour le faible désir d’un descendant encore incapable de s’opposer et qui s’enferme dans un mutisme de mauvais augure. Il en est de même pour la transmission d’idéologies dogmatiques revendiquées par des adeptes verrouillés sur leurs certitudes et qui ne peuvent souffrir d’exception à la règle qu’ils cherchent à imposer. C’est le cas des influences sectaires desquelles il est si difficile de s’affranchir par peur de ce qui arriverait si on osait le moindre acte de liberté. Il en est de même pour les dogmes imposés se substituant à la liberté originelle d’être soi à part entière.

                        Au cœur de cette jungle, Zorro nous rappelle simplement qu’il nous a fourni d’autres clefs toute neuves, celles d’un Royaume toutes portes ouvertes, avec un message sobre mais puissant, muni d’ouvertures multiples : ouvrez vos yeux, vos oreilles, vos bouches et vos espaces intérieurs pour accueillir en vous la beauté et la grandeur du Monde.

                        Parfois, les verrous en question ne sont que l’expression de notre inertie, voire notre apathie face aux événements du quotidien ou le poids des habitudes accumulées. Nous ne répondons plus à rien ni de rien. Les appels de la vie résonnent aux abonnés absents. Nous ne mettons plus la main à une pâte qui ne se pétrit donc plus. Ce sont des symptômes lourds de conséquences paralysantes. Et nous demeurons sur les bords du quotidien comme ces paralytiques de l’Evangile attendant au bord de la piscine qu’un ange descende Dieu sait d’où, pour agiter l’eau de sa main. Le premier qui s’y plongeait alors était guéri.

                        On retrouve ici le symbole de l’eau analogue à la mer dans laquelle Jonas s’était plongé quelques siècles auparavant. L’eau représente le milieu vivant, le biotope qui seul autorise le développement de la vie pour celui qui s’y immerge. Demeurer au bord, c’est demeurer en marge des événements de tous ordres. Si l’eau s’agite soudain, c’est que la donne se modifie, un changement profond s’annonce, reléguant les vieilles habitudes au grenier de la mémoire, pour dessiner de nouveaux horizons et susciter de nouvelles espérances. Celui qui décide alors de prendre ce train en marche pour s’arracher à un enlisement de l’intelligence, du cœur ou de ses compétences, guérit instantanément de toutes ces menaces collant à sa peau. Il plonge, tel Jonas, dans une aventure risquée, incertaine, mais seule capable de redonner à l’âme un « ressort de vainqueur » et c’est en vainqueur qu’il « ressort » de la dite piscine.

                        Pourquoi ne pas s’autoriser à voir dans l’agitation et le bouleversement de nos récentes élections, la chance, improbable il y a encore un an, d’une modification profonde du contexte politique propre à éveiller de son sommeil la Belle au Bois ronflant ? Rien n’est encore fait mais tout est à faire alors qu’avant l’agitation, rien ne semblait pouvoir être fait. Ce n’est pas une solution miracle agitée par un président hors normes (qui n’est peut-être qu’un agitateur et pas encore un ange : mais au moins un messager inattendu ce qui revient au même). Seuls, ceux qui se risquent au changement servent une cause réellement citoyenne. L’acquiescement au renouveau, politique ou spirituel, ne guérit pas les maux d’une société, mais délivre de leur immobilisme éventuel ceux qui sont chargés d’y remédier, tout en titillant chez les autres le démon de la participation selon leurs moyens.

            Une dernière suggestion encore à l’usage de ceux et celles qui sont plus familiers de l’exploration évangélique. Un symbole en entraînant un autre selon la voie des « interprétations associées », il est possible que les rédacteurs du Livre aient vu en Jésus lui-même l’agitateur politique, éthique, spirituel, invitant à se plonger dans le discours neuf qu’il inaugure. En bref, ils attribuent à leur maître le rôle de piscinier et s’emploient à transmettre leur certitude d’un Jésus guérisseur sous l’image d’un établissement de bains publics avec maître nageur associé. Qui rechignerait par les temps de fièvre brûlante qui secouent le monde, à tenter la « plongée de Jonas », en s’émerveillant des trésors qu’il remonte du fond ?

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Ô MORT, OÙ EST TA VICTOIRE ?

                       Je crois commencer à vaincre ma mort. Oh ça ne va pas tout seul : c’est un processus qui n’en finit pas. Et comment j’en arrive à cette constatation ? Tout simplement parce que, depuis 29.645 jours environ que nous nous côtoyons quotidiennement, c’est moi qui marque les points…chaque jour. Le bilan est nettement en ma faveur. Elle attend apparemment de marquer le dernier point du match pour me clouer au sol.

                       Car justement : il s’agit d’un match et seulement d’un match : le dernier point que je lui laisserai marquer sonne la fin de la partie, pas celle des joueurs. Ces derniers ne font que quitter le terrain sans pour autant laisser leur peau sur le banc de touche. Je partirai donc de mon côté et la mort du sien.

                       C’est justement à ce carrefour essentiel du sens des mots qu’il nous est possible de nous orienter autrement. Quelle autre signification puis-je oser donner au processus destructeur que représente jusqu’ici la mort ? D’un côté, le néant, le « plus rien », l’inexistence sans retour, la peur, le regret, l’amertume, le «  à quoi bon » ? Mélange d’ignorance et de questions résonant dans le vide absolu. De l’autre, des illusions en noir et blanc, du bourrage de crâne, un imaginaire de survie sans support dans la réalité, des espoirs sans queue ni surtout sans tête, les « secours de la religion », des promesses frôlant la psychose.

                       Là ou la tradition attribue à Jésus le titre de vainqueur de la Mort (Jésus se contente d’affirmer : « courage, j’ai vaincu le monde » – Jn 16/ 33), elle emploie le terme vainqueur et non pas celui de destructeur. Comment croire que Jésus a détruit la mort lorsque nous ouvrons quotidiennement nos journaux d’information ? Jésus n’a pas détruit la mort, il l’a vaincue. Il en est le Seigneur (dominus en latin : le Maître de Maison), il la « domine » donc de même que le vainqueur d’un match domine son adversaire sans le détruire le moins du monde. Vaincre, c’est dépasser en force, en adresse, en agilité, en précision, en vitesse, en intelligence, celui auquel le match vous oppose. C’est toujours «  aller plus loin que ». Etre vainqueur, c’est dépasser et même trépasser, mot qui signifie à son origine : « dépasser quelqu’un en marchant » Tuer l’autre, c’est supprimer possibilité même d’un match. Vaincre sa mort, c’est peut-être la dominer sans pour cela la faire disparaître.

            La « Dominer » suppose qu’on lui assigne une place dans la « Maison ». (Domus en latin : la maison) puisqu’elle en fait partie depuis la fondation du monde, mais sans lui laisser la moindre chance d’occuper la place et le rôle du Maître de maison : c’est ce dernier qui doit épouser l’autorité et la performance du vainqueur. Vaincre la mort ne veut pas dire la supprimer mais lui poser des limites. Comment s’y prendre sans d’abord la comprendre ? Et d’abord reconnaître qu’elle est une pièce essentielle, inévitable, de nos fonctionnements et de notre horizon ? Elle apparaît parfois comme celle qui veut devenir calife à la place du calife, profitant des moindres erreurs du Maître pour avancer ses pions. Tous les moyens lui sont bons pour tenter soit de frapper de l’extérieur, soit de s’infiltrer à l’intérieur.

            Quant au terme vainqueur, il désigne d’abord le fait » de l’emporter dans un combat, dans une lutte » au propre et au figuré. Il est rattaché à une vieille racine du haut allemand comportant l’idée de « combattre ». La première référence renvoie à «persuader, convaincre », surmonter par une lutte, avoir l’avantage sur quelqu’un. « Etre plus fort que, faire reculer, l’emporter dans une compétition pacifique ». Force est de constater qu’en aucun cas n’apparaît le sens violent de faire disparaître, de détruire, d’effacer du paysage. Il s’agit d’une disposition permanente au combat, à la compétition, à la domination. « L’emporter sur » suggère bien l’image de quelqu’un qui emporte quelque chose sur son dos pour en débarrasser le plancher ainsi que fait le paralytique qui quitte le lieu de la confrontation avec Jésus en emportant son grabat sur le dos. Sachant que « grabat » provient de l’allemand « graben », la tombe, on a de quoi imaginer. Porter sa mort avec soi au lieu de se faire emporter par elle, change tout de même les perspectives en choisissant le vainqueur. La mort n’est plus devant moi en tant que destinée incontournable ; je l’ai dans le dos, derrière, je l’ai « dépassée en marchant », laissée en arrière, mais quand même toujours là comme une protubérance incongrue dont je dois assumer la présence et le poids. Et lorsque je disparais, je ne fais que quitter ma maison après en avoir fermé toutes les ouvertures, la laissant simplement inhabitée mais non détruite. Pour aller où ? A quoi bon me poser la question d’un lieu ? M’étant retiré de mon corps qui, lui, avait besoin d’un lieu pour se définir, d’un espace pour exister, la question d’un nouvel « espace-temps » ne se pose plus. C’est une des raisons spontanées de l’incrédulité générale quant à une survie possible : nous ne nous imaginons pas vivants hors des conditions semblables à celles que nous avons connues jusqu’ici. Mais le »jusqu’ici » n’est justement plus là, changeant complètement la donne et nous obligeant à modifier notre approche.

            Le cœur du problème repose sur la question de l’éternité. A échelle proprement humaine, elle nous est inaccessible à cause de son envergure dont aucune mesure ni aucune représentation n’est apte à rendre compte : elle apparaît « hors tout ». Nous savons seulement qu’une variété de temps non mesurable mais réel, existe hors de nous depuis les milliards d’années qui se sont déroulées avant même que nous soyons engagés comme locataires : sans doute fallait-il un monde en ordre pour se préparer à accueillir ceux auxquels sa gestion allait être confiée. Ces myriades d’années constituent-elles un stade préliminaire à une prolongation dont on n’imagine pas ce qui pourrait l’entraver ? La preuve est qu’elle se poursuit de notre vivant et après notre passage en trombe ou au ralenti entre « ses mains ». Ce « laps d’éternité » nous contient entièrement depuis le début jusqu’à la fin de notre voyage terrestre. Notre esprit fait preuve d’une élasticité surprenante pour se permettre de penser une question débordant aussi largement nos propres limites. Mais notre esprit humain n’est pas non plus sans envergure : par elle justement, n’offrirait-il pas des signes avant-coureurs de sa survie au delà de la mort ?

            Comment penser autrement l’existence infinie de ces milliards d’astres et de planètes en attente apparente de quelque chose ? Sont-ils là pour le simple plaisir d’épater la galerie ou d’en mettre plein la vue aux petits nains de la Terre seule ? Il ne pourrait s’agir alors que de la mégalomanie d’un maniaque de l’orgueil qui se servirait de chars d’assaut pour écraser des escargots, ce que dément profondément la délicatesse infinie de la plus petite fleur qu’on puisse rencontrer chez nous. La Terre serait alors l’échantillon de laboratoire offrant une vitrine future de l’éternité à ceux qui y mettent une main créatrice et Bien-Aimante avec un appel irrésistible à investir le cosmos comme se risquent à le faire nos premiers pas dans l’espace vers les planètes les plus proches. Rien de tout cela ne constitue une preuve de l’éternité, mais seulement une hypothèse de sa vraisemblance. Et comment s’en faire une idée enthousiaste quand on ne pense justement qu’à saccager le laboratoire en question par toutes sortes d’attentats à ce qui fait son génie propre ? Guerres, errements écologiques, exploitation sans scrupules et épuisement des richesses du sol, terrorismes diaboliques de toute nature, trafic d’être humains etc. Ne fallait-il pas des siècles et des siècles de gestation pour préparer notre planète à subir et dominer ce blanc seing donné à la mort par nos soins ? Et pour nettoyer nos yeux de ce qui les ferme au grandiose ?

            La mort elle-même ne serait plus qu’un rite de passage, de transition, de transmigration vers un état définitif après un long temps d’apprentissage sur la planète Terre prévue à cet usage. Un essaimage successif des humains vers des horizons prometteurs. L’important est de frotter régulièrement son esprit à ces éventualités : il arrive que, de même qu’en usant ses doigts contre une gousse d’ail, ils finissent par en prendre le goût.

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       LA GUEPE ET LE FRELON

            Il existe des conflits de haine raciale sans merci entre espèces d’insectes, notamment entre les guêpes et les grands frelons appelés fréquemment asiatiques. Ceux-ci se font des festins d’abeilles en s’introduisant dans les ruches sur renseignement d’un des leurs, envoyé en repérage avant l’assaut. Le désastre est inimaginable pour les abeilles ainsi sélectionnées par ces prédateurs sans état d’âme car le bilan enregistré après chaque descente avoisine les 40% d’insectes détruits. Il s’agit là d’une véritable guerre d’extermination. Le terme conserve de nos jours le sens d’une lutte à mort, sans quartiers, visant l’élimination de l’adversaire jusqu’au dernier. Le but final est donc la mise à mort de l’ennemi.

            Les abeilles ont mis au point un stratagème ingénieux pour parer à ces hordes dignes d’Attila. Dès que l’espion aborde le territoire de la ruche, elles laissent l’intrus entrer à l’intérieur. Une fois le Terminator introduit, elles se jettent sur lui toutes ensemble et le tuent par leur masse et la chaleur qu’elles dégagent, l’ennemi ne pouvant dépasser une température minimale. Elles l’expédient alors hors de leur espace privé. Ainsi le message ne pourra être transmis à la horde des frelons qui attendent en vain le retour de leur émissaire.

            Mais le mot est issu du radical latin : « termen » qui signifie d’abord : « chasser des frontières, bannir ». Le verbe correspondant : terminare veut dire : borner, finir. (Terminer). C’est donc d’un rejet au delà des limites fixées qu’il s’agit et non pas forcément d’une destruction définitive. On en conclut à une incompatibilité violente et sans merci exprimée sans doute hors de certaines limites acceptables entre deux adversaires. En ce sens, exterminer quelqu’un signifie en première instance consiste à le chasser hors des frontières de son propre territoire mais aussi du cercle de ses propres relations et de ses préoccupations. N’est-ce pas le sort de tant de démunis de se voir exilés hors de toute intégration sociale, humaine, psychologique, politique, pour n’être plus que des errants condamnés à un gigantesque vide existentiel que le texte de la Genèse nomme : abîme, c’est-à-dire une chute dans un trou sans fond, sans espoir de la stopper ; contrairement à la chute dans un trou avec fond, c’est-à-dire avec possibilité d’en arrêter la course sur des bases nouvelles et inattendues. Il semble qu’aujourd’hui la guerre entre guêpes et frelons ait mystérieusement fait souche dans notre espèce.

            Prenons en effet l’exemple de deux personnages que nous appellerons respectivement Martine et Ramatuel (toute ressemblance avec des personnalités connues n’étant que le fruit d’une concordance malheureuse bien entendu !) et qui hantent présentement nos jours, nos nuits, nos rêves et nos fantasmes. Leur situation de concurrence féroce pour parvenir à s’asseoir au sommet d’une pyramide régalienne, les entraîne dans un duel ressemblant, oh ! de très très loin, aux luttes ancestrales des gladiateurs contre les rétiaires des cirques romains. Deux tempéraments opposés : Martine sensible à la nature, au concret des situations, plus pragmatique que compétente peut-être, optimiste, généreuse, ne craignant pas les conflits, plus préoccupée par le maintien et la conservation du passé, ouverte à la relation, et d’un sens diplomatique plus consensuel. Ramatuel plus sélectif dans ses relations, tranchant dans ses négociations, intelligent dans des domaines étendus, doté lui aussi, d’un humanisme incontestable, pudique, plus théoricien et réflexif que pragmatique, doté d’un esprit d’analyse aigu et d’un tempérament de fonceur. Là où Martine affirme positivement ses exigences récurrentes, Ramatuel circule ou oscille librement entre des points de vue variés sans crainte du risque mesuré ou de la nouveauté aventureuse. Tous deux misent plus sur ce qu’ils pensent être que sur ce qu’ils savent faire et s’enivrent d’eux-mêmes face à un public qui les subjugue. Le danger pour Ramatuel est de se confondre lui-même avec les objectifs qu’il défend, d’autant qu’il possède un goût prononcé pour le pouvoir personnel tandis que Martine vise plutôt la domination par une idéologie collective inscrite dans ses gènes. Le résultat est explosif, détonant, déconcertant mais éveillant la curiosité.

            Car ces deux personnages prétendent à un règne quasiment monarchique et ne se l’envoient pas dire à travers des discours armés jusqu’aux dents, tout en se proclamant respectivement les seuls démocrates fréquentables. Mais comment se dire démocrate en s’employant à dévaloriser et piétiner les démocrates du camp d’en face ? Non seulement il s’agit d’une imposture par rapport à ce qu’on dit de soi, mais vis-à-vis des électeurs dont on se joue complètement.

           Comment oser s’en remettre au pouvoir de celui ou de celle qui rêve de gouverner, non seulement sans ses opposants mais en les ridiculisant ou les minimisant ?

            Comment croire à leur proclamation du respect des valeurs de la République, et notamment celle de la fraternité, lorsqu’ils vouent aux gémonies les frères de l’autre bord ?

            Quelle crédibilité accorder à de prétendues valeurs républicaines sans un respect minimum des valeurs humaines ?

            N’est-ce pas non plus bafouer ces valeurs, légitimement différentes entre elles, des électeurs ? La laïcité si volontiers et si fréquemment invoquée, serait-elle indépassable par le haut par l’appel à une plus value visant une fraternité supérieure à la seule laïcité justement ?

            Leur hauteur de vue ne plafonne-t-elle pas au ras du sol comme celle des Nains de Blanche-Neige, image d’une Humanité incapable de dépasser le bas de l’échelle par manque de grandeur et d’élévation ! (à noter qu’ils sont stigmatisés par des noms soulignant leur prétention ridicule à se faire passer pour de vrais adultes : Prof, Grincheux, Atchoum, Gourmand, Dormeur, tout de même un Joyeux et même Simplet pour le dernier d’entre eux !

            Comment Martine peut-elle se proclamer la candidate du peuple à elle seule et comment Ramatuel ose-t-il déclarer qu’il n’y a pas de culture française ? Un pur produit du monde financier en manquerait-il à ce point pour ne pas la reconnaître là où elle prolifère ? Maladresses ? Incompétence ? Affolement devant l’échéance qui les consume ? Pas seulement. Un manque de vision réaliste sur ce qu’ils représentent chacun face à la masse des électeurs et les enjeux personnels qui s’attachent à leurs votes. Un homme, une femme emportés par l’envergure de la tâche à laquelle ils mesurent peut-être leur degré d’impréparation malgré leurs compétences, perdant ainsi leur sang froid.

            Comment des hommes ou des femmes dignes de leur appartenance à l’Humanité, n’appuient-ils leurs discours que sur des visions négatives de leurs concurrents, rapidement taxés du vocable d’ennemis et systématiquement « contre » eux et jamais ou presque « pour » un projet qui ne peut, de toutes façons, que conserver pour sa mise en place éventuelle, des stigmates de ce que leurs promoteurs nourrissent en eux-mêmes ce qui ressemble à une orchestration de la haine et du rejet ? Odeur de décomposition pas seulement des partis mais de la morale politique qu’on emballe vite fait bien fait dans des shows télévisés profitant essentiellement, aux détenteurs de l’information, dans un drapeau devenu chiffon rouge ou dans une Marseillaise appelant à verser le sang impur … de qui au fait ? Eh bien des concurrents d’en face puisque tous les partis la chantent tel un slogan usé jusqu’à la trame, pour bien marquer qu’ils sont les seuls patriotes par rapport à l’adversaire qui chante stupidement la même chose sur une autre chaîne ! Et toute cette « soupe populaire » sans soupçonner un instant l’ombre du ridicule qui l’assaisonne !

            Comment les électeurs peuvent-ils croire aux promesses d’une vie plus fraternelle alors que leurs propres valeurs de justice, d’égalité, de fraternité ne trouveront guère d’écho dans les promesses électorales des candidats dont la soif de posséder le pouvoir plus que de l’exercer, les autorise à flatter leur public plutôt que de le respecter dans son désir de croissance authentique ?

            Cette polémique au sommet ne fraternise guère avec la Bien Aimance dont la première préoccupation est de reconnaître, en soi d’abord, en l’autre par conséquence, le cadeau que chacun représente par sa seule présence au monde. C’est une infirmité de l’intelligence d’abord, du cœur ensuite, que l’incapacité génétique de regarder l’opposant comme porteur de ressources complémentaires de soi-même. Quant à « aimer même vos ennemis », comme le conseillait un grand homme du passé, ce n’est pas hélas demain la veille ! N’y a-t-il donc aucun conseiller en expression qui puisse leur expliquer que des hurlements hystériques (entendus cette semaine) sont la négation même d’une parole forte, puissante, convaincante, respectueuse du concurrent et du respect des électeurs d’un autre camp qu’il représente ?

            En attendant, Martine et Ramatuel, la Guêpe et le Frelon, se font face, toutes piqûres dehors : la lutte continue n’est-ce pas ? Et comment ! s’exclame Martine, et dare dare ! Ce à quoi Ramatuel acquiesce : OK, mais dard dard ! C’est le bonheur du peuple qui en dépend !

            Que reste-t-il comme choix satisfaisant entre la Guêpe et le Frelon ?

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PAQUES DE MARCHANDS OU MARCHANTS DE PAQUES ?

            Revoilà la cohorte colorée des œufs pondus par les pâtissiers prompts à faire de leurs vitrines de nouveaux autels éphémères dédiés à la consommation populaire, toutes catégories confondues. Pâques cacao, cathédrales en Pâques d’amande, lapins sonnant les cloches au dieu chocolat, estimation de la réussite du weekend par les médias en termes d’euros   (qu’on me pardonne, et peut-être de rots) sonnants et trébuchants, tel risque d’être cette année encore, la manifestation de la « Pâque des marchands », éclipsant par le poids qu’on lui donne, tout autre sens que celui »d’un événement trempé sept fois dans le néant divin… » Heureusement, demeurent les joies simples des rassemblements familiaux, des enfants récoltant les œufs, déballant leurs cadeaux et peut-être quelques-uns posant la question : Pâques, qu’est-ce que c’est ? Et une espérance : que les lieux où une Parole neuve prétend être dispensée, soient vraiment un coup porté à l’hyperconsommation avalée à la vitesse d’une mousse au chocolat, laissant au cœur le goût bizarre d’une « crise de foi »quoi qu’après tout, une foi chocolatée puisse aussi se concevoir tout comme une Parole divine prédécoupée en minuscules rondelles de pain plat ! Mais où débusquer un Sens nourrissant de premier choix et pas seulement comestible, à tout cet amalgame gastro-spirituel ?

            Une fois encore, c’est la pluralité des sens auxquels nous renvoie le « jeu des mots » (comme le Lego qu’utilisent les enfants et qui signifie :je lis), qui suggère une compréhension originale de la question. Dans le cas présent, ces deux mots sont : « marchander et marcher ». Marchander consiste en un acte commercial courant qui consiste à trouver des acheteurs, proposer des prix à discuter, échanger une marchandise contre de la monnaie. C’est en tout cas, organiser une activité exclusivement autour de l’argent. De nature non suspecte, ce terme peut le devenir insensiblement si l’objet de la transaction se trouve être une personne, comme dans l’esclavage, la prostitution, la pédophilie organisée, le scandale des passeurs, toute vente d’un homme ou d’une femme dont on abaisse la valeur de travail pour sauvegarder celle de l’argent ; l’un des sommets symboliques se révélant dans la »vente-achat » du Christ par ceux mêmes qui se réclament de son camp ! Ainsi, dans la Pâques des marchands, ce sont des valeurs primitivement spirituelles qui sont réduites à l’état d’échantillons sans valeur dont on espère retirer des avantages purement matériels au point d’en dénaturer complètement la signification originelle. Dès le début de l’Eglise déjà, le magicien Simon cherchait à soutirer à Pierre, contre de l’argent, ses pouvoirs qu’il subodorait miraculeux, et Pâques était sans doute encore tout proche ! Depuis lors, cet événement hors normes s’est dégradé en un simple « produit pascal » paganisé aux accents pastoraux, printaniers et qui se vend bien !

            Le véritable sens de cette Fête mystérieuse qui signifie »Passage », suggère bien qu’on ne peut « passer » quelque part en restant immobile mais en marchant. Il concerne des marcheurs exclusivement. Pâque est l’issue d’une marche mais pas son arrêt : c’en serait plutôt l’accélération. Le peuple des croyants vient d’accomplir sa démarche de rénovation intense durant quarante jours, assimilable à un pèlerinage intérieur (Carême), à une marche montante, onéreuse, nécessitant un engagement de toute la personne. Parvenue à son terme, ou bien la route cesse brusquement, ou bien elle se poursuit : où et pourquoi ? Sans doute parce qu’elle est arrivée à destination : elle a amené le « marchant » jusque chez lui. Une fois parvenu à destination, ce dernier continue à marcher librement mais à domicile, dans sa maison, dans son domaine, sur ses terres : il n’a plus besoin du chemin balisé ou tracé d’avance qui l’a guidé jusque là, parce qu’il se trouve sur une terre familière qu’il reconnaît comme la sienne. Il peut traverser les pelouses, arpenter les prairies, les jardins et les platebandes à volonté, monter aux arbres, ses arbres, traverser son territoire dans tous les sens, sans qu’aucun sentier préalable l’y contraigne ni qu’aucune consigne le lui interdise. Tout est devenu chemin pour quelqu’un qui se trouve « chez lui ». « Je suis chemin » signifie peut-être subrepticement : je me rends chez moi. (c’est la même intuition qui avait déjà saisi Abraham au début de sa vocation : » Va vers toi »). Voilà l’audace pascale remise en selle : A Pâques, Jésus cesse à son tour d’être le chemin sur lequel il a convoqué une douzaine d’intimes pour « inaugurer » Compostelle en sa compagnie. Il les laisse désormais à eux-mêmes, inventer leur propre route. Le chemin que Jésus revendique pour lui-même cesse au moment où il a mené ses compagnons à entreprendre le leur de façon autonome : ils les rapatrie chez eux comme les Mages revenus « at home » par un autre chemin que celui recommandé par le chef religieux Hérode. Les disciples disposent à présent d’un royaume « clefs en mains » pour aménager le monde selon leur inspiration et grâce aux empreintes que leur route commune avec le »coach » a imprimées en leurs entrailles. S’ils l’ont »dans la peau », la carte Michelin n’est plus nécessaire. La très lointaine hérédité des chercheurs-marcheurs de Pâques est peut-être à débusquer dans celle des « chasseurs-cueilleurs » de nos ancêtres.

            La dernière parole qu’entendront les disciples au moment de l’Ascension est celle-ci : »Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela ; de la même manière dont vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » (Ac/1 /11).

            Cela signifie-t-il, comme d’aucuns l’ont cru, qu’il suffit d’installer un petit observatoire de jardin et s’asseoir sur un transat à lorgner l’espace avec une lunette d’approche pour guetter prochain OVNI vêtu de blanc? Une lecture trop primaire de cette phrase accrédite en effet l’envolée céleste d’un Jésus trop heureux, pour une fois, de jouer les Batman et de voir les choses de haut. Poser la question différemment aux disciples suffit à retourner la perspective : de quel itinéraire pédagogique proposé par et destiné à vous entraîner vers le ciel ou la transcendance avez-vous été les témoins et les pratiquants ?  Par quelle Parole avez-vous été ainsi marqués pour vous en faire ainsi les « enseigneurs » maintenant qu’il a pris ses distances avec ce chemin partagé avec vous ? Son chemin à lui s’arrête en pleine terre en débouchant sur vos champs, ceux qu’il vous appartient maintenant de défricher et de déchiffrer. Votre chemin céleste avec lui est celui qui a traversé de part en part la Galilée, c’est-à-dire la proximité immédiate avec l’existence de vos compatriotes, sans éviter la plus humble. Voilà sans doute le même itinéraire que doit poursuivre celui qui proclame le retour de ce Jésus. Le ciel ne renvoie pas ici à un espace cosmique ou interstellaire, mais à un état où Dieu et ses fils se parlent et se rencontrent dans la réalité des cœurs et des événements. Vous reviendrez tout seuls à cette même évidence que le chemin du ciel est un chemin de terre, au fur et à mesure que la mémoire vous en reviendra : alors réactivez inlassablement cette mémoire, remettez-vous tout ce que nous avons expérimenté ensemble dans la tête, nourrissez-vous en, car la mémoire réveillée (=ressuscitée) enrichit et réajuste la poursuite de l’action. Souvenez-vous de moi-avec-vous mais n’imitez ni mon chemin ni mon destin qui me sont personnels : organisez-en la suite comme vous l’entendez. Allez là où vos pas vous porteront. Soyez les démarcheurs des Pâques marchantes…sans marchander.

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CAIN CAHA ? CAIN KO ? CAIN HAIT ABEL ?

Petit avertissement préliminaire :

            Lorsqu’on est en présence d’un texte biblique comme c’est le cas ici, il est nécessaire de se prémunir contre des contre-sens gros comme des maisons, dont on ne nous a guère appris à nous méfier. Ceux-ci se dissimulent au niveau des interprétations de l’Ecriture au point que cette dernière peut apparaître soit séduisante soit répulsive selon le chemin sur lequel on s’engage. Le point de repère inviolable d’où partir ne se trouve pas dans les textes auxquels on est tenté de conférer une valeur absolue et immuable comme on le constate dans certaines prédications ou lieux de formation. Ce point coïncide avec le lieu et l’air du temps, les circonstances et l’ambiance culturelle au cours desquels le chercheur s’adonne à son travail de recherche. C’est-à-dire que c’est « l’aujourd’hui » de la vie qui se trouve sur la sellette. Il est donc hors de question de perdre contact avec le réel quotidien de nos existences et des questions radicales qu’il nous pose lorsqu’on aborde un texte biblique. Ce sont en effet les problèmes de notre temps, et pas ceux d’hier, qu’il nous appartient d’aborder avec le souci d’y apporter des voies de résolution propres à l’époque que nous vivons. Tout le reste n’est qu’élégance littéraire au contenu, sinon périmé, du moins frôlant la date de péremption, dont sont friands beaucoup de spécialistes patentés ! C’est » aujourd’hui » et donc pour ouvrir les immenses possibilités que l’aujourd’hui apporte avec lui, que le Christ nous remet les clefs du Royaume. Ses paroles ont destinées à des vivants dont l’intelligence travaille, se remue, s’agite, se transforme, se remet en cause en abordant le champ du réel.

            Autrement dit, se contenter de ce que des maîtres, même parmi les plus autorisés, ont pu dire dans des commentaires éclairants, devient insuffisant pour pousser plus avant les commentateurs d’aujourd’hui dans une audace inséparable d’une authentique recherche. Comme le disait le philosophe Alain : » Toute opinion, même juste, devient fausse à partir du moment où l’on s’en contente ». Au cours d’un cheminement personnel, le moindre commentaire doit permettre le surgissement d’un suivant, par son ouverture et sa flexibilité, sous peine de devenir un obstacle dans la progression du chercheur. Voilà pourquoi les non-initiés répètent à l’envi qu’on fait dire à la Bible n’importe quoi, alors que c’est elle, au contraire qui incite et qui presse son lecteur à exprimer du neuf pour ajuster ses messages aux besoins spirituels des hommes d’aujourd’hui. Les lecteurs trop passifs ou trop soumis ignorent l’exigence à laquelle doit souscrire le moindre aventurier de ces textes sublimes : tirer de sa lecture ses propres hypothèses d’interprétation qui puissent entrer dans la compréhension de ses propres interrogations et de celles de notre temps. Cette condition sine qua non concerne tous les écrits de la première Alliance (Ancien Testament) et ceux de la seconde (Nouveau Testament).

            Et maintenant vivent les pirouettes et les fantaisies littérales : elles nous réservent toujours quelques interrogations inattendues dont l’esprit devrait être friand à force d’élasticité acquise par ce genre d’exercice !

            A-t-on vraiment intérêt à ramener l’ancêtre Caïn du fond des âges pour éclairer nos lanternes d’aujourd’hui et entrer avec un peu plus de lumière au cœur de nos problèmes contemporains, notamment celui d’une violence endémique qui menace de ravager les plus élémentaires relations humaines ? Caïn a disparu de nos écrans radar depuis longtemps mais l’explosif qu’il a déposé au cœur de la première fratrie humaine ressemble à une bombe de la première guerre mondiale qui attend d’exploser de nouveau au moindre coup trop brutal porté sur le terrain qui la dissimule. C’est comme la chaine ininterrompue d’une fatalité irrémé-diable qui s’acharnerait sur notre espèce. :   l’exclusion, la haine, la guerre, l’extermination.

            Le mythe de Caïn et Abel semble être une tentative imagée d’exploration de l’incompatibilité génétique opposant les hommes entre eux en tuant dans l’œuf la plus primitive manifestation de fraternité mémorisée par l’Histoire. Certaines interprétations bibliques y lisent l’origine d’une sorte d’empoisonnement de ce que l’humain véhicule de meilleur : la relation fraternelle. La source la plus enfouie et la plus inaccessible de ce mal universel se situerait dans le meurtre primitif entre deux frères. Concurrence, jalousie, compétitivité, besoin de pouvoir absolu, dérèglement mental, tare de nature ? Qui pourrait se porter garant de la fiabilité de l’une ou l’autre de ces motivations ? Comment imaginer qu’un homme puisse susciter gratuitement de la part de son propre frère une telle allergie à son égard au point de l’éliminer froidement sans le moindre remords ?

            Mon intention n’est pas de commenter une fois de plus ce texte qui a déjà subi tant d’assauts d’exégètes habilités à le décrypter. Mais nous savons que chaque chercheur en vérité bénéficie du droit imprescriptible à l’usage du GPS biblique pour, à ce titre, proposer en toute légitimité, sa propre lecture comme un jardinier tracerait un sentier inédit dans une immense propriété où il se trouverait embauché pour la parfaire. Mais toujours dans le souci de forger une clef neuve et originale susceptible d’entrouvrir des portes pour mieux comprendre l’époque qui nous héberge.

            Nantis de ce « laissez passer » et pour commencer, qu’est-ce qui empêche d’imaginer une gémellité entre Caïn et Abel puisque leur mère les engendre l’un et l’autre dans la foulée sans précision de l’espace de temps que cela représente : le terme « aussi » du texte peut aussi bien concerner un espace allant de dix minutes à une année. Elle engendre Caïn et « aussi » Abel. Dans ce cas, tout ce qui fait la vie de l’un concerne aussi la vie de l’autre avec une proximité telle que la différenciation si nécessaire entre des jumeaux paraît parfois bien délicate à opérer : partage des parents, de l’espace familial (déjà problématique puisque le curriculum vitae de ces derniers note du tirage dans le couple d’Adam et Eve dès l’origine) : tout est vécu à deux comme s’il s’agissait d’un seul individu. Trouver sa propre place, telle est l’urgence alors qu’on semble être deux à occuper la même depuis les premiers battements de cœur. Qui habite où et au nom de quoi revendique-t-il ce droit et comment le défend-il ? Lorsque la question se pose au niveau de descendants, on sent le drame possible pointer rapidement dans la suite des siècles…Propriétaires ou simples occupants d’une même terre ? N’y aurait-il pas chez les deux frères une dimension d’irrespirabilité et d’étouffement due à un seul appareil respiratoire pour deux individus ? Ou encore un unique costume pour deux ? Et combien de guerres ont-elles éclaté pour des conflits de territoires, de conquêtes, de partages inéquitables, d’invasions illégitimes ? Combien de peuples se sont-ils »jetés » les uns sur les autres pour un droit du sol ou du sang non respecté ? Que dissimule d’ailleurs cette expression » se jeter sur » qu’on attribue à Caïn au terme de son altercation avec son frère ?

            Selon le dictionnaire du Grand Robert, jeter serait apparu au sens de « pousser précipitamment « dans ou sur. »Dès la fin du X° siècle, il est attesté au sens de « pousser vivement (qqn) à l’extérieur d’abord avec un adverbe signifiant : »dehors » puis « absolument ». « Se jeter » est aussi très ancien au sens de se « se lancer », également » se précipiter sur ».

            Parmi de nombreux dérivés, l’orientation profonde du mot indique une lancée avec une précipitation apparemment fatale car on ne mentionne aucun autre geste de Caïn avec une arme contondante (comme Abraham avec son couteau) qui aurait servi à un égorgement sauvage. C’est la seule attitude de précipitation qui aboutit à l’acte de tuer beaucoup plus sûrement qu’une machette ; la précipitation hors de soi, dehors, en dehors de soi comme semble l’indiquer la seule parole (ajoutée au texte hébreu) de Caïn à son frère : « allons dehors ». De quel dehors s’agit-il ? La conversation n’a pas l’air de se dérouler dans un lieu défini. Il reste l’hypothèse : en dehors de soi. L’expression : allons dehors, lue avec la souplesse juive, pourrait également se lire : « allons, dehors ! », c’est-à-dire : « quitte moi, hors de chez moi, je ne veux plus te voir, toi qui m’habites tel un parasite ou un corps étranger, depuis notre conception commune dans le ventre de notre mère. » Ici, c’est le ton qui tue. Celui-ci, ajouté à la précipitation, suggère une allergie particulièrement violente au cœur de Caïn. Abel serait-il perçu comme un poids intolérable sur la terre qu’occupe son frère, pesant lourdement sur son expérience ? Ce rejet précipité d’un frère hors de soi serait-il la cause des malheurs qui se succèdent parmi l’Humanité ? L’exclusion hors d’un groupe, d’une communauté, d’une parenté, l’exil forcé et immérité hors d’un pays porterait-elle en elle-même un germe mortel? A l’opposé, L’appartenance à divers groupes humains serait-elle le support incontournable sans lequel aucune vie sociale ou fraternelle n’est possible sous peine de mort ? Et surtout, porter en soi-même le germe de la fraternité serait-il l’antidote miracle de la décomposition humaine ?

            Une autre pensée se fait jour à la lumière du verbe jeter : celle d’un objet projeté à travers l’espace avec l’intention maligne d’atteindre quelqu’un. En arrière plan se profile immédiatement une scène de lapidation. Lapider un condamné supposait que la sentence s’applique « en dehors « du camp au temps des Israélites. C’est bien le dehors des choses qui pose question ou encore l’extérieur par rapport à l’intérieur. Intimer à quelqu’un qui nous est immédiatement proche l’ordre d’aller habiter dehors, c’est-à-dire nulle part, n’est-ce pas le début d’un déchirement et d’une errance mortels ? A chaque fois que Jésus aborde un thème un peu brûlant, il est menacé de se voir, soit poussé hors du temple depuis son sommet, ou lapidé : la pierre devenant le symbole de la précipitation et du ton violent avec lesquels Caïn tentait de résoudre sa propre allergie à une parole neuve. C’est cette intolérance à l’hébergement en soi-même d’une Parole Originelle si souvent opposée à la rigidité du discours de l’Humanité, qui indique le diagnostic dont souffre l’espèce humaine : le divorce entre celle-ci et la divinité qu’elle geste en elle depuis son origine.

            Imagine-t-on un instant un os jeter sa moelle hors de sa structure ? Ou un arbre se défaire de sa sève ? Ou le corps humain se débarrasser de son sang dans une hémorragie massive ? Il existe au cœur de tout vivant des éléments indissociables dont la séparation signe automatiquement la mort de ce vivant. La moelle, la sève, le sang ne sont pas de la même nature que l’os, l’arbre ou les vaisseaux sanguins : ils cohabitent pourtant dans une osmose qui est source de vie et non pas comme la présence insolite et nuisible l’un dans l’autre. Caïn et Abel seraient-ils des personnages mythiques, voire fictifs, illustrant la représentation que nos ancêtres se faisaient de l’Humanité ? Deux principes vitaux se répartissant l’identité effective de l’espèce ? Caïn désignant l’Homme en tant qu’occupant et s’occupant du sol, de la gestion et du déroulement de l’Histoire, de l’organisation et de l’exploitation de la nature, Abel désignant toute l’intériorité humaine plus féminine de l’Humanité, plus créatrice, plus pédagogique, plus subtile aussi et plus orientée vers le monde des valeurs et du Sens profond de la réalité. Les deux « frères » s’occupent ainsi de « nourrir » l’univers et l’Homme qui l’habite : Caïn par ses performances et sa technologie, Abel par la poursuite de la transcendance qu’il découvre par son intériorité, car le Sens est aussi nourrissant que le Pain. Est-il abusif d’y discerner l’importance fondatrice de l’aspect « nourricier » et non « comestible » d’une « panification de la Parole » que les vrais mystiques ont pressentie depuis les origines de la première Alliance jusque dans les pages les plus sublimes de la seconde ?

            Mais on ne peut faire l’économie de « fouiller » les alentours du verbe : tuer très utile pour adapter et élargir l’histoire des deux frères à notre monde contemporain. Car ce verbe a commencé par signifier : garder, protéger (tutelle) issu du latin « tueri » : voir, regarder. Puis le même terme a signifié : éteindre, « au temps où des croyances populaires très anciennes faisaient du feu un être vivant. » (Grand Robert). De très nombreuses langues associaient le sens de « tuer le feu » à celui « d’apaiser, rendre silencieux ». La signification de dégrader puis porter la mort est beaucoup plus tardive. Ainsi, on peut éclairer la « scène du meurtre » par ces nouveaux spots lumineux : le rejet d’Abel répond-il à un désir de Caïn de se protéger d’une intensité intérieure trop lumineuse pour la supporter et qu’il jette loin de lui pour « l’éteindre ou s’en protéger lui-même » ? Peut-être comme l’illumination brutale d’un Paul à Damas que le disciple n’a pu supporter. Tuer équivaudrait donc au besoin de faire taire, éteindre l’intensité évidente d’une remise en question dévorante, assimilable à un athéisme géant que l’Humanité n’a cessé de cultiver jusqu’aux époques les plus modernes ?

            Quand on réalise que le nom d’Abel est composé lui-même des deux premières lettres désignant Abbas, le Père et des deux dernières : El qui signifie Dieu en personne, apparaît alors en filigrane le nom caché d’Abel : Dieu le Père (c’est Dieu son père à lui aussi, à l’égal de Caïn). Caïn, tu as bien le même ADN que celui que tu nommes ton frère et qui ressemble à votre père comme « deux gouttes d’os » ! On pourrait dire que la présence de ton père « fait tapisserie » au cours de chacune de tes initiatives, de tes sentiments, de tes sensations. Présence, non d‘un dictateur de l’ombre qui te mènerait selon son bon vouloir sans se découvrir à tes yeux, mais léger et prêt à se retirer comme une buée qu’on efface d’un doigt sur une vitre, laissant seulement la marque légère de son passage. Un peu comme une lettre qu’on trouve dans la boîte et qui signale que le facteur est passé puis s’est retiré, nous laissant en tête à tête avec le courrier. Ce nom caché, comme tamisé, estompé, peut-être pour ne pas éblouir son destinataire par une révélation trop brutale : » ton frère est issu du même père que le tien », a abouti au sens officiel du nom d’Abel : la buée. Sa présence interne n’est pas ton ennemie mais bien ton intime, tout en finesse et en transparence.

            Il semble que, faute de pouvoir intérioriser positivement cette présence divine en soi, l’Humanité préfère la rejeter loin d’elle comme une greffe inappropriée : » retire-toi de moi, car je suis un homme pécheur », préférons-nous dire avec l’Apôtre, plutôt que de reconnaître, comme l’Enfant prodigue, qu’il n’a rien perdu de sa royauté originelle, génétique. On comprend mieux pourquoi Jésus recommande l’amour du frère et du prochain comme équivalent à l’amour de Dieu : c’est que, quelque part, Dieu et le frère s’identifient et « réparent » ainsi l’erreur primitive de Caïn. Car si l’Humanité s’arrache du cœur sa « doublure » divine, par quoi va-t-elle combler l’immensité de l’abîme sans fond qu’elle risque de mettre à la place ? Ce ne peut être que par des divinités de remplacement, des idoles à son image (et quelles images !), des prothèses, une divinité d’artifice sans le moindre frémissement créateur.

            C’est en particulier l’illustration massive qu’en donne l’épisode où Hérode, dans l’histoire juive, se révèle incapable d’envisager le moindre partage de souveraineté qu’il exerce à sa gloire exclusive. Il fausse en le grossissant de façon démesurée par son comportement son rôle de Caïn, en envoyant poursuivre et tuer dans l’œuf le petit, à peine né, buée encore imperceptible de la divinité, que ses verres de myope perçoivent comme une cataracte possible. Cet Abel, résurgence du tout premier, est pourtant celui que des étrangers viennent de reconnaître comme étant le seul cœur du monde battant en vérité. Et c’est par ce nouveau chemin que les visiteurs d’Orient reviennent chez eux, ou plutôt à eux, et lui rendent « hommes-mages ». Ici, Caïn se plonge en pleine autodestruction. ( et pourtant, de source autorisée, ce monarque ne se trouvait pas en situation de campagne présidentielle !!)

            Le rejet d’Abel signifierait donc aussi qu’il s’agit peut-être dans l’esprit des « inventeurs de ce mythe », non d’un meurtre concernant la fraternité, mais d’une tentative massive de suicide de l’Humanité, incapable de reconnaître la présence divine en son sein en la considérant comme incongrue et incapacitante. Suicide qui se perpétue dans des prises de position philosophiques, religieuses, idéologiques chez de nombreux intellectuels (mais pas seulement) dont la vision de la transcendance outrepasse la simple buée pour se réduire à un trou noir, confirmant ainsi que l’exclusion d’Ab-bel (ni Dieu ni maître !) se poursuit au long des siècles. Une humanité ainsi déchirée intérieurement ne peut que se défendre, à priori, toutes griffes et tous crocs dehors, comme une bête blessée à mort, contre toute approche d’apprivoisement spirituel, même la plus respectueuse et la plus tendre. C’est l’écho qu’en donnent plusieurs psaumes sous l’image de lions qui déchirent et lacèrent leur proie comme c’est aujourd’hui le rôle du remords, de la dépression, du désespoir suicidaire en ceux qui croient leur cœur inhabité. Notre existence contemporaine collective ne confirme-t-elle pas cette hypothèse ? Ceci nous permet d’avancer que ce mythe « de Caïn hait Abel » n’est que l’expression de ce chaque personne vit au long de son existence, tel un déchirement intérieur intolérable, comme le grand’prêtre qui, autrefois, déchirait ses propres vêtements lorsque ses oreilles encaissaient plus que ce qu’il pouvait entendre. Pour nombre de nos contemporains, une présence divine au cœur de l’Homme demeure inaudible, pas même avec la légèreté d’une buée. Serait-ce en même temps une haine de soi-même ?

            Parler ici de suicide ne concerne pas l’interruption volontaire de l’existence individuelle décidée par des individus en particulier. Il s’agit de l’Humanité en train de réfléchir sur les raisons de sa constante détérioration au long de l’Histoire et dont le fonctionnement est axé sur des risques de disparition tels que les médias posent aujourd’hui la question : l’espèce va-t-elle survivre et résister à tous les dysfonctionnements massifs dus aux guerres, à la menace nucléaire, aux désastres écologiques, aux inégalités géopolitiques, aux intolérances religieuses etc ? Ce terme de suicide évoque plutôt un processus d’autodestruction lent et inexorable mais sans date d’extinction prévisible du potentiel spirituel de l’Humanité (autrement dit de la survie d’Abel) tant que se maintiennent des réactions positives issues de groupes, témoins actifs du maintien de la divinité au cœur de l’Homme.

            Et pourtant, aucune vengeance, aucune condamnation ne vient frapper le coupable. Tant qu’il reste vivant, c’est de lui que l’Ecriture demande qu’on s’occupe : la garde rapprochée de Caïn veille sur lui sept ans, c’est-à-dire le temps nécessaire pour qu’il puisse se reprendre, ce qu’il fera dans son existence ultérieure. Ce qui est mort n’a plus besoin de secours, ce qui vit requiert tous les soins possibles, quelles que soient les raisons qu’on aie de l’exterminer en cas de défaillance grave. Nous ne sommes pas chargés d’établir une justice à notre image dans cet imbroglio du monde, mais d’entretenir la Vie, seule Justice à notre portée. Celle-ci n’a rien d’un produit reproductible à volonté par les hommes, mais elle est d’abord un cadeau inconditionnel et gratuit que nous n’avons pas inventé et qui nous est remis intégralement entre les mains.

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  LES GLISSADES DE DIEU  

Pourquoi Dieu nous glisse-t-il si aisément entre les doigts ?

            Il semble impossible de retenir l’eau entre ses doigts : tout au plus ceux-ci demeurent-ils mouillés, humides, signalant un passage de l’eau que rien n’a emprisonnée. Le liquide s’en est déjà allé. Des traces, des marques, des symptômes mais aucune consistance ni de contenu. Tout juste comme une vedette qu’on est accouru applaudir et dont on ne recueille au mieux qu’un autographe sur un coin d’enveloppe. Ainsi en est-il de toute personne ou même de tout objet impossible à capter ou capturer qui ne reste jamais en place à cause de sa mobilité permanente. Dieu s’apparenterait-il à cette « espèce d’objet » qui n’a aucune place à occuper, sauf celle d’un transit permanent ? Ou d’un transfuge ? S’il n‘a pas de place, peut-il envoyer un remplaçant homologué ? Emigré, migrateur, amaigri, qui serait celui auquel aucune place définie ne semble convenir ? Un instable, un insatisfait, un inadapté à notre monde ? Un proscrit ? Ou encore un rêve, une chimère, un prétexte, une représentation mentale ? Un substitut du hasard ? Une espérance pour les uns, un cauchemar pour les autres ? Enchanteur, elfe, magicien ? Factotum, souverain, régisseur ? En CDD ou CDI selon les exigences et les caprices de nos demandes ? A quels critères voudrions-nous le voir correspondre ? Et d’ailleurs, en quoi une préférence pour le genre masculin le désignerait-il plus particulièrement comme remplissant les conditions d’identité de celui qu’on cherche ?

            Donc hypothèse plausible : la mobilité permanente d’un tel Etre. Dieu ne serait jamais à la place où on croit l’atteindre, mais déjà ailleurs que là où on le cherche. Parce que s’il est lié à la Vie comme un consensus généralisé semble lui en attribuer le privilège, celle-ci ne peut »rester en place » sans risque de s’étioler ou de se dessécher comme une mare d’eau s’évapore au soleil. Et Dieu s’évaporerait avec elle puisqu’ils sont inséparables. En fait, s’il n’est jamais là où on espère le rencontrer ou au moins le croiser fugitivement, c’est tout simplement parce qu’il marche. Dieu est en marche. Un vivant en constante circulation comme en témoigne la circulation sanguine, l’air dans les voies respiratoires, l’influx nerveux le long des neurones, l’agitation moléculaire, les réactions cérébrales et tous les échanges vivants dans la nature et le cosmos, ça bouge infiniment. Cela rappelle les anciens photographes s’acharnant à prendre à main levée un cheval au galop et qui ne récupérait leurs clichés que dans un flou indéfinissable. Le Vivant ne se laisse pas capturer par un simple déclic : une fois la photo prise, le portrait est déjà imperceptiblement changé au-delà de la prise de vue.

            Et justement, à quel « point de vue » nous situons-nous pour capter quelque chose de Dieu ou prétendre le reconnaître au long des étapes de notre parcours »Vital. » ?

            Avant d’aborder cette question, peut-être pouvons-nous nous poser une hypothèse insolite (et insolente !) : si Dieu était un personnage de roman, comment serait-il appréhendé par ses lecteurs ? Essentiellement comme un personnage changeant donc capable de décontenancer ceux qui l’approchent. Entre le début et la fin d’un ouvrage, le héros principal ne cesse, en effet, de se modifier au long des chapitres au point parfois de donner de lui, à la fin, une image totalement opposée à celle des premières pages (ceci est particulièrement flagrant dans les romans policiers par exemple, où l’identité de l’assassin en surprend plus d’un, passant du plus jovial père de famille à la crapule la plus imbuvable). C’est justement la notion de changement dans les personnages qui est le ressort principal de l’intrigue. Voilà en quoi Dieu nous intrigue en jouant l’intrigant. Les représentations imagées les plus récentes qu’on a d’un familier vont parfois jusqu’à contredire celles d’un passé récent ou plus ancien qu’on a gardées de lui. Même ces dernières images sont encore relatives à cause de l’impermanence des apparences : ce que je vois ne disparaît pas mais s’en va toujours plus loin. Tout personnage qui croise ainsi nos chemins se voit soumis à ce changement de perspective à cause d’une mobilité due à sa complexité même. Le vivant étant complexe, évolue lentement mais sûrement : comment Dieu échapperait-il à cette évolution, sans menace d’apparaître comme un roc immobile, immuable, irreprésentable et inapprochable ? Il glisse à son allure au jour le jour le long de nos chemins comme un personnage glisse au long des pages d’un roman modifiant petit à petit son profil jusqu’à nous réjouir par ses métamorphoses joyeusement surprenantes. On pourrait dire qu’un vivant quel qu’il soit, met du temps à déployer les richesses insoupçonnées de son être. On ne peut donc le saisir dans son envergure qu’au bout d’une durée et d’une évolution impossibles à prévoir ou à déterminer d’avance. On découvre là les limites d’une doctrine ou de dogmes qui cherchent justement à immobiliser ce qui fait le noyau d’un vivant : sa mobilité.

            Les représentations de Dieu qui sont les nôtres aujourd’hui doivent et ne peuvent donc que bousculer, voire heurter celles d’un passé, de notre enfance, de l’adolescence, entre autres, ainsi que les suivantes, et parfois même les contredire violemment. C’est ce qu’indiquent les symptômes de fadeur et de vide ressentis un peu partout aujourd’hui dans les lieux de culte. Cela n’est nullement lié à une instabilité maladive de Dieu, mais à une obstination, parfois farouche, de notre part, à en préserver une représentation définitive et inchangée tout au long de la vie (oserai-je dire à ensiler pour longtemps ?) Plus on approche de la fin d’un livre (y compris celui de notre existence), plus nos regards sur la divinité s’ajustent à sa véritable Origine, de même que le visage du héros final d’un roman s’affine, se précise et se dessine plus nettement qu’au début. La recherche inlassable dans les textes fondateurs, la sensibilité au vivant, à l’image, au symbole, la familiarité avec les métaphores, les échanges avec d’autres chercheurs, poussent inlassablement le vrai spirituel à débusquer d’autres visages de la divinité sous le masque du présent. Nous ne changeons pas de Dieu comme de chemise, ainsi que le prétendent certains partisans plâtrés dans leur immobilisme religieux, mais nous acceptons que Lui change comme nous-mêmes nous modifions au long des années d’évolution et donc qu’Il ne soit pas changé en statue, (de celles que nous vénérons avec tant de ferveur gustative !) Il est vrai que les malfaçons dont nous avons tatoué le visage d’un Dieu que nos frères juifs supplient de n’en faire aucune image sous peine d’en fabriquer un Quasimodo, sont tellement innombrables, voire hideuses, que beaucoup de croyants se lassent de chercher ce Dieu relevant plus du monde des fantômes qu’on tente de greffer sur un corps support d’une résurrection qui ne simplifie pas les choses ! Les premiers hommes l’ont donc pisté en commençant par déifier la nature ou ses symboles les plus impressionnants, puis sont advenues les sculptures, les peintures, les icones, les statues, les monuments, les églises, les chapelles, oratoires et autres lieux consacrés. Au rang de qualité inférieure, on a inventé les objets de piété, les images pieuses, les médailles, les ostensoirs, les crucifix d’ornement puis toutes sortes de dévotions, de pratiques, de rites asséchés déconnectés du réel dont, il faut oser l’évoquer, la fameuse hostie isolée de son contexte évangélique et devenue petit à petit, une sorte d’eucharistie tronquée, raccourcie, miniaturisée, réduite à un pur support matériel tout en revendiquant l’exclusivité d’une « Présence réelle » de la divinité ! Ainsi conçue et entretenue par un discours officiel qui ne tient aucun compte des diverses eucharisties relatées dans l’Ecriture, elle s’est lentement isolée et transformée en un concentré de toutes nos croyances, fantasmes, rêves, solutions miracles, projections, espoirs faux ou réels, objet de vénération, tel un paquetage contenant à l’avance tout ce qui est nécessaire à la survie, y compris une assurance sur la vie éternelle. L’image qui remonte est celle de la carte Vital de la Sécu, concentrant dans une puce tous les renseignements nécessaires. Dans certains lieux religieux, on se nourrit d’hosties comme d’une carte Vital dont il suffit d’engloutir la puce sans se poser plus de questions puisque ce minuscule outil détient quasiment toutes les réponses (La tentation est grande d’y voir un Marché aux Puces (Dei), d’autant que l’on refuse toujours de considérer chaque homme ou femme que l’on croise sur sa route comme un ostensoir personnel de la présence divine ! Tant pis !

            En illustration, la réaction récente de cette petite fille de sept ans, bien préparée à sa première communion, motivée par un entourage d’authentique valeur spirituelle, et répondant à sa grand’mère qui l’interrogeait sur ses réactions une fois la cérémonie achevée : « Oh oui, c’était très bien, j’ai tout fait et j’ai même réussi à avaler le petit bout de papier » ! Comme quoi, l’inimaginable peut se produire et ce n’est pas seulement une question de foi, inattaquable chez cette enfant, mais d’intelligence des textes fondateurs à laquelle elle n’a pas eu accès. Et que nous ne savons pas suffisamment transmettre. C’est que nous persistons dans la confusion entre hostie et Eucharistie. Ceux qui ne peuvent dépasser cette distinction ressemblent à des clients de restaurant qui s’obstinent à confondre le couvert et le menu ! Le tout est soigneusement conditionné par des religions à tendances doctrinaire, dominatrices, régulatrices de morale plus que de réelle spiritualisation du vivant. Doctrines, dogmes, commandements, et souvent menaces de répression au besoin. Comment un fidèle peut-il y retrouver son coach ou le berger sa brebis en goguette ? Comment Dieu lui-même n’aurait-il pas envie de tirer son épingle d’un tel jeu et de se glisser entre les barreaux de la cage ? Et qu’on ne vienne pas ici pousser des cris d’orfraie ou jouer les dandys de la tradition en en appelant au règlement de compte : ce sont des questions fondamentales concernant l’évolution nécessaire de plus d’un milliard de croyants, mais il arrive qu’inexplicablement, ce chiffre soit considéré comme négligeable lorsqu’il s’agit pour des responsables de se remettre en question : tant pis ! Avançons !

            Pour qu’une trace ait des chances d’être repérable, elle doit être proche de moi, si possible à me toucher et réconcilier ainsi la vision et le toucher. Elle doit donc être corporelle, concrète, saisissable sur un terrain où elle laisse une empreinte identifiable : mon corps, mon expérience, mon histoire.

            De l’observation de ces traces, on peut conclure qu’elles se partagent en traces positives et en traces négatives dans ces trois domaines.

            Les traces corporelles positives : la tendresse échangée, les caresses, les étreintes, les bienfaits ressentis d’une santé entretenue, les baisers, les jouissances sportives, les échanges avec la nature. Mais aussi les sensations, l’harmonie, les impressions intérieures de bonheur ou de joies intenses, de réussite, de ressources assumées. Et également la conscience d’un fonctionnement cérébral et intellectuel sans entraves.

            Les traces positives dans l’expérience quotidienne : la créativité, les essais aboutis, la reconnaissance sociale, la consécration d’un travail ou d’une œuvre, la solidarité, le sentiment d’utilité publique, l’engagement pour des causes de haut niveau, le combats pour un assainissement de la moralité publique etc….

            Les traces positives dans l’histoire : la fierté liée à une oeuvre personnelle, la fidélité à ses valeurs personnelles, l’ouverture de chemins nouveaux, la contribution à une promotion de l’Humain sur le technologique, la prise en compte des valeurs contemporaines, le choix des forces de vie face à la violence destructrice etc.. Au plan de la spiritualité : évacuation de ce dont le Christ est venu nous guérir : la culpabilité morbide, l’indignité congénitale, la dépendance institutionnelle. La sensation de croître vers la transcendance, d’ouverture vers plus de Bien-Aimance

            Les traces corporelles négatives : les coups, bleus, oedèmes, blessures violentes, maladies, douleurs diverses, fractures, amputations, obésité, anorexie ; mais aussi sentiments de faiblesse, d’abandon, d’impuissance, dépressions, amertumes, remords, culpabilité etc…

            Les traces négatives ancrées dans l’expérience durable : sentiments d’échec, d’inutilité, bilan plutôt passif qu’actif en tous domaines, exclusion, rejet, désocialisation, burn-out, sensation de ne pas être acteur de sa vie, dépendance et manque d’autonomie.

            Les traces négatives marquées dans l’histoire personnelle : sentiment de ratage durable, critique ou condamnation sans appel par l’entourage des proches, effets dévastateurs de la prison, de l’enfermement thérapeutique, de la clochardisation, sentiment « d’être de trop » dans la société présente.

            Aucune de ces listes n’est exhaustive mais donne au moins l’idée du trajet préférentiel convoité par un Vivant digne de ce nom. Ce n’est pas trop dire que Dieu prend plus volontiers le parti de la vie que celui de la souffrance et nous le signifie en nous marquant de ses innombrables empreintes quotidiennes dans l’expérience humaine ce que les psaumes appelaient la pluie qui féconde la terre, ou le tatouage que les compagnons de la divinité portent sur le bras, (Cantique) ou mieux encore « dans » leurs bras pour embrasser plutôt que rejeter.

            Mais parmi les traces positives qui laissent visiblement, tels des anciens microsillons repérables à qui observe de près, il en est une spéciale qui ne dépose aucun impact matérialisable : c’est la « marque ». Celle-ci est le repère impalpable laissé sur un mur par un tableau qui y a séjourné vingt ans ou plus et qu’on vient de retirer : il ne reste rien. La marque est le signe du « plus rien », de l’absence : il n’y a plus rien là où il y avait quelque chose auparavant. La conséquence de cette observation est immense pour le monde des croyants. C’est l’attitude de Thomas qui cherche « la marque » des clous dit le texte de Jean, et non la trace. Thomas passe d’un seul coup à un Christ totalement débarrassé des stigmates de la mort pour n’adhérer qu’à un Jésus qui laisse au vestiaire sa Croix, ses clous et tout l’arsenal de la mort : on n’en parle plus : « c’était et ça n’est plus » de circonstance. Thomas est sans doute le disciple le plus authentique et le plus intelligent de la bande, en tout cas doué d’une pédagogie de croissance hors concours que l’Eglise semble encore aujourd’hui, n’avoir pas prise à son compte : le musée des clous et des horreurs poursuit ses dégâts en s’ouvrant régulièrement au public tous les vendredis saints avec un rappel seriné à chaque messe ! Tant pis ! Déclouons !

            Une trace ne tient pas debout en l’air sans support sur lequel se rendre visible. Les traces de la présence divine sont en nous et pas en l’air. « Pourquoi vous arrêtez-vous à regarder le ciel ? demandent les anges aux disciples décontenancés au moment de l’Ascension ? Souvenez-vous une bonne fois pour toutes que le ciel est venu jusqu’à vous et que c’est désormais en vous qu’il faut travailler à établir son influence. Rappelez-vous ce qu’il vous a dit : « Je vous donne les clefs de la situation » (sous-entendu : et je n’ai pas le double !) Chacun de nous est un répertoire enregistré des passages de Dieu telle la partition d’un auteur original. Une portée sur laquelle il a laissé des notes que nous négligeons de jouer. Les traces ne sont pas tant dans les livres, fût-il l’Evangile, que dans ce que les livres ont inscrit en creux dans notre chair vive. Car ce ne sont pas seulement nos dispositions intellectuelles qui réagissent à une lecture, c’est toute notre existence en aval qui en reçoit l’impact. Il faut donc en conclure que, sur une dernière glissade, c’est en nous-mêmes « corps-âme-esprit » que Dieu se faufile en s’extirpant de tous les faux fuyants que nous accumulons devant son approche. Il n’a pas que les pieds sur terre, mais tout son être depuis qu’il a jugé que nous étions des êtres à sa mesure. Nous sommes son « tabernacle de sûreté » qui demeure sereinement ouvert et disponible depuis qu’on en a jeté la clef (en écho à la chanson de M. Le Forestier : la maison bleue).

            Il se peut enfin qu’une glissade particulière, de celles qu’on ne pratique qu’en hiver, oblige Dieu à patiner au-dessus et en surface seulement des conditions que nous lui offrons pour entrer chez nous : un terrain hélas gelé en profondeur : liturgies raides et immuables, froideur des relations fraternelles, glaciation déjà ancienne d’un discours religieux, permafrost irréductible d’un conservatisme figeant toutes les initiatives. Ne nous étonnons pas que Dieu attende le printemps pour qui dégèlera la terre pour effleurer puis semer à condition qu’elle s’ouvre d’elle-même aux opportunités que lui offre un soleil pénétrant.

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RETOUR A L’ENFANCE ET SOUDAIN…

           Les découvertes les plus inattendues et les plus lumineuses naissent du côté minuscule des choses. Le minuscule contient en lui-même le démesuré comme le gland contient le chêne ou l’oeuf primitif le dinosaure. Et comme l’enfant que j’ai été contenait l’adulte que je suis. L’enfance est souvent un coffre aux trésors qu’on laisse s’empoussiérer dans le grenier sans se douter des clefs qu’elle nous réserve pour un présent qui peine parfois à se comprendre lui-même.

            Et sont remontés à la mémoire de mes quatre ans environ, les cubes avec lesquels mes parents obtenaient une paix provisoire pendant que je les dispersais en vrac sur le tapis du salon. Dialogue fructueux entre ces morceaux de bois inertes et mon intelligence sortant de l’œuf. Pendant quelques fractions de secondes, ces cubes étaient à ma disposition, se laissant amonceler, aligner comme une suite de wagons en gare, empiler en une tour Eiffel à l’existence oscillante, et finissant dans un écroulement maladroit ou parfois provoqué par le coup de pied semi volontaire d’un frère jaloux ou déjà familier du conflit « pour voir » ! Résultats immédiats : cris, colère explosive se traduisant par un jet de cubes multidirectionnel sans souci des risques encourus par les vases alentours ou même les vitres jugées jouir d’une impunité infrangible : « tu n‘as tout de même pas osé envoyer ça par la fenêtre ! As-tu pensé aux gens qui passent devant chez nous ? ».

            Aujourd’hui, soudainement, c’est l’illumination : au bout de 😯 décennies, le pressentiment que la philosophie, disons la sagesse pour faire court, commence avec l’enfance. Le pouvoir de construire et de détruire concentré entre mes mains de marmot : bâtir et démolir, édifier et écrouler, rassembler et disperser. Ca commence avec des cubes ça se poursuit avec du modelage, du bricolage puis des jets de pavés, une passion pour les armes. On sème et puis on arrache, on bâtit civilisations et empires et on s’emploie à tout effacer pour recommencer. Et tout cela successivement et avec les mêmes mains. Des mains qui manipulent à volonté le conflit et la paix, qui caressent et étranglent, qui discutent à poings fermés ou les mains ouvertes devant toi, qui décident de la survie ou de la mise à mort de bien des personnes. Ce sont ses propres cubes que l’enfant organise ou éparpille, personne ne le fait à sa place. Ce faisant, il commence à se construire une vision du monde ainsi que de la stratégie qu’il y établira pour y vivre. Cela signifie-t-il que dès l’origine, il nous appartient de faire du monde ce que nous en faisons ? Sommes-nous obligés de passer par la case destruction pour enclencher la construction ? Est-ce l’alternance entre ces deux phases qui fait progresser l’univers ? Y avait-il un rapport avec les paroles d’un certain Jérémie, 6OO ans av JC auquel son reflet dans la glace renvoyait l’image d’un homme « envoyé pour arracher et démolir, pour bâtir et planter » ? Le tout avec les mêmes mains lui aussi ? Nous aurait-il ainsi » passé la main » pour poursuivre ce rythme étrange ?

            Lorsque l’enfant démolit la tour qu’il a bâtie avec ses cubes, il ne fait qu’attenter à une tentative sans lendemain qui n’atteint pas sa capacité d’en engendrer d’autres. Il ne perd rien de sa puissance d’invention. Son aptitude à créer demeure intacte. Le dérapage se produit lorsqu’il projette son échec sur l’environnement en y catapultant les cubes par rage subite, lui faisant subir à l’entour un dommage dont ce dernier n’est pas responsable. Défaire ce que nous venons de réaliser n’équivaut pas à détruire nos capacités à renouveler l’exploit. Etre témoin de l’écroulement des empires n’est pas reconnaître non plus nos inaptitudes à susciter les suivants. Irait-on jusqu’à dire qu’il faut inévitablement passer par une phase de déconstruction pour pouvoir reconstruire ? Plus qu’une juxtaposition des civilisations dans l’Histoire, on constate leur empilement jusque dans les strates des sols où elles ont été édifiées, s’éliminant ainsi les unes les autres. En est-il de même pour les systèmes politiques, les philosophies, les doctrines, les théories, les hypothèses scientifiques, les religions ? C’est le dilemme qui frappe dès la petite enfance : l’enfant a le choix devant la chute de sa tour : ou tout envoyer promener dans une crise régressive parce que s’accompagnant de violence, soit envisager une nouvelle conception positive avec les mêmes cubes. Ceci explique en plus grand et en plus dramatique la rage destructrice très infantile des extrémistes djihadistes dynamitant les trésors de l’Antiquité, identique à celle du gamin qui s’enferme dans sa logique de projection coléreuse des objets. La réalité est que, dans tous les cas, c’est nous qui tenons notre destin en mains soit comme des outils de coopération fraternelle, soit comme des grenades dégoupillées prêtes à pulvériser l’entourage. Le sort du monde repose bien entre nos mains dès nos premiers pas et non pas principalement sur des forces obscures non identifiées.

            De plus, détruire comporte des avantages, entre autres celui de dépasser ce qu’on a accompli pour éviter de se contenter du résultat obtenu. (cf le philosophe Alain : « Toute opinion même juste devient fausse à partir du moment où l’on s’en contente ».) Oublier son dernier succès, c’est dans le même temps se souvenir et enregistrer la stratégie qui nous a été nécessaire pour y parvenir, donc la facilité de réitérer ultérieurement le succès avec même une plus value et mieux encore, compte tenu qu’une expérience réussie enrichit toujours les capacités d’apprentissage de l’acteur. En « lâchant » ainsi les résultats obtenus, nous faisons de la place à l’éclosion de nouvelles aptitudes. On devrait comptabiliser un succès plutôt que de s’en réjouir, l’oubliant pour se focaliser ailleurs que sur le seul résultat : sur la prise de conscience des futures ressources qui nous attendent par exemple.

            La disparition ou l’oubli des cultures successives sont-ils donc un facteur de progrès ? Une question demeure : l’enfant qui assiste ou participe à la démolition de sa tour s’y prend-il avec une intention destructrice ou simplement dans un souci de remaniement et de remplacement de l’ancien par le nouveau ? Mieux : doit-il se contenter d’être simple témoin impuissant du maintien éphémère de ce qu’il entreprend ou participer volontairement à son élimination ? La destruction volontaire est-elle une phase incontournable de rénovation ?

            N’est-ce pas l’exemple qu’offre l’habituelle politique française avec son alternance droite gauche assurant le blocage régulier entre déconstruction et reconstruction, chaque parti espérant la ruine de l’adversaire avant de proposer ce qui sera de toutes façons contestée par ce dernier ? Cette façon de faire n’a pas en ligne de mire l’avenir d’un pays mais la conquête d’un pouvoir personnel par élimination des concurrents. Comme s’il s’agissait de se couper une main pour assurer le triomphe de la seconde. Ne peut-on rebâtir que sur les ruines provoquées volontairement, qu’après avoir bazardé les cubes du partenaire ? Politique d’incompétence de gens mal latéralisés qui utilisent leur droite et leur gauche comme deux armes offensives et non comme deux outils complémentaires. (Est-ce cet exercice qu’on nomme la boxe française ?)

            Parce qu’à ce petit jeu-là, toute réalité de nos existences, personnelle ou collective, risque de passer au crible de la « déconstruction-reconstruction » avec, pour seul « moteur de recherche », tenter de comprendre l’impermanence des choses. Ou encore : comment peut-on vivre sans durer ? Ce que nous expérimentons du monde, n’est-ce pas une réalité sans corps, une virtualité illusoire ? La durée d’une existence humaine ne se réduit-elle pas alors à un long évanouissement sans réanimation réelle ? Un long tunnel obscur dont seules l’entrée et la sortie, la naissance et la mort nous déterminent le parcours ?

            Dans ce cas de figure, je remplace dans ma tête les termes destruction, décomposition – corruption qualifiant habituellement la mort – par le terme dé-construction … et celui de résurrection par le mot : re-construction. Pour « resus-citer », il faut avoir quelque chose de dé-construit à redresser. Je ne peux en effet relever de terre un bâtiment tant qu’il est encore debout. Ces deux vocables ont l’avantage d’engager notre responsabilité dans tout ce qui nous concerne ou qui dépend de nous dès maintenant pour maintenir debout les hommes et leur univers. Les êtres animés que nous sommes tiennent en leurs mains, la gauche et la droite, une partie des ressorts de leur vie et peuvent en activer la mise en service selon leur désir. Je puis m’envisager ainsi moi-même et me situer aujourd’hui et maintenant en tant que personne mourante ou renaissante, en état de dé-construction ou de re-construction. Mort-résurrection, lieu d’énergie permanente dont je détiens les fusibles à portée de main. Tout loisir m’est laissé de manipuler « mes cubes » soit pour construire soit pour démolir. Et le monde s’en trouvera forcément modifié dans un sens ou dans l’autre car l’énergie positive ou négative qui émane de moi se répercute dans l’instant de vivant à vivant sur mon environnement immédiat.

            En écrivant ces lignes, j’apprends ce matin même le décès d’un ami cher, Jean, confrère du Séminaire d’Issy les Moulineaux, humainement et spirituellement pourvu de deux mains géantes qui lui ont permis d’abattre en plein Paris une très vieille église paroissiale ayant épuisé ses capacités de réunir une assemblée vivante, et d’en reconstruire une nouvelle sur place à partir des besoins réels de la population et des ressources engagées par elle. Le bâtiment ne l’intéressait que parce qu’il était l’expression du désir et d’une expression collective largement partagée : abattre ce qui ne convient plus aux nécessités du présent : c’est faire du vide dans les souvenirs afin de faire de la place aux projets. La déconstruction peut faire l’objet d’une décision d’abord intelligente avant et au lieu d’être guerrière et devient alors une phase nécessaire de la reconstruction. Cette nouvelle église ne prenait sens que parce qu’enracinée dans une communauté nouvelle exprimant librement ses orientations. Avec une telle convergence « des deux mains » de tout un groupe, on peut s’autoriser à oser sur une large échelle. Cette audace semble bien un apanage de l’enfance. Voilà pourquoi il nous est demandé de redevenir comme des enfants : parce qu’ils ont tout entre leurs mains dès le départ et non pas pour mettre en exergue leur soi-disant innocence. Si tout commence avec l’enfance, quels débuts prometteurs ne peut-on attendre des enfants de Dieu à condition qu’ils se reconnaissent (et qu’on les reconnaisse !) comme tels !

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Ma chair sœur (!)

            Imaginez un peu ma stupéfaction lorsque descendant de ma balance après la pesée de rigueur quotidienne, je constate que s’affiche sur le cadran 16 kilos de moins que les jours précédents. 16 kilos de bonne chair en moins, disparus, envolés, volatilisés. 2×8 kilos de moi en moins ! Entraîné par la routine, je n’avais pas remarqué la descente en flèche de l’aiguille qui avait dû entamer son plongeon depuis quelque temps déjà et j ‘en prenais conscience à cet instant précis. Le choc ! Si vous sortez d’une boucherie avec un sac de 32 livres de marchandises à la main, ça se remarque dans la seconde. En me regardant de plus près, je me demandais comment la glace allait pouvoir me renvoyer cette absence de moi : un morceau de vous-mêmes qui se fait la malle sans prévenir, ça mérite qu’on en cause, qu’on entame des recherches ou qu’on repère au moins l’emplacement au cas où il reviendrait mystérieusement se garer à la même place.

            Mais voilà : aucun emplacement vide sur ma silhouette : elle est entière, intégrale, ne laissant rien apparaître de ce qui pourrait s’apparenter à un rapt ou à une amputation. Je suis intact malgré ces seize kilos qui manquent à l’appel. Qu’est-ce que c’est que cette espèce de schéma en kit qui concerne d’ailleurs plus que mon seul corps mais toute ma personnalité : lorsque j’évoque en effet mon enfance, ma jeunesse, mon adolescence ou toute autre période de mon parcours, le même constat s’impose : tout a disparu. Au mieux, ces tranches de vie réapparaissent en filigrane derrière le moment présent comme ayant existé en un autre temps. Mais ce sont des images le plus souvent évanescentes, fugitives, figées, semblables à un album de photos qu’on ouvrirait de temps à autre, certains d’y trouver toujours les mêmes choses mais dévitalisées. Oui, mais seize kilos de bonne vie fraîche et récente, c’est autre chose que des effigies dévitalisées : que sont –elles devenues ? Perdues corps (et âme ?) dans la nature ou le cosmos ?

            Car enfin, elles ont participé pleinement à la vie du Moi : elles ont travaillé, pensé, élaboré, cherché, réalisé quelque chose de non négligeable tant qu’elles me « tenaient au corps ». Elles ont fait parties intégrantes de ma personne sans lesquelles mon « moi d’époque » n’aurait pas été complet. Il s’agit donc bien de quelque chose d’essentiel et non pas d’un vague morceau de cette chair que beaucoup ont tendance à classer un peu vite parmi les valeurs corruptibles et donc sans avenir.

            La valeur de cette chair prise isolément du corps auquel elle a appartenu, tire sa consistance et sa noblesse d’avoir été constitutive d’une personne, plus seulement d’un corps, mais d’une personne intégrale. Elle en garde donc l’empreinte indélébile. De plus, ma personne n’est pas une espèce de « matériau » inerte, purement plastique, maniable, sans âme, un simple détail de ma vie charnelle, un outil polyvalent ou à but commercial interchangeable avec un exemplaire semblable. Ma personne a été et demeure imprégnée par l’esprit qui lui a conféré sa faculté d’avoir un sens et pas seulement une utilité de circonstance. Ainsi, lorsque « s’égare du même coup » une masse de cette chair-là avec toute la vie qui s’y trouve suspendue comme autant de grappes de raisin ou d’épis mûrs à vendanger ou moissonner, c’est également une part d’esprit qui m’échappe. Pour aller où ? Pour devenir quoi ou régresser vers quel état ? A-t-on vu une seule fois de telles récoltes immédiatement jetées au rebut par le paysan qui en est l’auteur et le propriétaire ? Quelle inintelligence nous travaille donc pour imaginer pareil sort à une chair qui aura si bien servi les intérêts de l’Humanité ? Quel esprit tordu nous incite à penser que la chair serait incompatible avec la divinité alors qu’elle en est partenaire depuis les origines du monde selon les mythes les plus anciens dans la plupart des cultures ! Si ces considérations pouvaient participer à remettre debout dans le bon sens ceux et celles dont des doctrines à dormir debout ont brouillé tant de neurones spirituels, quel souffle ce serait ! Et tenir debout, c’est tenir « les deux bouts », c’est-à-dire tenir accordées la chair et la divinité main dans la main. Sinon, c’est prendre le risque, comme on le constate cruellement au spectacle révoltant à bien des égards que nous présente notre époque après tant d’autres, d’un déchirement de tout l’univers vivant dans une absurdité irréconciliable.

            Je note de plus que ce détachement de chair s’est opéré en douceur, sans à coups, quasi invisiblement et sans effet secondaire apparent, ne laissant aucune autre cicatrice que celle de l’absence. Qu’est-ce donc que ce Moi qui s’accommode sans peine d’une perte partielle de lui-même tout en refaçonnant ce qui reste de lui en une totalité intégrale ?

            Il existe donc bien un lien apparemment indissoluble entre ma chair, mon corps, mon esprit et ma personne. La dissociation de ces éléments entraine automatiquement l’implosion de mon identité. Je suis un être complexe et complet. Complet seulement si j’accepte la complexité dans laquelle coexistent donc des éléments qui me sont familiers avec d’autres qui m’échappent. Parmi ces derniers qui dépassent la matière à proprement parler, je compte la dimension d’une transcendance qui m’ouvre démesurément sur l’infini du cosmos, ma parenté proche avec les forces qui régissent l’univers, les relations de cœur et d’intelligence qui m’ouvrent à volonté sur tous les humains prêts à s’engager dans l’aventure d’une humanité sans limites péremptoirement restrictives, mes capacités créatrices dont je suis responsable d’ouvrir les écluses intarissables sur le monde qui m’entoure. Et pour finir, la question haletante qui nous tient tous en haleine : comment tout delà va-t-il ou pourra-t-il finir ? Réponse au bout du chemin.

            Mais quel chemin autre que le chemin de soi-même ? Si moi-même, je suis constitué de richesses se déployant au delà des limites du monde connu, j’ai la ressource de travailler autant que possible à leur adaptation à mes besoins quotidiens. Lorsque ceux-ci s’éteindront, ces éléments hors cadre n’ont aucune raison de disparaître à leur tour puisqu’étant du domaine spirituel, hors chair, hors matière pure, hors corruption. Je risque alors d’être « enlevé au ciel » comme disaient les prophètes, dans leur langage, c’est-à-dire élevé jusqu’à un état inconcevable pour moi depuis ce monde présent et promis sans doute au centuple selon les expressions évangéliques. Si ce monde est présent, c’est qu’il est un cadeau. Qui nous interdit d’imaginer que le cadeau le plus somptueux qu’il nous prépare en le cachant n’est autre que son prolongement au delà de notre incapacité actuelle d’y adhérer ? Un peu comme on découvre régulièrement sur notre terre des fragments de météorites bien réelles venues d’autres planètes. Ce qui est vérifiable pour un caillou serait-il impossible pour l’esprit ?

            Face à ces somptueuses et royales interrogations, nous sommes semblables souvent à des élèves du primaire incapables de passer dans la classe supérieure soit en raison de la faiblesse de nos acquis soit par abstention face à un niveau de pensée requérant une investigation plus approfondie et un carburant spirituel de qualité plus raffinée. En panne tel un automobiliste devant une pompe approvisionnée mais ne disposant plus que de diesel pour son moteur qui nécessite du super…

            J’ai bien envie de ressusciter pour quelques secondes ce vieux grand bon Dieu d’autrefois gisant au fond de nos imaginaires pour entendre son immense éclat de rire face à nos mines déconfites d’abord, puis incrédules ensuite, et finalement étonnées devant l’immensité d’une vie indestructible…

 

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TIR AUX PIGEONS ?

                        Dieu se serait-il enfin trouvé un corps d’élite pour nettoyer ce qui doit l’être dans son environnement ? Des snipers embusqués, des tireurs d’élite incapables de rater leur cible parce que marqués du sceau divin ? Des évêques en personne, gilet pare-balles bien arrimé, arme au poing (et bien au point !) sortie du holster, tous soudainement motivés pour la chasse aux pigeons ? La décision à caractère quelque peu solennel de tirer à vue sur des prêtres abuseurs d’enfants agite un diocèse voisin des nôtres, dans lequel l’évêque du lieu vient de se désigner en personne comme le bras armé de la justice ordinaire : il s’engage apparemment à dénoncer personnellement les auteurs de tels agissements. On se risque à parler courage, responsabilité, esprit citoyen dont le bénéfice retombe bien sûr sur les responsables en question.

            Est-on sûr que là se situe le véritable courage ? Que des personnages aux mœurs dévastatrices doivent être signalés, dénoncés, stoppés dans la prolifération inévitable de leur perversion, il s’agit là d’un indéniable progrès de la conscience publique et de la responsabilité individuelle. Mais leur simple dénonciation par une autorité reconnue est-elle suffisante pour que soit écarté tout symptôme de pédophilie dans le corps ecclésiastique ?

            Car au fond, s’agit-il vraiment de courage lorsque de telles décisions, sinon encore les solutions, apparaissent évidentes depuis longtemps aux yeux dessillés d’un innombrable public mais que les officiels choisissent de ne pas entendre depuis des siècles ? C’est pourtant bien de cela dont il s’agit : la pédophilie, une monstruosité de la nature, à l’instar d’autres comme le terrorisme, ne peut être combattue efficacement (et non seulement dénoncée) que grâce à certaines conditions qu’on se garde bien de dissimuler sous le boisseau. Mais entre quelles mains redoutables se concentrent donc ces conditions?

            Les prêtres pédophiles ne sont pas arrivés à leur place par l’opération du St Esprit : (ça fait bien longtemps que l’Esprit a changé son fusil d’épaule en matière d’opération chirurgicale !). Ils ont été mis en place, (on dit ordonnés dans l’Eglise), par ces mêmes évêques qui décident ex abrupto de leur faire la peau médiatiquement parlant. Ce sont ces mêmes prélats qui les ont reconnus autrefois ou récemment, aptes à être incorporés dans la caste ecclésiastique qui les prend soudainement en chasse après tant d’années de silence confortable. Attention, les jeunes, ceux qui vous conduisent à l’autel aujourd’hui, pourraient bien être ceux qui vous en chasseront ignominieusement demain en cas de crash ! Mais de ce crash toujours à redouter, serez-vous les seuls responsables ?

            Il n’est pas en effet anodin « d’entrer » dans l’état ecclésiastique. On n’y rencontre pas à priori un bureau de placement ou de Pôle Emploi habilité à vous trouver un job. On ne s’y attend nullement non plus à un examen exhaustif visant à vous rendre »clean » et bien sous tous rapports. Encore moins un statut spécial laissant entrevoir une quelconque immunité religieuse à ses bénéficiaires, assimilable à un avantage en nature : les « hommes de Dieu » seraient-ils intouchables ? Et la sensation de se sentir justement intouchables ne risque-t-elle pas par nous rendre insensibles à nos propres faux pas ? Osons-nous « courageusement » reconnaître nos participations aux dysfonctionnements de la société ? Car sans ce courage-là, tous les autres ne sont que des fac-simile ou des brouillards d’information.

            Le courage, nécessaire, de dénoncer les contrevenants pédophiles appartenant à une institution précise, ne peut être soutenu que par la certitude que ceux-ci auront bénéficié d’une pédagogie irréprochable en tout ce qui concerne la formation et la préparation de leurs réalités humaines : corps, cœur, esprit, ouverture sociale, formation à l’univers des valeurs et de tout ce qu’il inclut de « modélisable » ou de séduisant pour ceux qui en adoptent les perspectives. Dans le cas qui nous préoccupe, ce sont les futurs prêtres qui se trouvent dans le collimateur. C’est justement à ce point de jonction qu’il convient de s’interroger : comment garantir une éducation saine exempte de tout risque de contamination ultérieure ? Car qui peut garantir une telle pédagogie « bio » ?

            Essentiellement en n’entravant pas les puissances vitales les plus primitives qui constituent la base intouchable de toute la personnalité, notamment les composantes affectives, sexuelles, instinctives dont l’inextricable complexité suffit à tenir le moindre spécialiste en alerte et auxquelles Dieu en personne s’interdit d’y porter la main, surtout armée d’un sécateur ! Des forces dont on sait qu’une approche incompétente et parfois fantaisiste peut déclencher des dysfonctionnements gravissimes. Il semble que la vision réductrice et sacrificielle que les responsables de formation entretiennent depuis des siècles à propos de ces énergies premières ait pour but de les réduire à la longue à une simple épaisseur virtuelle, à une spiritualité désincarnée, voire à un sérieux handicap soigneusement emballé dans des cheveux d’ange et placé sur l’autel des sacrifices, tel le meilleur morceau ôté aux victimes d’autrefois et offert aux dieux païens dévorateurs (et finissant en réalité dans l’assiette des prêtres de service). Comme si le vigoureux bouquet d’énergies vivantes, reproductrices, créatrices constitué par la sexualité humaine vers une expansion illimitée, constituait un défi, une arrogance, une concurrence déloyale, une provocation indigne face à un Dieu génial dans ses inventions et dotant l’Homme de tous ces attributs comme un partenaire appelé à lui faire face ! Répondre par l’amputation à l’appel créateur, par l’interdiction à l’abondance illimitée, et surtout opposer la perspective du pécher à l’appel d’une sexualité déclarée de droit divin depuis la nuit des temps, ne serait-ce pas le signe d’une intelligence dévoyée et d’une pédagogie gravement compromise dans ses prolongements pédophiles éventuels entre autres ?

            Car l’inacceptable que ne veulent pas voir en face les responsables ecclésiastiques de tous niveaux, ce n’est pas le célibat en lui-même, mais son obligation imposée à toute une caste de fonctionnaires religieux, et gommant d’un coup de surin toutes les différences individuelles fondamentales sous l’étiquette d’une triple erreur : historique, psychologique, évangélique. Combien de prétendants au sacerdoce ont vu leur sexualité se construire à partir de déviations subies par la violence sans avoir pu se mettre au clair avant des choix définitifs ? Viols, privations, inhibitions, refoulements souvent de provenance ecclésiastique…Répondre en serrant sa ceinture d’un cran à un organisme déjà en privation depuis des années, est-ce bien une pédagogie adaptée aux besoins d’un développement harmonieux ? N’est-ce pas cela qu’on assimile à un refoulement imposé de main d’homme, mais de mains ointes, consacrées et vouées normalement à la Vie ? C’est l’uniformisation d’un mode de vie imposée à des individus tous différents, qui représente la pointe vénéneuse d’un système éducatif, parce qu’elle tue toute originalité créatrice qui se trouve justement être la « griffe du fabricant ».

            C’est un peu comme si mon père avait contraint ses huit enfants à pratiquer la médecine sans tenir compte des différences qui fondent justement une fratrie et non un chapelet de clones. Aberration, révolte, refus violent, fuite : voilà ce qu’il aurait sans doute récolté à juste titre. Or, il se trouve qu’un seul parmi nous a épousé cette carrière par son choix libre et non sous une pression quelconque, réussissant seul là où les sept autres auraient sans doute échoué. Car on ne peut nier la violence d’une contrainte qui pèse sur l’orientation ou plus encore sur la confiscation collective des forces vives d’un groupe. Celles-ci ne tarderont pas à trouver une issue, quitte à forcer la porte de sortie, puisque leur raison d’être est de s’exprimer au dehors. Si dans l’Eglise, tout amour particulier se voit barré d’un sens interdit : pas d’amour pour une femme, pas davantage pour l’homme vu la prohibition de l’homosexualité, demeure le maillon faible de la chaîne : l’enfant. Comment s’étonner que plusieurs recourent alors à ce misérable chemin de traverse alors que toute autre retraite leur est coupée ?

            Plus la contrainte éducative est serrée, plus l’explosion tourne à la déflagration, voire au désastre psychologique, agrémentée des déviations redoutées et aujourd’hui dénoncées. Il faut oser proclamer hautement que l’imposition du célibat est non seulement une aberration psychologique mais une faute morale grave dans la mesure où, prévenus, alertés, avertis de toutes manières par tant de personnes de bon sens, religieuses ou laïques, les autorités persistent dans leur détermination. Elles deviennent alors ouvertement responsables des conséquences, y compris celle de voir s’installer dans l’Eglise le règne rampant de la pédophilie, telle une maladie nosocomiale, puisqu’elles se permettent, au nom d’une autorité qui ne leur a jamais été dévolue pour cela, d’annuler les commandes de l’amour. Ceci au nom du Dieu Amour ? Et personne aujourd’hui ne pense plus à s’en scandaliser ?  C’est que la castration a produit ses effets stérilisateurs à long terme dans la quasi totalité du clergé mais surtout dans un large échantillon des communautés de croyants ! Eh bien, laissons les castrats à leurs performances qui autrefois faisaient d’eux des vedettes admirées. Tout est rentré dans l’ordre du grand silence et du grand crépuscule divin (et à l’ombre des confessionnaux d’autrefois, bien pratiques à cet égard, leur « secret professionnel » doublant avantageusement celui des enfants atteints dans leur être, qui s’enfermaient jusque là dans un mutisme empêchant toute poursuite ultérieure).

            Bien sûr (et là pardonnez mon accès de violence légitime), force est de constater qu’aucun responsable de cette formation religieuse ne reprendra à son compte le terme de castration qui lui serait un coup de projecteur insupportable dans les yeux comme le fut sans doute celui qui déclencha la conversion de Paul à Damas. Il suffit à un objet laid d’être trempé d’un coup dans une peinture rutilante, pour faire oublier sa laideur sous-jacente. Ou à un terme comme celui de castration d’être présenté sous le prétexte d’un hommage rendu au Sang du Christ et le tour est joué : personne n’y trouvera à redire. Eh bien, il ne semble pas que ce tour de magie soit apprécié dans le monde divin car jamais ce qui atteint gravement l’Homme dans son intégrité ne pourra faire l’objet d’un sacrifice ou d’un hommage agréable à Dieu. Nulle part dans l’Ecriture n’apparaît l’empreinte d’une telle monstruosité. Pourquoi l’Eglise semble-t-elle en faire un fleuron de ses élites ? Le vrai courage ne serait-il pas de s’affronter à cette question, voisine de la dégénérescence humaine, tous croyants confondus, évêques et fidèles ?

            Serait-il déshonorant, et pour qui, de laisser les futurs ecclésiastiques libres de gérer leur vie affective et sexuelle afin d’en faire un outil de choix pour assumer une vocation qui n’a rien à voir avec l’équipement psycho-physiologique qui la sous-tend ? Et que chaque communauté soutienne ses prêtres dans le choix qu’ils ont fait : soit le mariage, soit le célibat ? Que de problèmes résolus à la fois psychologiquement et évangéliquement ! La question est grave car maintenir les choses en l’état suppose inévitablement que les responsables attendent un bénéfice caché du fait de garder secrètement sur le feu une petite pédophilie quelque part puisqu’ils évitent soigneusement de l’éradiquer en totalité. Ils en sont donc clairement partie prenante et se doivent de l’avouer publiquement à l’occasion d’une dénonciation de confrère hors la loi. Mieux, les évêques ne deviennent-ils pas eux-mêmes objets de dénonciation pour pratiques pédagogiques incompatibles avec l’humanité dont ils se disent responsables ? Commençons donc maintenant : qui sont-ils ? Presque tous ! Voilà, c’et fait.

            A ce niveau, l’épaisseur du silence dans le monde ecclésiastique et en grande partie catholique est comparable au nuage de pollution recouvrant une grande ville : tout le monde y est soumis. Le monde clérical surtout s’enfouit dans des pratiques clandestines, secrètes, le moins repérables possibles.

            Le silence feutré est soutenu par une presse bien pensante dont on sait bien qu’elle est aux ordres également.

            Silence épais, soporifique. Pestilentiel !

 

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LA FILE

Une file de visiteurs fait la queue devant la Pyramide du Louvre…Quoi de plus banal ? Et de plus quotidien ? De plus ininterrompu ? Donc de plus familier, de plus sécurisant même ? Quelque chose s’est mis en place dans le paysage quotidien des Parisiens, qui s’étonneraient de le voir disparaître sans raison.

Mais à force de s’inscrire dans le déroulé monotone de chaque jour, ce spectacle s‘imprègne de son automatisme sans relief. Semblable à un événement devenu à la longue dépouillé de son sens. Une file ce n’est qu’une file après tout. Pas même une manifestation. Un défilé immobile. Ou mu par un mouvement tellement lent qu’on le croirait stationnaire. A y regarder cependant de près, il avance et progresse même.

Si je repasse deux heures après, la file est toujours là, dans le même état qu’à mon premier passage. Mais ce n’est plus celle de tout à l’heure, ce ne sont plus les personnes d’il y a deux heures : la file, elle, est toujours là mais elle a révélé à un œil attentif que ses éléments ont muté. On n’est jamais le même individu qu’hier et pourtant quelque chose de soi demeure permanent sous les changements.

On ne peut en douter : la file passe. Elle transite, elle nous échappe, ne faisant que passer. Lorsque je fixe mon regard sur son sillon, elle est déjà ailleurs. Sa caractéristique est de ne pas se fixer, orientée tout entière vers l’entrée de la Pyramide. Son calme est trompeur : en réalité, elle bouleverse en totalité le sens des choses : un peu plus tard, en effet, tout le monde aura franchi la porte entre la rue et la Pyramide, chacun étant porté par la densité de la foule en marche. Et lorsque l’entrée sera franchie, toute la colonne disparaîtra de la vue des badauds qui se demanderont : où sont-ils passés ?

Les grands déplacements de masse sont lents mais puissants. Ils semblent se concentrer en un point d’horizon (la Pyramide) qui exerce une sorte d’attirance sur une zone sensible enfouie au cœur des mouvements successifs de l’Histoire. Un peu comme si une puce incorporée dirigeait celle-ci vers un objectif lointain, à perte de vue. Serions-nous nous-mêmes « pucés » mystérieusement, bien en amont de toutes les découvertes scientifiques dont l’homme fait l’objet ? Bien sûr, il s’agit d’une image et surtout cette hypothèse réduirait l’humain à un simple robot, à moins que cet outil miniaturisé s’apparente plutôt un processus proche d’une forme d’intuition inscrite dans la chair de l’Histoire, de sens inné de la marche en avant dès qu’on parle de vie. (Pour reprendre ici l’expression d’autrefois : I.V.N.I. : Intuition Volante Non Identifiée) On peut à ce propos parler d’inné car c’est la totalité des Vivants qui se dirige vers une issue unique, à la fois collective et individuelle que nous appelons mort faute de pouvoir oser en parler autrement. Nous ne serions plus une myriade d’humains dispersés au hasard sur la planète, mais un ensemble organisé depuis ses premières cellules et se dirigeant vers un point de convergence à l’horizon du monde.

Quoi dire de ce point-là que j’illustre par l’image de la Pyramide et en osant à nouveau faire « bouger les mots » pour les laisser me dire ce qu’ils cachent ?

On peut dire de la file des gens attendant leur tour devant ce « point » du Louvre, qu’ils en sont tous au « même point » : l’attente d’entrée dans le musée. Ce point est-il un point de ralliement, un point de fuite, un point final ou un point d’absorption ? Car « un point, c’est tout, » quand il est l’objet d’une visée collective et même universelle. Lorsque tout le monde en arrive au même point, c’est sans doute que ce dernier revêt une importance capitale. Or, ici, le point en question n’est pas un mausolée, ni un tombeau vide qui fait encore courir des milliers de croyants autour de l’absence morbide qu’il représente. Il s’agit d’un musée d’une telle réputation que les amateurs ne rechignent pas à faire une queue parfois démentielle pour y parvenir. Pas question d’une sortie de route, d’un point final ou d’un point d’éjection de l’existence, mais d’une perspective d’où l’on peut voir « poindre » le soleil. C’est en laissant jouer légitimement en nous la fantaisie de ces sens divers, que chacun pourra oser habiller sa propre mort de mots de fête et non plus d’uniformes de deuils. Osez le Musée à la place du Tombeau ! Echangerais Tombeau inhabité contre Musée des Merveilles : l’échange en vaut la chandelle, non ? Pourquoi faut-il que les croyants, spécialement, traînent au long des siècles la fatalité du Tombeau comme lieu ultime de la résolution de l’Histoire, et que c’est ce lieu qui persiste à être leur rendez-vous permanent et préféré à Jérusalem, alors qu’un éminent commentateur et « compagnon de la libération », l’apôtre Jean, avertit le lecteur que Jésus a été enterré à « tombeau ouvert » dont la porte largement béante, ouvrait sur un Jardin ? Alors, quel site terminal pour nos craintes infondées : Tombeau ou Jardin ? C’est notre choix dès maintenant.

Jésus, pour son compte, ne s’est jamais considéré comme la banderole finale barrant la route et annonçant la fin de la course, mais comme une attraction puissante, de même nature que celle de la Pyramide. Il n‘a cessé de recommander qu’on le suive, c’est-à-dire non pas qu’on l’imite mais qu’on prenne sa suite quand lui-même aura quitté la file. Les visiteurs qui quittent la Pyramide, le font en général transportés par les chefs d’œuvre qu’ils y ont admiré et peut-être avec la fierté de faire partie de près ou de loin de cette lignée incomparable de créateurs. Le point d’arrivée est peut-être également celui d’un nouveau départ.

Une dernière remarque d’importance vient corser l’observation : les gens qui sont parvenus à entrer dans la Pyramide du Louvre ne reviennent jamais sur leurs pas, sans d’ailleurs que personne s’en étonne. L’amincissement progressif de la file semble le plus naturel du monde. Que peut signifier cette évanescence de la queue et l’entrée tranquille dans une expérience nouvelle qui ne provoquent aucun regret, aucun remords, aucun retour en arrière : une seule explication possible : c’est que les personnes sont AR-RI-VEES ! Enfin parvenues au bout du voyage, de l’attente, de la file. Le point visé depuis le début est un « point d’arrivée ».

Et ce même point chaud n’est pas non plus un point d’orgue. Quand on est parvenu à destination, on ne s’amuse pas à revenir sur ses pas : ceux-ci sont d’ailleurs effacés par le temps. L’aller et le retour sont deux trajets différents et non pas le même répété une deuxième fois. On peut être tenté de revenir lorsque le voyage a comporté des hésitations, voire des erreurs d’orientation ? Mais lorsqu’on est arrivé, la métamorphose et le bien-être sont tels qu’il est exclu de retourner à l’état antérieur du début de la file : on était bien venu pour ce but précis : parvenir au point d’arrivée. C’est sans doute la raison pour laquelle les personnes atteintes par un deuil ne saisissent pas toujours pourquoi leurs morts ne »reviennent pas » : parce qu’il sont arrivés. Ils ne peuvent « revenir » pour recommencer une histoire déjà vécue et qu’on ne duplique pas. La dynamique est constamment orientée vers l’avant. Notre histoire entre avec nous dans le musée des merveilles.

Une dernière remarque mais qui ne manque pas de pertinence ici. Le lent défilé de la File Humaine qui se dirige unanimement vers une même destinée, indique une migration permanente, un déplacement, un transfert auquel personne n’échappe vers une destination inconnue. On pense à une foule quittant à regret le stade dans lequel s’est jouée la partie qu’elle était venue soutenir. Quelques instants après le coup de sifflet final, le lieu est absolument vide et les spectateurs se retrouvent ailleurs mais pas disparus pour autant : ils ont simplement regagné leurs lieux de vie permanents. C’est bien une preuve que le stade n’est pas l’endroit définitif où le public dépose ses valises : c’est un espace provisoire qu’il lui faudra quitter en fin de match.

N’est-ce pas la destinée de l’Humanité ? Puisque dans sa totalité elle déserte la planète où elle a joué ses parties les plus invraisemblables, c’est qu’elle n’est pas destinée à s’y installer ! Le monde tel que nous l’investissons, l’exploitons, l’explorons, l’abîmons hélas, n’est pas la patrie définitive des Vivants puisqu’ils le quittent tous sans exception pour un ailleurs énigmatique : et si cet ailleurs était justement la Pyramide des Merveilles et non un « trou noir » dont nous nourrissons nos fantasmes ? Ce n’est pas parce que l’Humanité émigre en totalité du théâtre de son Histoire qu’elle se condamne à une disparition corps et biens. Bien des philosophes à courte vue sont incapables de dépasser la vue du rideau de théâtre qui retombe sur la pièce terminée comme un couperet entre eux et les acteurs. Mais au nom de quelle aberration les acteurs d’une pièce devraient-ils tous mourir lorsque le rideau tombe et qu’on ne les voit plus?

Notre monde n’est pas une terre d’installation mais sans doute une préparation à un statut d’importance majeure : celui de la filiation vers laquelle nous mène progressivement la file. Nous sommes de la filiation directe, non pas de la terre seulement, mais du cosmos tout entier. Notre course terrestre n’est qu’une période d’apprentissage d’une dimension combien plus exaltante que nous portons au cœur comme un ADN inexpugnable.

Vigoureusement nourries par quelques-unes de ces considérations, les représentations les plus nauséabondes que nous entretenons sur la mort, pourraient bien rapidement en crever !

 

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CHANGER LA MORT OU CHANGER DE MORT ?

            La maladie est là. Elle a pris rendez-vous en oubliant de m’en avertir. Ce sont des choses qui arrivent tous les jours. Entre le présent et l’imprévu, la poste a ses béances. Mais son message est clair cette fois : elle apporte la facture. Voilà pourquoi elle se veut discrète. Ma surprise est grande de constater que les actifs sont inscrits en majuscules rouge vif alors que le passif apparaît en chiffres minuscules et pâles. Je veux dire que ce sont les réussites qui me sautent aux yeux en premier au détriment des échecs Et à quoi me servirait d’enregistrer la valeur d’un tel capital restant, plus fourni qu’il n’était au début, si c’est pour m’en débarrasser définitivement ? Je ne peux me suffire d’un simple bilan de vie forcément incomplet alors que celle-ci me réserve des surprises inattendues à chaque virage. Son débit se ralentit au fur et à mesure que sa structure corporelle relâche ses points d’appui, mais ne se détruit pas pour autant.

            Face à ce miroir imperturbable, je suis invité à apprécier le reflet qui s’y mire plutôt que de m’en désoler. Je ne puis non plus me résoudre à ce que cette facture soit le point final de toute une aventure de 80 années d’existence. Ce point qui clôt l’exercice est-il réellement un point final ou un point d’intersection ? Intersection entre quoi et quoi ? Entre vie et imaginaire ? Ou entre vie et transcendance ? Rien ne m’est plus étranger que la maxime répandue chez beaucoup : ce que je ne vois plus n’existe plus. Ne me reste-t-il donc qu’à me rabattre sur ce je constate encore : une vie en fin de course maintenant déroulée jusqu’à son extrémité, un passé qui n’existe plus non plus puisqu’il est précisément passé ?

            Comment dénier à une vie qui m’a tant comblé et souvent profité sans que je lui aie rien demandé depuis le début, l’empressement à me signaler que le chemin continue au-delà de ce que je ne vois pas ? La vie n’est-elle pas plus vaste, plus ample que le vase de chair que je lui offre et dans lequel elle est reçue, débordante, à ses débuts ? Ne parle-t-on pas d’une personne « débordante de vie » ? Si je ne puis contenir, de mon vivant, cette tendance de la vie à déborder hors de ses limites naturelles, comment puis-je m’autoriser à lui imposer une fin de non recevoir définitive au bout de la course et ignorer ses appels au dépassement ? Qui suis-je pour imposer brutalement mes conditions finales à cette vie qui m’a soutenu si amoureusement depuis tant d’années ?

            Il m’est impossible de poursuivre cette réflexion sans recourir aux métaphores dont la nature regorge comme une langue maternelle oubliée et qui a été un tel terreau fondateur de diverses philosophies. Je m’arrêterai sur une seule : celle de la chenille et du papillon.

            La Nature n’est pas un simple cadre d’évolution des espèces vivantes, ni un décor enjoliveur pour couples amoureux ou poètes en déshérence. Elle est la matrice universelle de tout être sans laquelle personne ne serait ce qu’il est. Le corps est donc le premier cadeau fait aux hommes sans lequel il n’y aurait pas d’humain. Il est en quelque sorte, le relais placentaire de cette nature enveloppante. Imagine-t-on un homme sans corps ? Ce dernier lui appartient donc jusqu’à son dernier souffle au bout duquel chacun l’abandonne sans scrupules à une décomposition sans espoir.

            Mais ce corps physique, placentaire, issu de la nature, représente lui-même que la concentration de toute une Histoire qui a « pris corps » au cours de 80 années d’exercice. Et ce corps-là a la consistance d’une Histoire personnelle que le monde ne peut oublier et dont le corps physique demeure une part indissociable. Ce qui implique que pour avoir accès à sa propre histoire, la seule entrée passe par le corps d’abord et non par des idées. On entrevoit avec effroi les conséquences des visions méprisantes et dégradantes du corps qu’ont pu entretenir tant d’idéologies religieuses « passées à l’ennemi » ! On ne sait que trop comment cette inimitié rampante contre la chair en a fait une ennemie depuis les fausses interprétations de l’Ecriture ! Même dans une dimension de dépassement, de transcendance, ce corps demeure inséparable de l’homme qui en a fait sa demeure. Comment penser un au delà de l’homme sans ce corps qui lui confère son authenticité d’homme ? On doit retrouver l’audace de proclamer la dimension de transcendance du corps et de la chair que ces deux réalités nous réclament à « corps et à criss » de leur restituer. Bienfaiteurs de l’Humanité ceux et celles que cette cause mobilise ! Et ils sont nombreux à défier les vieilles doctrines strangulatoires !

            C’est précisément ce dont nous parle avec éclat la parabole de la chrysalide. Le cocon est bien ce catafalque dans lequel la chenille choisit de s’enfermer, non pour y mourir, mais pour se transformer hors du regard public. Nous ne pouvons confondre ou prendre l’une pour l’autre la mort et la métamorphose. La première suppose l’impossibilité même de la seconde et celle-ci représente peut-être l’issue éventuelle de la première. C’est un combat « à mort » entre ces deux options. La métaphore semble signer sans hésitation possible la victoire de la métamorphose sur la mort. La chenille subit en effet une trans-formation et non une dissolution de son propre corps pour se remettre en selle dans un autre corps qu’elle ne pouvait imaginer au temps de son premier état. Il s’agit bien d’un « autre corps réel, observable », construit sur l’effacement du précédent et non d’un fantôme ou d’une représentation imaginaire. Cet être renouvelé n’a aucune commune mesure avec le précédent, aussi aérien et insaisissable que le premier était rampant et difficilement manœuvrable. Il a totalement changé de structure, de couleurs, de consistance et ne porte même pas le même nom. A la fois le même et différent. En outre, le papillon ne parle pas non plus le langage de la chenille. Réalité corporelle incontestable, cet être recombiné est une petite merveille de laboratoire, minuscule réalisation au cœur d’un monde gigantesque mais appartenant bien à cet univers et non à une autre sphère plus ou moins ésotérique : elle est bien de « chez nous ». Le corps métamorphosé semble ignorer toute parenté avec le corps biologique primitif : il est pourtant bien le « corps-verso » indispensable du « corps-« recto » parvenu à usure mais qui sécrète mystérieusement une suite imprévisible à son existence. Les « derniers seront les premiers » dit l’Ecriture : le dernier pas que tu feras au bout de ton existence serait-il le premier de ce qui t’attend au delà de ce que tu n’attends plus ?

            Prendre cet événement miniaturisé de la chrysalide avec mépris serait une grave erreur car nos grandes découvertes sont souvent dues à des expériences de laboratoires ou d’éprouvettes, avant de révéler leur universalité. Ce qui est vrai d’une chenille ne le serait-il pas pour l’être humain dont la complexité et la beauté méritent-elles peut-être un traitement de même nature ?

            Là intervient la limite de notre intelligence selon laquelle ce que nous n’avons jamais vu se réaliser n’existe pas. Ce qui est originel n’est sans doute pas la cassure, le fameux péché, mais l’étroitesse de nos mentalités tel un col utérin refusant de s’ouvrir pour donner naissance à un être plus grand que lui. Quel mal nous a donc fait la vie pour lui refuser la magnificence de ce qu’elle promet à ceux qui misent sur elle ?

            Que signifie dans ce contexte, croire à la résurrection de la chair ? L’expression elle-même est difficilement adoptable, vu les distorsions nombreuses qu’a subies le terme résurrection. Mariné successivement dans des bains magiques, mystérieux, religieux, imaginaires, loufoques ou d’ignorance épaisse des réalités métaphysiques, le mot n’est plus souvent qu’une bouillie indigeste de sens égarés.

            Un propriétaire qui quitte sa maison au jour de son déménagement ne meurt pas pour autant. En constatant la disparition progressive des meubles qu’on évacue des lieux, il voit se désertifier l’espace de vie qui a été le sien : ce n’est pas la vie qu’il abandonne ainsi mais le lieu où elle s’est déroulée. Il quitte la maison en emportant la vie qui lui reste à mener dans sa nouvelle demeure, dans son nouveau corps. Car rien ne peut nous prouver qu’un « dé-funt (= : celui qui a simplement cessé de fonctionner) épouse le statut éternel d’un errant SDF dans les espaces cosmiques. Seule demeure une carcasse vide : le murs de la maison désormais inhabitée et inhabitable, le corps de chair qui nous a fidèlement servi et que nous quittons à regret en attendant de prendre la mesure de notre nouvelle destination corporelle : celle du papillon dont la beauté saisissante authentifie la réalité. Qu’avons-nous fait de cette sagesse de la nature qui délivre un tel message depuis tant de siècles à nos esprits angoissés par « les fins dernières » ?

            Qu’est-ce qui explique l’écart irréductible entre les beautés du cosmos inlassablement découvertes par les scientifiques et la froideur apparente de ces derniers devant une origine transcendante qui les dépasse au point d’en nier l’évidence ? Ou comment justifier l’insensibilité et surtout le pessimisme eux-mêmes apparents, de tant d’humains devant la cessation brutale, telle une panne d ‘électricité géante au milieu d’un spectacle, de l’existence à laquelle « l’Esprit des Lumières » conteste le droit de reprendre son cours ? Ne vaut-il pas mieux travailler à réparer la panne plutôt que se heurter les uns les autres dans l’obscurité générale ? Une panne dans un spectacle ne raye pas des vivants les acteurs, les spectateurs, la salle et son environnement. C’est une interruption de courant, voilà tout, pas de vie. Il ne faut pas confondre la Vie tout court avec la Vie courante. Quelqu’un qui s’arrête dans sa course ne cesse pas de vivre pour si peu…

            La fameuse panne n’est-elle pas, en fin de compte, une panne de tête ? Et si la brusque absence de lumière se situait dans nos têtes et pas dans le monde ? Où aurions-nous attrapé ce virus de la négation absolue ? Est-ce une tare originelle ? Nous l’a-t-on mise dans l’esprit ? Est-ce une attitude d’illettrés incapables de comprendre le sens des signes ou du langage métaphorique ? Ou bien c’est l’univers qui a égaré sa tête humaine pensante, ou bien c’est la tête qui a perdu l’univers de vue. Peut-être qu’à force de couper les têtes par milliers depuis des siècles et aujourd’hui encore, nous nous coupons d’éléments essentiels pour comprendre le monde et son au-delà ? Déjà notre ancêtre Abraham nous avertissait solennellement qu’ôter la moindre partie vitale à un être de notre chair, constituait une déviation monstrueuse et menaçante, aux conséquences incalculables, notamment pour prétendre comprendre quelque chose à la Vie. Et depuis, nous ne faisons que démultiplier ces sacrifices démoniaques et collectifs !…Etonnons-nous à présent de ce goût de mort que nous avons dans la bouche, sous les yeux, dans les médias, les séries noires, le terrorisme ! La simple absence de vie véhicule sa propre saveur de mort dans son sillage. De même que nous commençons à polluer de déchets de tous ordres l’espace environnant la terre, de même agissons-nous en polluant ce domaine de la transcendance par des aberrations mentales issues de nombreuses idéologies dévoyées..

            Peut-être est-il temps de changer la mort ou, faute d’y parvenir, de changer de mort ? Comment se satisfaire d’une mort qui nous convienne plutôt qu’une autre, d’une mort à la carte en quelque sorte ? Est-il raisonnable d’envisager des modifications dans un « programme de nature létale » qui regarde l’Humanité entière ?

            Si mon choix préférentiel m’incline vers la mort comme « dissolution » finale de tout être dans un néant irréversible, je ne puis m’étonner des répercussions parfois brutales, amères et angoissées qui se succèdent dans ma sensibilité. C’est un peu comme une voiture en pleine vitesse achevant sa course contre un mur infranchissable : contre lui s’interrompt toute possibilité de continuer. Cela, je n‘y puis rien changer : je n’ai pas de « plan B » à ma disposition : c’est la mort qui tue !

            Mais mon cerveau recèle bien d’autres ressources : le plan B existe. Si au lieu d’un mur d’arrêt « à la Trump » ( pour évoquer un autre mur néfaste en prévision de mort), je mets à la place, dans ma tête, la représentation que la mort soit un « mur du son », si j’envisage la mort sous l’angle d’un « son », d’un avertisseur (tel un klaxon) qui m’annonce un événement important, elle apparaît alors comme une réalité utile signalant un au delà d’elle-même, et qui excite plutôt ma curiosité et mon désir que la peur et le désespoir. Le mur du son demeure un obstacle mais un obstacle qui se franchit et non contre lequel on s’écrase : il devient même un défi que les champions repoussent de plus en plus loin, un challenge permanent. A ce moment-là seulement, je peux, dans ma conscience, « changer de mort », c’est-à-dire l’entendre me parler d’un suivi plutôt que d’un néant.

            Travailler à modifier les mots permet une modification substantielle de notre vision du réel, y compris celui de la mort, sans le déformer pour autant, pour harmoniser autant que faire se peut, notre désir personnel avec la brutalité des faits. C’est l’état de ressenti intime que nous éprouvons après cette opération, (bien-être ou angoisse) qui confirme ou infirme que notre nouvelle vision nous va bien et relance en nous le processus d’une vie qui retrouve ses élans face à la panique ou l’amertume.

            Seraient-ce là les prémisses de « l’au-delà » ? Donner toute liberté aux relents de dissociation morbide corps-esprit qui nous polluent la tête (notre fameuse tête de mort…) de « risquer un regard audacieux au-delà des idées toute faites  » vers la mort qui, loin d’être semblable à une planète morte, nous regarde approcher, goguenarde ou indulgente.

            Selon la pensée magnifique de Saint-Exupéry dans « Citadelle » (je cite de mémoire) : « La mort n’est plus alors que le frémissement du berger lorsque la main de son maître se pose sur son épaule pour l’Honorer ».

 

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PENSEES POSITIVES ?

           Il semble qu’un nouveau gisement de ressources naturelles vienne d’être mis à jour depuis quelque temps déjà dans le domaine des relations humaines : surdimensionné, inépuisable, inoffensif quitte à faire tourner les têtes jusqu’au vertige : celui des Pensées positives.

            Qui d’entre nous n’a reçu, à l’occasion d’un événement marquant de sa vie, un courrier abondant véhiculé par des cartes postales aménagées à cet usage précis, des escadrilles de vœux spontanés, appuyés, chaleureux, parfois jusqu’à l’incandescence affective ou émotionnelle ? Evocation à fendre l’âme de liens éternels d’amitié que rien ne brisera jamais, encouragements répétés à tenir bon sous les coups sournois du sort, emprunts souvent bien choisis à des courants de pensée dans le vent, genre : ta vie est devant toi, ton sort est entre tes mains, fais confiance à ce que te dit ton corps, fais le plein de vie, d’amour, d’optimisme, on te soutient de toute notre énergie, nous dirigeons vers toi la force qui est la nôtre etc.. Mais où donc atterrissent ces élans du cœur et de la pensée dont rien ne permet de douter de leur sincérité ?

            Car le propre d’une pensée positive est de pouvoir justement « se poser » sur un support solide pour ne pas être réduite à errer dans les airs, entre une simple expression formelle et un imaginaire déconnecté du réel. Qu’est-ce qu’une pensée positive qui ne se pose pas ? Que deviendrait un oiseau qui ne ferait que voler sans jamais se poser de temps à     autre ? Il perdrait la vie dans la même journée. Nous ne sommes pas que pensée mais aussi corps : si une pensée ne nous « entre pas dans le corps », où pourrait-elle « se poser » ?

            L’homme n’est pas constitué d’un esprit seulement mais aussi d’une histoire concrète, lisible, repérable, sans laquelle son esprit n’a pas de support réaliste. Il ne jouit pas d’un esprit indépendant du corps et pense aussi avec ce même corps. Une pensée dite positive, qu’elle soit de nature amoureuse, amicale, politique ou religieuse, n’a guère de chance de survie si elle ne « s’accroche » pas ou ne se lie pas en même temps à un aspect concret de l’histoire de son destinataire : désir, besoin, projet…

          C’est sans doute ce qui constitue la fragilité de ces pensées qu’on dit positives : elles demeurent éphémères si elles ne laissent pas de traces repérables au niveau du corps, des besoins, de l’expérience, de l’histoire personnelle de celui vers qui on les envoie. Corps, histoire et pensée circulent toujours en convoi étroitement attelé mais une rupture d’attelage entre les trois est toujours possible. Une question demeure : en quoi une pensée positive aide-t-elle le parcours d’une personne à s’accomplir ? Ne faut-il pas dépasser le niveau du souhait car le souhait laissé à lui-même n’accomplit rien, pour parvenir à celui des stratégies ou des moyens offerts pour solutionner un problème concret ?

            Il me semble qu’arrivées à ce point crucial, les pensées positives franchissent une étape nouvelle : celle de « pensées performantes ». C’est un peu comme si les premières ressemblaient à un lâcher de ballons toujours signe d’une expression massive de manifestants enthousiastes, mais qui se disperse sans retour dans les hauteurs sitôt qu’on lâche les ficelles. On perd rapidement les baudruches de vue tandis que leurs propriétaires se retrouvent au sol au prises avec leurs problèmes inchangés. On croirait les secondes soudain dotées de mains pour édifier ce qu’elles ne font que dire : des pensées devenues manuelles en quelque sorte et même »em-manuelles » pour user d’un jeu de mots, c’est-à-dire suscitant et accompagnant les projets. Sans être jamais négatives, les pensées positives ne sont peut-être qu’un stade préparatoire à une perfection ultérieure.

            Les pensées performantes, elles, ne s’envolent pas au gré des vents mais atterrissent sur ce même sol où on les espérait, pour se préoccuper étroitement des questions urgentes du terrain et y apporter un minimum de contribution. On les dit performantes parce qu’elles deviennent partenaires indissociables du corps et que c’est dans et par le corps qu’on authentifie d’abord la réalité palpable d’un projet, c’est-à-dire la certitude que quelque chose se passe dans l’existence et qu’on n’est pas victime d’une hallucination. Les pensées performantes se compromettent avec nous de tout près, prêtent leur concours à nos besoins les plus criants, se risquent à des solutions et pas seulement à des prières ou des élans du cœur. Elles touchent l’Etre des personnes dans son ensemble et pas uniquement à ses motivations ou ses désirs.

            Sans jeter une seconde le discrédit sur l’usage massif des pensées positives qui ont au moins le mérite de signaler le dépassement d’un recours fréquent au catastrophisme face à une situation incertaine, il est naturel de se demander si certaines d’entre elles ne dissimulent pas un penchant à transformer en paroles ce qu’elles ne peuvent exprimer en actes, une préférence donnée à l’emballage sur le contenu. Le symptôme d’un tel risque apparaît dans la ressemblance et parfois le clonage des expressions verbales utilisées par les usagers : beaucoup de leurs paroles se ressemblent comme les fameux lâchers de ballons dans lesquels toutes les baudruches sont identiques. Les intentions personnelles, réelles, s’habillent malheureusement toutes des mêmes mots, formant un bel ensemble uniforme mais parfois monotone et sans relief. C’est un peu l’infirmité qui frappe nos vœux échangés au premier jour de l’An, dont le slogan automatique : » Bonne année, bonne Santé » ressemble à de vieilles charentaises usées jusqu’à l’os, désinvesti du moindre sentiment d’intérêt pour la personne, que celle-ci soit une relation familière ou une parfaite inconnue.

            Dans les pensées performantes, ce ne sont pas seulement les mots qui nous atteignent mais leur capacité à « prendre chair », à emboîter le pas à notre histoire, à s’articuler sur les nécessités du quotidien. Souhaiter n’est pas agir ni participer, mais ce peut être le début d’une action, l’éveil à la participation.

            A un degré supplémentaire, les pensées performantes se métamorphosent finalement en pensées « persistantes ». Au delà de l’adoption d’un objectif, elles sont directement liées en effet à la durée de l’engagement, à son terme, moyen ou long, à son maintien dans le temps. Cet aspect est essentiel car c’est leur enracinement prolongé dans la dimension temporelle qui permet à son tour, après leur inscription dans le corps et les besoins, d’engager un partage effectif avec les personnes en état de besoin grâce à une certaine permanence dans la succession des jours.

            Il me semble donc que celles qu’on baptise parfois hâtivement pensées positives n’accèdent pleinement à ce titre que dans la mesure où elles peuvent répondre à la question : sur quelle garantie repose le contenu de ce que tu me souhaites ?

 

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AUJOURD’HUI…

Une fois n’étant pas coutume, je voudrais m’adresser principalement à tous ceux, compagnons et compagnes, frères et sœurs depuis tant d’années à la suite d’un chemin de divinité dont nous avons ensemble pressenti qu’elle était une source cachée et inépuisable d’humanisation. Quelles que soient nos croyances légitimement différentes, le label biblique s’est révélé d’une extrême fiabilité pour assurer à la fois la beauté de nos histoires personnelles et la présence, en filigrane, d’une transcendance unissant le monde du Ciel et celui de la Terre, à laquelle chacun et chacune donne le nom qui lui convient.

Cet Aujourd’hui a ceci de particulier : c’est qu’il est marqué par l’avertissement que la vie d’un homme finit par être courte (surtout vers la fin !…), mais que si la vie apparemment nous échappe, l’Etre, notre Etre, lui, n’est pas accessible à la corruption. Ce sont de ces évidences qui surgissent avec une lucidité et une brillance inexplicables lorsqu’on aborde la banlieue de l’Expérience extrême de l’existence. La Vie apparaît comme une simple desquamation, telle une peau morte que la Mue suprême vous impose, pour mieux révéler au grand jour la réalité de l’Etre qui continue sa croissance au delà des apparences : à partir du jour où ne vivons plus, nous » sommes» toujours! (j’y retrouve le conte de Peau d’Ane dont l’Etre de Princesse est provisoirement recouvert d’un « vêtement » qui ne lui ressemble pas mais qui, en fait, protège l’essentiel). Car l’Etre est le Canevas qui est mis à notre disposition à notre naissance pour y tisser la Vie que nous lui confierons, mais nous ne sommes pas les maîtres du Canevas !

Il me semble, sans vouloir être provocateur ni rebelle au delà du raisonnable, que mon sacerdoce parmi vous était ma Peau d’Ane, c’est-à-dire une demeure provisoire dans l’attente de son vrai visage. Le prêtre a été en effet souvent défini comme un serviteur du peuple des croyants qui officie dans le Temple, dans les lieux réservés au culte, à l’exécution des actes sacramentels et au bon respect de la » doctrine » officielle. Un peu comme un bon corps de spécialistes assurant une médiation entre le propriétaire des lieux et ses invités. Je dirais que le prêtre officie « dans » la Maison mais qu’il n’est pas forcément « de » la Maison. C’est le Fils qui est « de » la Maison, génétiquement, de plein droit, par héritage, et c’est son ADN qui en fait un fils. Le serviteur ignore souvent qu’il peut être aussi le Fils : seul, celui-ci a accès à son Père sans autre médiation qu’eux deux. Lorsque le fils est présent, le serviteur n’a plus de raison d’être : il est donc essentiel de « passer » du statut de « serviteur-dans-la-maison » à celui de fils ou de fille « de-la-maison ». N’est-ce pas cet itinéraire que nous entreprenons depuis tant d’années ? Le fils ou la fille n ‘est pas le serviteur ou la servante de son père mais son « ayant droit » sans que ce droit puisse lui être jamais retiré ou confisqué : cf la Parabole de l’Enfant Prodigue où aucun délégué religieux ne négocie les retrouvailles entre père et fils autres que les deux occupants eux-mêmes de la Maison de famille ! Père et Fils n’auront jamais besoin d’un intermédiaire ni officiel ni privé pour se parler cœur à cœur. Le statut de Filiation est donc plus important que celui de Sacerdoce.

C’est cette « passe de trois » qui est si difficile à mettre en œuvre : transiter de celui de serviteur ou prêtre, à celui de compagnon ou ami et enfin à celui de fils ou de fille. L’évolution naturelle ou orientée de l’Histoire de l’Eglise a conduit à privilégier le rôle du prêtre jusqu’à le rendre incontournable et parfois œdémateux à force de le majorer et de le laisser éclipser l’identité de fils: c’est ainsi que le personnage du prêtre a dégénéré en celui de simple ecclésiastique, c’est-à-dire membre d’une église derrière lequel semble s’étioler le sens filial au profit de celui d’appartenance à une catégorie sociale : le clergé.

Ma conviction, aujourd’hui, est que le Fils dépasse infiniment le Prêtre : ce dernier ne tire son utilité que lorsqu’il pallie l’absence du Fils comme on le constate dans certaines paraboles où l’administration d’une maison ou d’une vigne est laissée entre les mains des serviteurs qui finissent par se débarrasser du fils légitime pour s’emparer du bien foncier. C’est peut-être d’eux dont il est parlé dans l’Evangile lorsque Jésus avertit ses disciples : » Lorsque vous aurez fait tout ce que vous aviez à faire, dites-vous bien que vous n’êtes que des serviteurs inutiles.. » Non pas que le prêtre soit un personnage inutile, mais il ne tire son utilité que de l’absence provisoire du fils. Lorsque celui-ci débarque à la Maison, c’est-à-dire lorsque nous prenons conscience de notre Filiation, toute référence au rôle du prêtre devient inutile. Ce constat peut paraître sévère : en fait il ne l’est pas mais témoigne d’une exigence qui ne souffre pas de compromis dans l’approche de la divinité : ce sera jusqu’à la filiation ou bien l’ascenseur tombera en panne au milieu du trajet !

C’est ainsi qu’aucune femme ne devrait en aucun cas regretter de ne pas être ordonnée, car ce que l’Eglise lui refuse aujourd’hui en tant que prêtresse, elle peut pleinement l’accomplir en tant que Fille de Dieu, sans autre autorisation que la sienne propre. Au moment ultime de son existence, lorsque le Christ confie l’éducation finale de son disciple Jean à sa Mère, il ne dit pas à celle-ci : « Prends soin de lui : c’est un futur séminariste, un bon prêtre, un aumônier de jeunes ou peut-être même un cardinal romain, veille bien sur lui jusqu’à son ordination « mais : fais-en un Fils, le Tien, et donc un frère : le Mien. Sommet indépassable de la révélation.

C’est la raison pour laquelle je décide aujourd’hui de déposer mon sacerdoce entre vos mains. En aucune façon, il ne s’agit pour moi de me débarrasser d’une charge devenue trop lourde ou obsolète. Je vous le remets à la fois comme un outil que nous avons bien fait fonctionner ensemble mais aussi comme un explosif toujours muni de sa charge et prêt à exploser au contact de simples « laïcs » qui s’aviseraient de le manipuler hors de toutes les conventions habituelles de l’Eglise. Scandale redouté par une hiérarchie qui a fait du sacerdoce son patrimoine exclusif. Ce sacerdoce n’est ni un titre, ni une distinction, ni une spécialisation, ni une récompense, mais un service qui nous a sans doute préparés, vous et moi, à aborder résolument notre Filiation légitime au long de ces années. Il est devenu vôtre par imprégnation, par compagnonnage, comme un fruit naturel récolté par ceux qui en cultivent les arbres dans leur jardin. Il est tout ensemble une étape de croissance légitime et un stade à dépasser pour entrer « à la Maison » où le Père ne reçoit que ses fils reconnus tout en attendant que tous le deviennent. Cette filiation en droit fil, demeure bien supérieure au sacerdoce que l’Histoire a fini par placer à tort au sommet de la pyramide. C’est le moteur de la filiation qui prend le relais du sacerdoce comme le second étage d’une fusée se détache du premier grâce auquel il doit d’être arrivé suffisamment loin pour pouvoir se passer de ses services.

Je pourrais ajouter avec humour que mon sacerdoce a fondu au brasier de notre fraternité patiemment tissée en laissant nos histoires individuelles s’embraser (ou s’embrasser) mutuellement. Il en est résulté l’éclosion d’une pépite combien plus précieuse : la filiation. Je complèterais la panoplie en disant que le sacerdoce n’est autre que le minerai de cette filiation divine et qu’il convient donc de le passer au feu de l’incandescence.

Que chacun s’exerce donc librement et s’emploie à exercer ce service de la médiation entre Dieu et les hommes comme il en a le droit, jusqu’au point où ces compagnons de route n’auront plus besoin de ce service intermédiaire du sacerdoce mais seulement de leur relation de paternité-filiation. Le sacerdoce des chrétiens est une mesure provisoire valable pendant la durée de chaque histoire personnelle, la filiation est la conscience d’une Origine incandescente et incorruptible qui touche à la fois l’Histoire et l’Eternité.

Le Père n’a pas besoin de serviteurs dès lors que les fils remplissent sa Maison, d’où leur apparente inutilité dans le passage indiqué ci-dessus. Ils ne peuvent faire valoir leurs compétences qu’en l’absence ou la négligence des fils dans la Maison : or, combien d’entre les croyants sont convaincus d’être fils ? Ils se voient d’abord pécheurs, puis indignes, puis serviteurs, et encore fidèles, croyants mais si peu fils et filles! D’où le rôle, encore provisoirement utile, des « ordonnés », à la condition qu’ils gardent le souci de transmettre la filiation divine auprès des fidèles.

J’ignore comment chacun de vous recevra ce message qui n’a rien de normatif ou de doctrinal, mais qui cherche à ouvrir une petite « issue » dans ce que beaucoup d’entre nous ont reçu autrefois dans un paquetage religieux où le droit à l’intelligence n’avait pas souvent ses entrées : priorité au pouvoir des prêtres, croyait-on. Je nous pense prêtres tous ensemble à partir du moment où une véritable fraternité s’est mise en place Celle-ci n’est pas la même que la fraternité de la République qui est une fraternité sans père. La nôtre suppose évidemment une Origine commune sans laquelle une fratrie n’a pas de consistance. Nés de Père inconnu? Recherche d’un Père perdu dans l’intérêt des familles ? Ne sont-ce pas les enfants qui permettent à leur origine une reconnaissance en paternité ?

J’attends le jour heureux où je reverrai vos visages. Veillez avec soin sur cette Filiation en gestation en chacun d’entre vous. Merci et grande tendresse. Yves.

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LA VIOLENCE AU DÉFIBRILLATEUR …

             Les mots engendrent des rejetons comme les arbres font des rejets sans pour autant rejeter personne…Le terme évoque plutôt un rebondissement, une réaction, un nouveau départ. C’est un surgeon qui naît à partir de l’arbre sans pour autant se trouver rejeté loin de lui. Une promenade errante parmi les mots et leurs surgeons devient aussi rafraîchissante qu’une balade en forêt. Les mots, eux aussi, ont des enfants qu’il faut prendre en considération. Le mot a autant d’importance par ce qu’il évoque que par ce qu’il désigne.

            Ainsi en est-il du terme violence, qui fait appel, en premier ressort, à des contenus émotionnels incrustés en nous depuis des générations (qu’on fait remonter volontiers jusqu’au mythe de Caïn et Abel), et proches du mal qu’on inflige à autrui sous des formes variées qui peuvent aller jusqu’aux cruautés qu’a connues l’Histoire passée et contemporaine (cruauté : de cruor, latin : le sang). L’ADN de l’Humanité serait comme parasité par un goût et un désir incontrôlables du sang versé. Nous savons, à la suite de Noé le Juste dans la Genèse 9/4, que le sang signifie l’âme, le sens, et ne concerne pas un simple produit hématologique. Verser le sang signifie alors vider quelqu’un ou quelque chose de son Sens, de son âme, de sa valeur profonde. Dénier à une personne son droit à revendiquer un Sens unique, original, un valeur sans égale pour le monde, équivaut à verser son sang, à exercer contre lui une violence maximale. Cette vision   « saignante » de bien des hommes sur l’Homme culmine aujourd’hui aux quatre coins de la planète.

          Faut-il s’en accommoder ou s’y résigner ? Et si le jeu des mots pouvait être le défibrillateur capable d’offrir à la violence une issue inattendue ou tout du moins alternative ?

            Laissant à part pour l’instant les multiples tentatives d’approches et de définitions philosophiques, métaphysiques, sociologiques ou religieuses du phénomène de la Violence, contentons-nous de fouiner dans le dictionnaire, précieux auxiliaire souvent négligé dans ces joutes séculaires. (cf le Grand Robert)

            Le mot serait issu du latin violentus : « emporté » en parlant du caractère, impétueux, impérieux, despotique, tyrannique. Mais un premier rejeton signale une seconde origine latine : vis qui signifie « force en action, puis force exercée contre quelqu’un, viol, assaut, force des armes »

            « Vis » a un équivalent en grec : dunamos (dynamique) : dynamisme, puissance, ascendant, et même : valeur d’une monnaie. Et encore : Sens, valeur d’un mot.

            Vires (pluriel de vis) : les forces physiques, les ressources mises à la disposition d’un groupe social pour exercer sa « vis », sa puissance vitale. Au figuré : le sens s’étend aux forces militaires, aux troupes, mais aussi à la force, propriété d’une plante.

            Enfin, le mot est peut-être apparenté à « vir : le mâle, la force virile, caractère emporté, farouche ».

            Jouer avec les mots constitue le centre actif du défibrillateur. Cela nous permet de constater que la violence, vue sous son aspect académique, est loin de représenter les seules forces négatives dans lesquelles l’usage historique et culturel a petit à petit tenté de l’enfermer. Les diverses significations possibles s’entremêlent, s’entrecroisent comme autant de sentiers divers entrelaçant leurs tracés au cœur d’une forêt. De plus, le jeu des mots octroie à la langue une légèreté dans le maniement du sens qui tempère la rigidité d’un langage trop académique pliant la pensée à ses exigences.

            En premier lieu, le caractère « emporté » : est-ce moi qui l’emporte avec moi, comme un paquetage touché à ma naissance, au travers de mes péripéties humaines ou est-ce lui qui m’y porte avec toute la fougue que ce nouveau mot suppose ? L’impétuosité n’a rien non plus d’alarmant : elle serait plutôt un signe de bonne santé mentale résistant à l’apathie générale. (C’est plutôt pour manger tout de suite que pour emporter !…) L’emportement suggère également un côté passionné prouvant qu’on s’intéresse à un débat ou à une confrontation en général. Bref un tempérament participatif. Mais vient s’accoler immédiatement la nuance despotique ou tyrannique, indiquant qu’il nous faut trier parmi le meilleur et le pire de ce qu’on lui reconnaît, la coloration dont nous souhaitons repeindre la violence. C’est un travail de tri, de discernement, de choix. A quelle sauce accommoder ma violence à supposer qu’elle me soit congénitale ? Contre ou en faveur de la vie ?

            De plus, la « force des armes » peut se dissocier du contexte purement militaire pour se retrouver, par exemple, dans l’arène des Jeux comme en témoignent ceux qui se renouvellent tous les quatre ans dans un combat de performances et non de supériorité destructrice. Au cours de ces confrontations, la nocivité de la guerre trouve un dérivé dans l’engouement du challenge à relever. Entre la guerre et les jeux, se dessine un espace décisif qui a toujours existé dans toutes les civilisations. Les enfants ont toujours « joué à la guerre » et pas seulement dans les albums d’Astérix depuis la Croisade des enfants, sans parler de la guerre des boutons », en passant par les joutes, les tournois, les indiens et les cowboys, les Allemands et les résistants après la deuxième guerre mondiale, et plus récemment dans les pays en guerre du Moyen Orient. Peut-être la notion de Jeu est-elle sous exploitée par notre imaginaire collectif, qui peine alors à transposer le combat fratricide en rivalité positive ?

            La puissance : « vis » donne au pluriel : vires, les forces vives et permet à l’esprit d’imaginer une variation sur le thème de l’expression : « serrer la vis », c’est-à-dire renforcer la préférence accordée aux ressources personnelles aptes à servir un grand dessein au lieu de se cantonner à l’évocation négative de l’expression. S’acharner à « serrer de près » les énergies positives de tout un chacun au bénéfice d’une destinée commune devient une mobilisation générale, non pas contre quelqu’un, mais pour une réussite concertée.

            Enfin, « la force, propriété d’une plante » jointe à la « virilité » de l’homme conjuguent une énergie mi mâle mi femelle, mi végétale mi animale, un peu comme deux versants d’une montagne qui s’opposent sans pour cela vouloir s’éliminer l’un l’autre mais au contraire pour s’adosser l’un à l’autre rendant ainsi la montagne réellement accessible et digne d’une ascension élevant le niveau des deux compétiteurs.

            Il suffit que l’un des protagonistes s’obstine à imposer arbitrairement ses vues ou ses méthodes sans tenir compte de la réalité défendue par son partenaire, pour que l’équilibre bascule dans une lutte de domination et d’influence stériles et dégradantes, comme c’est le cas dans l’opposition permanente droite-gauche de la politique française bloquant une grande part des forces démocratiques du pays. C’est sans doute aussi ce qui est en jeu dans la question du voile : celui-ci est-il musulman ou islamique ? Le heurt qui précipite sans nuances les tenants d’une théorie contre les partisans de l’autre, ressemble au duel que se livrent deux bœufs musqués dont la seule intelligence consiste à se fracasser le crâne en se jetant stérilement et bêtement front contre front. On s’empêtre (ou on s’emprêtre …) dans les plis d’un simple tissu faute de savoir s’impliquer intelligemment dans les replis de deux cultures à apprivoiser d’urgence.

            S’occuper à extraire ce qu’une situation de violence peut recéler de valeur cachée (rappelons que le terme violence a désigné aussi la valeur d’une monnaie), contribue à la vider de son venin et de sa virulence. Mais cette option suppose en amont un choix délibéré de notre part en faveur du Vivant, dans ce duel parfois mortel entre Sens et Non Sens de l’existence. Entre les deux « forces armées » que constituent le Sens et le Non-Sens, il y a place pour le Contre-Sens, c’est-à-dire une ouverture interstitielle qui propose peut-être de nouvelles Voies intermédiaires… Mais cette courageuse option nécessite sans doute une élévation du débat au delà de valeurs réelles réduites souvent à des drapeaux qu’on agite selon les circonstances : laïcité, liberté d’expression, valeurs républicaines, fraternité sans père, hymnes nationaux, droits de l’Homme, égalité…L’oubli délibéré d’une panoplie de « monnaies d’échange » comme la dignité, l’estime de soi, l’altruisme, la Mémoire et l’Héritage, la spiritualité réactualisée, la Sagesse, la fraternité, la Beauté nous cantonnent à n’être que des nains puisque ces derniers, tout humains et respectables qu’ils soient, se voient malheureusement amputés d’une croissance en hauteur.

            Il n’y a pas de honte à être nains, mais demeurent deux questions : « ces nains portent quoi » ? Pourquoi aucun d’eux ne tombe-t-il amoureux de Blanche-Neige et d’où tirent-ils leur stérilité rédhibitoire ?

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OSER L’ILLEGALITE ?

            Pour ceux qu’une approche de la pensée hébraïque n’effraye pas mais réjouit au contraire par son audace et sa largeur de vue, dépassant de loin les prétentions de diverses religions préoccupées de construire des doctrines ou même des dogmes inébranlables, arrêtons nous sur le mot « firmament » qui indique, dans la Genèse, la séparation nette entre les eaux du dessus et celles du dessous (Gen 1/6 à 8). Ces eaux ne sont pas identiques, ainsi que, par exemple, une eau plate et une eau gazeuse ou encore les eaux de mer et celles qui tombent du ciel. Une certaine interprétation de ces mots mystérieux nous suggère que les eaux d’en bas (le Nil pour les Hébreux qui passèrent un long temps d’esclavage en Egypte au bord de ce fleuve qui leur fournissait d’un côté une fécondation nécessaire au pays, mais qui, de l’autre, recevait tous les enfant hébreux jetés dans ses tourbillons, étrennant ainsi une longue série de génocides), ces eaux basses donc désignent la capacité et l’autonomie humaines pour gérer le quotidien de son histoire ? « Eaux de vie-ou-de-mort » selon l’expérience qu’on en faisait, symbolisaient sans doute le courant de la vie au jour le jour avec son ambivalence fondamentale : vie de rêve ou vie de chien selon les périodes ou les circonstances. Ce firmament (de firmus, latin, solide) suggérait alors le symbole de la Loi « ferme » que Moïse proposait à un peuple déboussolé par le tiraillement entre deux exigences : l’une le tenant attaché mais dépendant du réel quotidien, de sa propre histoire et l’autre faite de valeurs plus élevées émanant de leur intériorité profonde, proposant un sens positif au chaos souvent indéchiffrable auquel leur itinéraire les confrontait.

            Ce mot « firmament » est traduit au plus près de l’hébreu par le mot « plafond ». La Loi de Moïse serait le plafond, la limite à de pas dépasser, que le prophète impose à un peuple en voie de structuration mais qui peut se muer également en « plafonnement ». Plat-fond ou fond-plat sont la réplique l’un de l’autre. En jouant sur les mots et en récupérant le fond du plat, on en arrive toujours à la platitude. Une loi plate, rigide, sans relief, uniforme pour tous, ne tolérant aucune exception à la règle : on en arrive à un nivellement des esprits, de la morale, voire de la spiritualité : le même menu pour tous sans nuances. C’est le « plat du jour ! » qui met tout le monde d’accord et on « repasse les plats » identiques » et monotones avec le même assaisonnement rituel ou liturgique sur lesquels chacun glisse comme sur un parquet régulièrement ciré. Le plafond renvoie au plancher, le plancher regarde le plafond : comment s’étonner qu’on craigne de finir entre quatre planches ?

            A l’extrémité opposée au plat-fond, il y a le plancher qui a intérêt, lui aussi, à être rigoureusement plat. Le plancher est l’image du quotidien que chacun a l’habitude de rencontrer, son histoire personnelle. Nous voilà pris entre deux platitudes » l’une en haut l’autre en bas. La platitude est une condamnation à l’horizontalité : l’horizon « t » alité !» Quelle perspective de vie nous propose-t-on en modèle ! Comment ne pas se sentir à plat ? Comment ne pas vivre aplatis entre deux platitudes ! Les encéphalogrammes n’en finissent pas de devenir plats ! Les prêtres eux-mêmes se font ordonner à plat ventre. Entre plat-fond et plancher, on remet les problèmes à plat et si, de plus, l’espace est bas de plafond, comment peut-on espérer vivre debout sous un plafond trop bas ? On est condamné à vivre comme la femme courbée sous une loi de bas niveau (ou de bas de gamme), mentionnée dans l’Evangile avec incapacité constitutionnelle à se tenir debout. Une loi basse de plafond est un refus de verticalité imposé à l’occupant des lieux, une amputation de la hauteur à la quelle il a droit pour vivre libre. Le type même des lois basses de plafond est celui où règnent les dictatures, qu’elles soient politiques, culturelles, religieuses. Celui au nom duquel chacun est évalué comme bon ou mauvais selon son degré de soumission à la norme en vigueur. Ces lois nous obligent à vivre inclinés, soumis, dépendants, assujettis, avec nos élans cassés à la base, toutes attitudes démissionnaires qu’on baptise à tort : humilité, obéissance, douceur, sacrifice, empathie, voire même amour inconditionnel.

De même que plafonner arbitrairement un développement en hauteur c’est forcément le limiter, comment appliquer ce verbe à la croissance d’un arbre ? Le vivant est-il condamné à une limite indépassable de lui-même sous peine de se recroqueviller pour continuer à vivre ? Défense d’aller plus loin, au delà de ce qui est décrété, terrain miné, terrain militaire : défense d’entrer ! Strict verboten ! Ne dépassez ni les bornes, ni les limites, ni les consignes, ni les dogmes. Travaillez et aimez comme les conventions sociales vous imposent de le faire sans changer l’ordre des choses et sans chercher à chausser d’autres pointures que la vôtre. Les bottes de sept lieues sont un leurre. De la peine plancher au plafond des salaires, « il ne faut pas de faux pas » ! Ce n’est pas dans l’espace de ces lois-cercueils que l’Homme peut parvenir à la bonne Hauteur ! Ne rêvez surtout pas de transcendance c’est-à-dire de ce qui pourrait vous intéresser au dessus des lois plafonds : vous l’interdire équivaudrait à une castration par le Haut. Si vous vous plaisez en carré, au garde-à-vous, alignés, anguleux, c’est que le plafond-firmament est sans doute encore trop haut placé pour combler vos rêves de grandeur.

            A l’inverse de ces mises en boîtes organisées par les « lois cadres », les Jeux Olympiques proposent une pédagogie inédite de la hauteur qui fait exploser l’espace corporel. Sauts en longueur, en hauteur, à la perche, plongeons vertigineux, cabrioles affolantes à la barre fixe, à la gymnastique au sol, saut à la perche etc…Le corps devient le symbole du dépassement de la loi qui lui a été pourtant imposée et nécessaire jusque là pour apprendre. Et c’est le génie propre de chaque concurrent qui dépasse les compétences acquises par apprentissage pour atteindre des sommets que l’apprentissage seul ne peut obtenir. La compétition dans son ensemble est une course à qui veut « crever le plafond », atteindre des sommets toujours reculés tous les quatre ans. Et ça culmine dans l’admiration générale et la découverte que je ne suis moi-même qu’en prenant de la hauteur, c’est-à-dire en transgressant les limites imposées : la Loi.

            Prendre de la hauteur ce n’est pas s’élever au-dessus des autres : il ne s’agit pas d’une vue comparative et méritoire des uns par rapport aux autres. Mais il s’agit de prendre « ma » hauteur, celle qui ne sera que la mienne, sans course échevelée pour rafler la première place mais pour occuper ma place en premier, car c’est celle à laquelle j’ai droit parce que c’est la mienne. C’est cela le sport de « haut niveau » qui m’entraîne vers mes propres cimes : une « r-évolution permanente » de mes capacités personnelles par rapport aux étapes précédentes de mon parcours existentiel. En ce sens, chacun étant unique au monde, devient médaille d’or dans sa propre catégorie.

            Il est remarquable que ces compétitions internationales soient nommées « Jeux » d’une part et « Olympiques » d’autre part. L’Olympe était le paradis des dieux auquel les hommes n’avaient pas accès sous peine de répression massive. Dans le contexte présent, on a l’impression que les athlètes se mesurent aux dieux de l’Olympe pour le prendre d’assaut et accéder à l’Or qui a toujours été un signe d’appartenance divine. N’est-ce pas le symbole de la confrontation immémoriale de l’Humanité avec ou contre la Divinité, soit pour en devenir partenaire, soit pour éliminer cette dernière ?

            La pensée biblique n’a jamais voulu faire de Dieu un concurrent direct de l’Homme, ni un adversaire, ni un rival. C’est un Dieu que les Israélites découvriront à force de recherches, comme un partenaire toujours proche et préoccupé d’une alliance indéfectible. Ce partenariat, enseigné dès les sept jours de la Genèse, a pour objectif de »monter », d’élever l’Humanité « tout contre sa joue comme une mère le fait de son nourrisson » selon Osée, c’est-à-dire dans une tendresse corps à corps sans équivalence dans aucune autre spiritualité. Et de lui faire traverser la Loi-firmament jusque dans les nuées, cousines de l’Olympe, lieu résidentiel de la Divinité. C’est peut-être de cela qu’il s’agit lorsqu’on évoque le « Dieu Très Haut » : la référence à une transcendance qui m’habite, seule apte à « monter mon humanité jusqu’à son statut divin » comme on monte un projet d’envergure existant de toute éternité. (ce qui est différent de monter quelqu’un en épingle avant de le retirer du jeu comme il est courant de le faire en politique.. !) Et toute loi, politique, morale ou religieuse qui vient barrer la route à cette élévation de droit divin, court le risque légitime d’être dévaluée et transgressée pour motif déclaré d’illégalité.

            L’exercice de la spiritualité et d’une requête en divinité menée par des chercheurs de vérité s’apparente alors à un Jeu pour lequel nous disposons d’un « corps olympique », c’est-à-dire capable d’être conducteur d’une puissance transcendante (mot qui signifie : dépasser en montant) qui les aspire dans les profondeurs de leur Origine « avant même que notre mère nous mît au monde » selon Jérémie. Et tout se joue naturellement au niveau du Corps, terrain privilégié sur lequel se jouent tous les matchs entre humanité et divinité.

            Jouer et jouir : deux mots clefs bibliques largement oubliés, les deux « joues » divines que l’Homme peut se permettre d’embrasser en toute sécurité et légitimité. L’enfant ne commence-t-il pas par « jouer se réjouir » avant tout apprentissage de la vie ? Les jeux de mots sont une ressource connue auxquels s’abreuve l’intelligence pour s’ouvrir de nouvelles portes. Peut-être faut-il réapprendre à « jouer du corps » que des déviations historico-religieuses nous ont présenté si souvent comme le « mauvais objet » ou comme l’obstacle majeur à la divinisation alors qu’il en est le « grand Véhicule » en clin d’œil au bouddhisme ? Il y aurait bien des lois ou des tabous concernant le corps qu’il faudrait se permettre de percer, comme Jésus a percé lui-même les tabous de la Loi, du Temple et du Shabbat au jour de son baptême où il voyait le firmament ouvert ? Les générations qui suivent oseront sans doute ce que la nôtre n’a plus le génie d’entreprendre, trop formatée qu’elle est depuis tant de générations. Dans tout récit de combat dans lequel une troupe est cernée, elle ne peut se délivrer qu’en tentant une sortie, une percée, une issue. Percer l’abcès.

            Transgresser une loi réductrice de libertés en y ouvrant des brèches ne dénote pas une attitude de hors la loi désireux d’anéantir cette loi. Percer n’est pas détruire ni même fragiliser : c’est se donner des possibilités d’aération voire d’évasion pour qui en éprouve le besoin, tandis qu’un autre aura encore besoin de s’appuyer sur elle pour poursuivre sa progression. Ouvrir une porte dans un mur n’équivaut pas à démolir la maison. Chacun opère les percées qui lui semblent nécessaires sans pour autant rêver d’anarchie généralisée. Il appartient à chacun de « faire son trou ». Celui-ci peut se creuser vers le Bas, dans l’enfouissement au cœur de ma terre d’origine que je ne veux pas changer, mais il peut aussi se situer au plafond, au sein même de la Loi qui me permet un débouché vers le Haut. Le vertige que m’inspirent ces deux ouvertures faisant appel à mon choix ou à mon refus de les traverser, peut me rejeter vers des lois rigides qui sont en fait des « bouche-trous » empêchant tout dépassement de moi-même par le Haut ou par le Bas. Par peur, par inconvenance, par une fausse humilité obstruant en moi toute acceptation de la grandeur à la suite de discours pervertis qui m’ont blessé, par la même crainte qui secouait tout prophète invité à s’approcher du Sinaï d’où Dieu était censé lui parler (l’Olympe des grecs), je me prive de l’issue de secours m’ouvrant la route de la » trans-ascendance ».

            La question de fond est la suivante : l’indémêlable réseau de lois en tous genres qui s’entrecroisent sur nos têtes de citoyens ou de croyants, ne tisse-t-il pas un maillage serré semblable à un filet tenant captif l’oiseau d’Or de la transcendance (dépassement par le Haut) dont parle le Psaume : « le filet de l’oiseleur s’est déchiré et mon âme s’est libérée » ? La liberté ne s’obtient que grâce aux déchirures que j’ose pratiquer au cœur des lois trop basses de plafond. Ce terme « déchirant » jalonne les récits bibliques depuis le grand prêtre qui déchire ses vêtements, le ciel (la Loi) qui se déchire au-dessus de Jésus sortant du Jourdain, le tissu neuf qui déchire l’ancien quand on le coud sur un support fatigué, la femme de l’Evangile agrippant jusqu’à le déchirer la frange du manteau de Jésus (frangere en latin = déchirer), le voile du Temple qui se déchire devant la Parole Neuve qui secoue le peuple, la tunique de Jésus en croix que les soldats ne déchirent pas.. On dirait l’image d’un lion qui déchire une proie ou qui l’épargne…Les lois se déchirent mais l’Union profonde entre Humanité et Divinité (la tunique sans couture), elle, est indéchirable.

            Ce qui laisse entendre que certaines transgressions sont non seulement des chances inespérées de grandir mais encore une invitation pressante à s’y engager. Elles paraissent scandaleuses à ceux qui se résignent au rouleau compresseur du formatage idéologique que les conventions sociales s’entendent à engendrer pour mieux imposer leur mainmise sur les populations. On finit par s’en accommoder puis à s’y plier ou résigner, quitte à contracter des scolioses spirituelles à long rayon d’action, mais préférant une sécurité illusoire à une métamorphose qui tarde à venir tel l’époux de la parabole qui, lui aussi, tarde à venir et dont le retard endort à la longue les moins vigilants. (Parabole des vierges folles et des vierges sages). Tous les domaines de l’existence sont concernés et parfois menacés par l’excès des directives : la famille, l’école, la politique, l’économie, la vie citoyenne, la sexualité, la spiritualité, les relations intercommunautaires etc. … Les générations futures ouvriront à n’en pas douter, des brèches conséquentes dans l’enclavement de nos morales au petit pied qui nous effrayent tant et nous inhibent aujourd’hui mais qui enchanteront nos descendants demain.

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  LETTRE A MATTHIEU CROISSANDEAU DIRECTEUR DE L’OBS

Votre dernier numéro du journal l’Obs du 11 au 17 août 2016, aurait pu s’intituler : « Lettre à ma mère ». Ou à ma femme ou à mes filles ou encore à toutes les représentantes de la gent féminine. Car la couverture sous laquelle vous les englobez toutes est une gifle magistrale que vous leur adressez en les résumant sous la photo d’un vagin géant et béant, ouvert comme la bouche d’un four tel ceux d’Auschwitz digérant gloutonnement ceux qu’on considérait comme le rebut de l’Humanité. Au premier abord, on se demande si le responsable de cette obsession dénaturée n’a pas été lui-même conçu dans des toilettes ou s’il n’est pas tombé dedans quand il était petit. On ne peut qu’être frappé en tout cas de la ressemblance saisissante entre cette expression graphique et le visage de son auteur. Je suggère une courte légende accolée à la photo : « Femmes, je vous aime », mais jusqu’à une certaine hauteur de vue ou à l’autre bout de vous seulement. Mais êtes-vous sûr de tenir le « bon bout » ? Le niveau indépassable de vos fantasmes et de votre muflerie n’a d’égal que celui des nains de Blanche Neige incapables, et pour cause, de mettre la barre plus haut que la vôtre en ce domaine.

J’imagine la joie et la reconnaissance de votre entourage féminin à l’idée de paraître en cet état dans le journal sous leur meilleur jour ! Peut-être votre mère rêve-t-elle de paraître en cet « appareil simplissime» à la télévision ? Quel hommage lui rendriez-vous ! J’imagine que vous êtes en train de préparer le numéro suivant au nom de la parité avec  votre « pendantif » à vous en couverture, in live ! ou peut-être celui de Jean Daniel ou d’autres collaborateurs dont le silence apparent à ce sujet semble acquiescer massivement à votre dérive…C’est cela qui serait courageux au lieu de vous défausser sur Gustave COURBET et sur toutes les femmes du monde que l’imbécillité d’un grand nombre écrase déjà sous son mépris, et cela, dans toutes les cultures ou presque.

Entre nous, si vous ignorez à ce point comment est faite une femme et le charme dont elle est porteuse, consultez de temps à autre une publication de votre niveau culturel mais cependant nettement plus motivant : le catalogue de la Redoute ou des Trois Suisses !

Mais restons-en à l’image publiquement affirmée en gros plan de votre vision de la Féminité : un vagin sur pattes ! Mais cette infamie est de gauche apparemment et revêt sans doute par là l’éclat légitime et usurpé de la modernité ! Vous laissez écrire dans l’article : « l’origine du monde enfin exposé » : il était temps que vous découvriez que le sexe existe depuis l’origine des temps mais aussi que les femmes possèdent un visage, un cœur, un honneur, un esprit et une intimité inviolables : il ne s’agit pas ici de l’origine « du » monde » mais de « votre monde intérieur » qui nous évoque un violeur, un pornographe doublé d’un pornophage. Et le fait d’être journaliste et directeur de publication ne vous donne aucun droit d’agresser tant de personnes qui n’ont pas votre culture « de gauche » ! mais témoignent de références humanistes et plus élevées que celles dont, malheureusement, notre fameuse gauche d’où qu’elle soit, a fait son deuil depuis longtemps !

La présentation de l’article ne peut servir d’excuse à la violence d’une image de couverture dont vous vous souciez fort peu de l’effet qu’il produit sur beaucoup de jeunes en particulier qui n’ont déjà plus rien à attendre d’une culture occidentale tout entière vouée au libéralisme, à l’argent et au sexe faciles, à la désertification spirituelle, au repli identitaire des religions et à l’intoxication du langage publicitaire et de l’information. Il ne s’agit pas de s’essuyer les pieds sur le paillasson qu’on a fait de certaines valeurs méprisées, mais d’essayer de comprendre pourquoi on a tant de merde immorale sous les chaussures ! Reprenez-vous, Mr CROISSANDEAU, vous et votre équipe d’une atonie stupéfiante entièrement assujettie à vos choix, avant que cette déjection ne sèche irrémédiablement sous vos pieds. N’êtes-vous pas vous-mêmes descendants d’une Origine mystérieuse qui a conféré aux humains que nous sommes, une dignité inaliénable et un destin exceptionnel ?

A mes yeux, vous avez gravement failli à trois reprises : vous vous êtes comporté comme un faussaire vis-à-vis de Gustave COURBET en lui faisant dire ce qu’il n’a pas voulu dire. Vous donnez en effet à une partie réduite de son œuvre un sens perverti car détourné de son intention première. L’artiste a peint une femme nue, vous le trahissez en affichant un sexe isolé, morcelé, « viandard » pourrait-on dire, auquel vous attribuez le label d’un morceau de choix ! Un morceau choisi dont vous savez qu’il va faire vendre du papier en flattant le lieu enfoui de nos fantasmes et de nos pulsions et pour lesquels nous sommes prêts à payer un journal qui ose en parler à l’air libre et à notre place !

En second lieu, vous exercez votre qualité de faussaire en faisant passer pour de l’or pur un bijou en plaqué or, brillant de tous ses feux face à nos convoitises mais totalement dévalué comme une photocopie par rapport à un original. En essayant d’estomper la brutalité pornographique de l’image par le contenu doucereusement culturel du texte, vous réduisez la beauté de la femme intégrale à une pièce anatomique de médecine légale, désossée, voyeuriste et bien sûr légitime. C’est le symbole de l’ogre, dévoreur d’enfants, qui confond la gloutonnerie d’un corps simplement comestible avec la qualité nourrissante d’une chair humaine estimée dans son ensemble corps-chair-esprit. Mais cet ensemble, pour la gauche contemporaine, c’est de l’hébreu ! Je pense que c’est faute d’avoir perdu cette transcendance donnant droit et raison à une authentique laïcité, que l’équipe rédactionnelle de Charlie Hebdo s’est perdue elle-même corps et bien, en particulier à cause de la laideur agressive, méprisante et haineuse de ses dessins de couverture et son ignorance abyssale d’un humanisme de base. De ce côté-là, ce numéro heureusement isolé de l’Obs, donne dans la même fausseté d’analyse que son confrère. Ce qui ne vous condamne pas vous, bien sûr, mais ce que vous prétendez donner en pâture à vos lecteurs dont je cesse d’être un partenaire à partir de ce jour. Mon abonnement risquerait de passer pour une adoption sans nuances de votre position, ce qui n’est vraiment plus le cas.

En troisième lieu, c’est justement cette parenté dégradante avec Charlie Hebdo qui constitue une sortie de route inacceptable à mes yeux : le non respect absolu de la personnalité de vos lecteurs dans sa diversité, auxquels tout peut être asséné sans nuances, sans écoute, sans empathie culturelle si je puis m’exprimer ainsi. La simple dimension de votre « vision vaginale » occupe en effet toute la place sur la page, symbolisant non seulement une impossible réponse, une dictature de la pensée unique dans un domaine pourtant si affiné et susceptible de tant d’autres interprétations plus gratifiantes. La myopie de nombreux médias consiste à croire que les lecteurs ou les auditeurs consomment comme un produit « Monsanto de l’information » les salades qu’ils leur servent. N’oubliez pas que vos lecteurs possèdent un sens critique qui vous échappe à peu près entièrement et qu’il existe une faille entre vous et « les Français », comme vous vous plaisez à uniformiser toute l’opinion, au moins aussi conséquente que celle qui sépare la politique et la démocratie de la base. Pensez-vous réellement que votre attitude soit un remède à l’enténèbrement de la part la plus souffrante qui tourmente nos contemporains : celle de l’esprit et de l’estime mutuelle dont nous avons tous besoin ?

Prenez garde qu’au gré de ces lentes dérives vers des rivages éloignés des vraies valeurs de gauche, le courant populaire vous oblige bientôt à changer votre fusil d’épaule, aux moments critiques où la République s’exprime dans son ensemble et, ce faisant, ne vous fasse réellement passer l’arme à gauche !

Parfois un geste aussi élémentaire que celui de tirer la châsse peut apparaître comme un acte citoyen !

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QUAND LA PRESSE S’EMPRESSE D’OPPRESSER…

Quand un hebdomadaire dit de gauche emboîte le pas aux simplifications morbides des people, il apparaît comme traître à sa mission. La première de couverture du dernier numéro de l’Obs. titre en effet : « terrorisme : l’Eglise martyrisée » avec un portrait envahissant de Hillary Clinton plaqué sans distance sur les yeux du lecteur comme pour atténuer l’effet de la première annonce. Mais le mal est fait, sciemment. Un prêtre a été malheureusement assassiné dans son église et c’est « toute l’Eglise » qui se trouve martyrisée ! Un seul homme, fut-il un notable dans sa communauté, devient à lui tout seul toute l’Eglise ! Une seule personne se mue soudain en un peu plus d’un milliard d’autres qui n’ont rien à voir avec ce crime si ce n’est tout de même au niveau du symbole qui vient, dans nos esprits envahis par une émotivité compréhensible, occuper une place sans mesure avec la réalité. Nous savons bien que l’importance que prend un crime à nos yeux est fonction de son éloignement géographique du pays que nous habitons. De même dans tous les sondages effectués sur n’importe quel sujet, il suffit qu’une infime majorité se dégage de la consultation pour que nous ayons droit le soir même au JT : « Les Français » pensent que…, « les Français » ressentent… Une totalisation flirtant avec un totalitarisme de l’info, une élimination de la moitié du pays dans cette prétention abusive : « Les Français » répondent oui ou non…la France souffre…alors que ce n’est pas la France qui souffre mais plutôt des multiples habitants qui souffrent en France et qui n’ont droit, en fin de compte et de parcours, qu’à une Marseillaise, quelque peu passe partout, pour linceul… ».

C’est la résonance, dans nos esprits perturbés ces temps derniers, d’événements bien réels souvent démunis d’une distance critique de protection, qui se trouve touchée, profondément atteinte, mais l’Etre, support fondamental et citoyen d’une nation, ne s’en trouve ni détruit, ni martyrisé pour autant. La relation médiatique d’un crime de sang qui ne se soucie que du ressenti qu’elle va déclencher chez le lecteur, fait déjà obstruction à sa compréhension. Elle estompe la signification de ses ravages et se contente d’une estimation décidément bien insouciante du poids de la vie depuis que chacun prend conscience de l’insaisissabilité d’un terrorisme atomisé, émietté, fondu dans la population au point d’en devenir invisible.

Un coup d’œil au Grand Robert concernant le terme martyr peut éventuellement modifier la pensée collective. Issu du mot grec « martur », son premier sens serait : témoin. Sa radicale le rattacherait à l’indoeuropéen signifiant « se souvenir ». Souvenir et témoignage. Il n’est pas question d’abord de torture infligée ni d’une vie sacrifiée. Ce qui se trouve dans une racine se retrouve évidemment dans la plante qui en sort. Ce sens premier doit donc être conservé. Qu’est-ce qu’un « appel à témoin » ? Et se souvenir de quoi ou de qui ? Peut-être d’abord de qui je suis. Souvenir et témoignage ne sont pas de prime abord rattachés à une situation périlleuse mais à une priorité qui nous habite : qui suis-je ? D’où suis-je ? Voilà peut-être le premier « martyre » de l’Eglise : rappeler inlassablement l’étincelante origine de l’Homme sous son habillage politique, religieux, culturel ou spirituel parfois réduit à l’état de loques à force d’avoir servi. Dans le cas d’ « une agression comme celle de St Etienne du Rouvray, il est peu probable que le prêtre ait été conscient de donner dans l’instant sa vie pour sa foi. N’ayant sans doute pas eu le temps de témoigner de sa foi ou de d’en souvenir, il ne peut être considéré comme martyr, sauf s’il a pu consciemment exprimer ce choix. Par contre, sa mort rappelle à l’Eglise sa charge, en ces moments tragiques, de rappeler que ce souvenir et ce témoignage font partie intégrante de l’identité chrétienne : le risque de la foi peut mener à cette extrémité.

Une autre acception du terme martyre est celle qui, en effet, englobe l’Eglise entière de la réprobation et de la haine générales à cause de ce qu’elle représentait : là intervient la notion de sacrifice qui suppose la destruction partielle ou totale de la vie. Qu’on se souvienne des persécutions systématiques qu’elle a subies dès les quatre premiers siècles de son histoire ou que le peuple juif a lui aussi supportées au cours de la sienne. Le déchainement de la violence sonne comme une urgence de la part des persécutés, de réaffirmer le témoignage qu’il y a des valeurs qui méritent qu’on meure pour elles si on s’y trouve contraint. Et qui, dans la foulée, ravivent le souvenir des convictions pour lesquelles on s’acharne à les supprimer.

Rappelons aussi que le terme sacrifice est comme la page d’un livre : il contient un recto et un verso. Au recto, la première lecture conventionnelle souligne un renoncement partiel ou total à une valeur fondamentale ; ce peut être par choix personnel pour signifier une soumission à plus grand que soi, ou par violence et contrainte : de toutes façons, c’est la vie qui se trouve perdante. Le terme latin est « sacrificare ».

Mais il existe un verso de la même réalité appelé : « sacrum facere », autre forme de sacrifice, qui signifie : accomplir ce que j’ai de plus sacré en moi. Or, qu’ai-je de plus sacré à mes yeux sinon ma propre vie qui m’a été confiée pour en faire un accomplissement total sur la base de mes ressources personnelles de toute nature : intellectuelles, affectives, actives, spirituelles ? Ce « sacrifice » positif n’exige aucun renoncement ni embargo sur mes dispositions personnelles : au contraire, ce sont elles qui bénéficient de la parole : « croissez et multipliez… »

Il existe au fond de chaque personne, une sorte de trésor de guerre fait de toutes les valeurs accumulées au cours de nos combats personnels ou collectifs, qui permettent à chacun d’éviter le choc psychique fatal et désespéré devant l’apparente omnipotence réitérée de la perversion extrémiste. Et qui nous permet de nous dresser contre une info qui se voudrait parole d’évangile : « nous refusons la dramatisation funeste et souvent morbide dont vous faites vos délices dans ce que vous nous servez ».

Ce que certains médias nous servent en effet, ce sont des événements devenus « œdémateux » à force d’être martelés, ressassés, exagérés et orchestrés d’images passant régulièrement en boucle, ou coagulés en des titres de journaux tout d’une pièce et bien gras. L’effet est obtenu : la vente « explose » car le premier objectif d’un journal est bien entendu de se vendre, sans quoi on ne l’imprimerait pas. Mais rassurez-vous : les quelques rares moments occupés à la lecture d’un journal ne sont pas de nature à ébranler toute l’existence humaine d’un lecteur, faite d’expériences vécues, assumées, dépassées, de luttes pour survivre, d’intuitions lumineuses issues de son intelligence et de conviction fréquente de la bonté humaine à la promotion de laquelle nombreux sont ceux qui y contribuent : les engagements divers, les associations multiples, les comités de quartiers, les entraides bénévoles de toute nature, les rencontres culturelles, philosophiques, spirituelles, les jumelages etc.. C’est là que se construit le tissu social consistant, l’esprit démocratique et la force intérieure du peuple réel (pas celui qu’imaginent les médias) et plus que cela, l’espérance que l’aventure humaine dépend de ceux qui ne renoncent pas mais s’investissent, se rencontrent, partagent et s’estiment. C’est pourquoi des titres de journaux, plus évocateurs de tentures funèbres que d’invitations au dépassement, orchestrent la menace d’une faillite des esprits. Non l’Eglise n’est pas martyrisée : elle paie, comme beaucoup, un tribut douloureux mais pas davantage et pas moins non plus que les morts du Bataclan ou de Nice qui n’étaient pas non plus la France à eux tout seuls, mais un morceau de chair conséquent arraché au corps de leur pays, ce qui suffit largement pour affirmer la barbarie mais aussi l’état de détérioration béante de leurs auteurs et le droit impérieux pour tous de s’en protéger sans faiblesse. Ajoutons qu’une institution, Eglise ou Patrie, est parfois plus souvent martyrisée de l’intérieur, que par des attaques externes.

Sans vouloir mettre d’huile sur le feu (elle aurait plus sa place dans les rouages..), il est tout de même nécessaire et citoyen d’interpeller nos journaux d’information et leurs responsables pour leur dire combien beaucoup d’entre nous considèrent qu’ils contribuent puissamment à entretenir un climat dépressif quant au terrorisme. L’hymne national ne suffit pas à lui seul pour ranimer la raison et le courage chez les Français : il leur faut entendre un discours de sagesse sur leur quotidien : les batailles d’experts à la télé ne remplacent pas l’intelligence à laquelle ils ont droit. Les manières récurrentes dont les journalistes resservent les événements en les pressurant au delà de ce qu’ils veulent dire, les mêmes images évidemment les plus « secouantes » reprises semaine après semaine, la complaisance avec laquelle ils étalent dans le temps et l’espace ces événements déprimants, suintant une ambiance délétère plus que la vérité qu’on ignore encore à leur sujet, tout cela contribue à enfler la joie purulente de Daech dont l’un des objectifs et d’infiltrer la peur et la dépendance dans les populations. A ce niveau, votre étalement indécent et exhibitionniste de l’information leur rend un éminent service. Ceci n’est pas une simple opinion mais bien un fait incontestable. Persévérer dans cette voie qui fait vendre votre gagne-pain, finit par constituer une complicité volontaire avec le terrorisme infiltré dans les esprits. Sachez donc, messieurs les journalistes, que votre responsabilité directe est engagée dans ce combat pour lequel on aimerait vous voir choisir résolument votre camp. Vous n’êtes pas dispensés, plus que d’autres responsables, de revoir vos copies…mais où sont vos priorités ? Il est déjà difficile d’engager une lutte efficace contre le chancre qui ronge le pays mais lorsque des complices font partie de la maison en « op-pressant » ses occupants, que nous reste-t-il à espérer ?

Beaucoup ! Et de beaux coups à espérer ! Une fois encore, la route à suivre vient des intuitions et des initiatives populaires. La rencontre fraternelle musulmans –chrétiens à St Etienne du Rouvray avec le projet d’abattement du mur entre les deux lieux de culte et le partage d’un recueillement commun promis à renouvellement, créent le nouveau langage intelligent dont les croyants de base ont le secret et qui bat en brèche l’arrogance d’un Daech dont le rêve psychotique voudrait justement rendre ces communautés inconciliables. Là se neutralise l’insidieuse relance médiatique du drame qui se vend. Là prend corps une paix substantielle, corporelle, sortie des belles paroles et des vœux pieux : des vœux dieux peut-être ? Sans oublier les JMJ de Cracovie (ou Croque La Vie ?) qui ont eu le secret de dévoiler l’innombrable réserve d’énergie et de foi que portent en eux des millions de jeunes : nos maîtres ? A consommer sans modération…

 

 

 

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  EXCELLENCE, QUAND TU NOUS TIENS …

                        Le cauchemar des anciennes distributions des prix en fin d’année scolaire qui me contraignaient à entendre encore et toujours les mêmes noms d’élèves décrocher le prix d’excellence à l’exception du mien bien entendu, galope encore dans le lointain de mon inconscient. Les années s’ajoutant aux années sans qu’un tel prix vint stupéfier mon père plus encore que moi, je m’étais fait à l’évidence que l’excellence et moi n’étions pas du même bord ni du même monde. Si cette auréole devait couronner, selon le dictionnaire » l’élève qui s’est le plus distingué dans l’ensemble des matières », cela pouvait se concevoir si ce dépassement concernait ses propres résultats précédents, mais il y avait dans ce choix, une comparaison avec ses condisciples qui se voyaient ainsi relégués à des stades inférieurs. Le lauréat n’était pas jugé au meilleur de sa forme mais à sa supériorité par rapport aux autres colistiers de sa classe. Avec la portion congrue pour presque tout le monde, l’excellence étant alors considérée comme un exception, et parfois comme une anomalie.

                        Mais peut-on comparer ce qui est incomparable ? Quel individu peut supporter un tel face à face lorsque chaque être est à lui seul, une valeur irréductible et exceptionnelle ? Plus personne au monde ne conteste l’évidence que chaque être humain est unique, sans double, ni photocopie, ni sosie, ni clone avec lesquels il puisse être confondu ou remplacé. Chaque personne étant donc unique au monde, elle est à la fois première et dernière dans sa catégorie (la citation évangélique :« les premiers seront les derniers et les derniers premiers » ne signifie peut-être pas qu’un jour ces deux classements s’inverseront : comment en effet les premiers seraient-ils sanctionnés de leurs efforts en se voyant ainsi dévalorisés ? Et comment les derniers mériteraient-ils soudain une place d’honneur pour n’avoir pas su la conquérir sur le terrain ? L’injustice serait à son degré maximal. Une autre lecture est possible : chacun est à la fois au début d’un itinéraire d’excellence et à son aboutissement final en fin de compte puisqu’il la place qu’il occupe dans le monde est unique et non échangeable et non remboursable (comme certains billets de la SNCF !)

                        On pourrait alors oser penser que chacun d’entre nous est promis à l’excellence qui n’est que l’aboutissement d’un processus de croissance ininterrompue et au cours duquel même les irrégularités, erreurs de tir, les détours, les sorties de route font partie intégrante de l’excellence que je construis. Celle-ci n’est ni un titre, ni un honneur, ni une récompense ou une gratification, ni un diplôme de fin de vie, mais une performance à mettre en chantier dans l’espace et le temps qui me sont attribués pour la mettre en chantier. Je puis donc dire avec justesse, au gré de mes rencontres quotidiennes : » j’ai rencontré aujourd’hui un excellent homme ou une femme excellente ; ma journée en portera donc la marque exceptionnelle : il suffit pour cela que nous ayons échangé au sujet de nos performances respectives sans perdre notre temps à des balivernes de bas étage. » Cette attitude relance toute l’urgence de redécouvrir l’estime de soi et de l’autre, de désirer y apporter éventuellement notre quote-part, sans jamais chercher à se la copier mutuellement. Et d’oser jouir de cet échange.

                       Le titre immérité d’Excellence du à un rang ou à une fonction sociale d’exception, ne présume en rien du niveau de perfection de son bénéficiaire. L’usage traditionnel qu’on en fait, ressemble à un livre dont seul le titre aurait été imprimé et dont on aurait égaré les pages…On en arrive à utiliser le terme comme un prénom : Excellence ! Mais cette appellation disqualifie l’homme auquel on ôte son prénom pour lui greffer un qualificatif  anonyme: il est une excellence avant d’être un humain.

                      Retrouver la légitimité de l’excellence consiste à découvrir que, sous l’image d’une 2 cv dont votre entourage vous croyait propriétaire pour traverser l’existence, se dissimule en fait un moteur de Mercedes piaffant d’impatience devant la prudence calculée de son conducteur..

                       L’excellence requiert le dépassement constant des niveaux de croissance auxquels nous sommes confrontés à chaque étape de nos vies. Le développement existentiel du monde s’accomplit selon un schéma cruciforme, en forme de croix et non de façon linéaire :c’est-à-dire : la valorisation du passé qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui, la promotion de l’avenir qui va en faire autant à partir d’aujourd’hui, l’enracinement dans une Histoire concrète et quotidienne dont je suis à la fois, bénéficiaire et acteur et l’élévation vers l’infini des valeurs à la source desquelles je vais puiser le Sens transcendant de ce que je suis. C’est comme une vaste explosion au ralenti, celle du bigbang originel dont je suis une participation lumineuse et consciente. Une déflagration puissante mais sans violence de chair et d’esprit se combinant pour refléter une Image excellente de l ‘Origine d’où je proviens, et s’étonnant jour après jour, de son envergure. Si je n’étais qu’un réservoir de puissance qui m’ait été donné à l’origine, tel un crédit à dépenser, l’excellence n’aurait pas sa place en mon d’être. Mais si je suis une émanation directe de la Puissance d’Etre dont je vois se manifester l’inépuisable énergie siècle après siècle et investissant tous les vivants sans exception, je ne peux envisager d’entraves limitatives au chef d’œuvre unique que mon parcours dessine instant après instant.

                        Reste que des obstacles nombreux se dressent sur mon passage et dont la mort n’est pas le moindre. Mais un train cesse-t-il de rouler quand il entre dans un tunnel ? Celui-ci est un espace creusé, un vide aménagé, destiné à traverser les obstacles déclarés généralement infranchissables. L’obstacle ne se vainc que lorsqu’on le creuse, sans obligatoirement le supprimer. Si j’ai la sensation de pénétrer dans un tel conduit sombre qu’aucune lumière ne me parvient plus, c’est que quelqu’un en a tracé la direction pour me mener au delà de ce que je ne perçois pas ou plus. L’excellence consiste à me confier au tunnel que d’autres ont creusé avant moi. Le tunnel sous la Manche  est peut-être une belle image de la mort? Et avoir un tunnel dans sa manche en cas d’urgence, n’est-ce pas déjà une grande lueur d’espoir ?

                        L’excellence n’apparaît donc pas comme une accumulation de succès engrangés et homologués, telle une rangée de coupes sur une étagère. Elle est comparable au maillot jaune dont chacun est revêtu au jour même de sa naissance et qu’il garde tous les jours de sa vie jusqu’au dernier. Ce maillot possède la spécialité de grandir en même temps que le corps du coureur…On pressent une lecture autorisée d’une pensée de l’apôtre Jean parlant des performances de son « coach » : »Et moi, je le ressusciterai , pas seulement au dernier jour mais » jusqu’au »au dernier jour… » (En termes sportifs traduisons : il gardera son maillot jaune jusqu’au dernier jour de la course). Ca, c’est un scoop ! (ou même une scoop… volante ! bref !) Une des marques spécifiques de l’excellence n’est-elle pas de finir en joie ?

 

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QUI SOMMES-NOUS EN « FIN DE CONTE » ?

                         Depuis que l’univers est apparu et s’est imposé comme un donné qui nous précède et nous déborde de toutes parts, il semble que l’Humanité qui s’en dégage soit incapable de se positionner face à sa prééminence : il était bien là pour accueillir les vivants qui y ont éclos avec de grands yeux étonnés et incrédules : comment en sommes-nous arrivés là, comment cette improbable planète s’est-elle préparée à recevoir cette population bruyante, géniale et prédatrice ? Nous ne sommes pas les premiers sur le site, nous n’avons inventé ni la Terre, ni le système solaire, ni les autres planètes, ni les galaxies, ni les lois de la vie ni celles de son développement et nous assistons à une éclosion millénaire de richesses inépuisables qui ne nous doivent rien et auxquelles nous devons tout. Et surtout nous sommes surpris de l’incroyable prodigalité d’une nature qui, malgré ce que nous lui faisons subir, s’obstine à produire de quoi alimenter tous ses habitants. Mais surtout, c’est la démesure démentielle du cosmos, dans ses dimensions les plus gigantesques mais aussi les plus minimes, qui nous avertit que nous ne sommes pas au bout de son exploration ni des surprises qu’il nous réserve.

                        Nous sommes un donné dans un donné, un événement surgi dans un cadre préexistant. Pas un désordre inexplicable dans un chaos surgi du néant. Mais plutôt une Alice stupéfaite arrivant dans un espace préparé pour elle avec une somptuosité et des possibilités d’aménagement sans équivalent mais surtout apportant avec elle tous les outils nécessaires à l’ordonnancement de ce domaine et la capacité de l’orienter vers une signification et une direction qui semble ne dépendre que d’elle. L’Humanité va s’extraire d’un monde en préparation, et l’Intelligence va s’extraire à son tour de cette même Humanité en devenir : ne sommes-nous pas en plein conte de fées avec ses enchanteurs et ses sorciers ?

                       Mais un fait s’impose : depuis que l’Homme habite la planète, le visage et le destin de celle-ci ont bien changé. Nous avons le pouvoir de modifier profondément l’espace de Vie qui nous a accueillis et qui continue de le faire. Nous détenons les clefs d’une transformation de la planète qui avait déjà bien modifié son visage toute seule, sans intervention de l’Homme émargeant alors aux abonnés absents.

                        L’univers semble exister sans que personne soit capable d’expliquer son origine et sa présence. Mais il porte en lui-même les codes de son explication et de son développement. Ce n’est pas une cause extérieure à lui qui vient apporter des renseignements satisfaisants à nos esprits désemparés. Comment le hasard peut-il produire un si gigantesque Espace de mouvement et de Vie et hébergeant en son sein un univers porteur de sa propre notice d’utilisation ? De même que les technologies les plus avancées portent en elles-mêmes le mécanisme de leur fonctionnement prévu par leurs inventeurs. Et comment un univers »sans personne à bord », peut-il soudain donner naissance à une population portant à son tour en elle-même, ses propres secrets de fabrication et d’aménagement ? Comment peut-on attribuer au hasard cet enchaînement de phénomènes dont se dégage puissamment une atmosphère de beauté, de performance, de combinaisons, de relations et même de bonheur ? D’où nous vient ce demi aveuglement qui consiste à ne percevoir que l’aspect fataliste des choses et du monde et non sa face-cadeau, ce »présent » d’une splendeur issue de celles qu’on réserve en général à ceux qu’on aime ? Il en est de même pour l’Humanité elle-même qui a longuement vécu avant même que nous découvrions de quoi elle était faite. Nous sommes donc précédés par une Cause longuement élaborée et qui n’en finit pas de dévoiler ses ressources et sa beauté. Comment se peut-il que celle-ci produise le plus souvent doute et incrédulité plus qu’elle ne soulève admiration et enthousiasme ? C’est cette dernière qui nous fait défaut : serons-nous « nés-cécité » ?

                        A ce point de la réflexion, on ne peut que questionner l’énigme cachée au cœur des vivants : existerait-il une Intelligence supérieure, « l’Intelligence personnifiée » secondée par des sous traitants chargés de lui donner corps ? N’y-a-t-il pas plutôt plusieurs intelligences ou mieux, une intelligence plurielle qui expliqueraient ce phénomène de la vie de l’esprit ? Car la Vie laissée à elle-même, à l’abandon, sans traitement en vue de sa croissance, se meurt ou se corrompt. D’une part, je reçois la vie de quelqu’un qui me la transmet ou plutôt qui m’y introduit, et d’autre part, je la prends en mains pour en faire « ma »vie. On peut discerner finement une intelligence de création ou d’invention, une autre faite d’élaboration ou de transformation, une autre encore qui s’investit dans la réalisation. Intelligences diverses, réparties selon les besoins, ou diversifiées en phases successives d’une même Intelligence globale ? Peut-on parler de niveaux progressifs d’intelligence ou encore de degrés ? On constate que pour que l’Intelligence soit opérationnelle, il lui faut agir en partenariat avec ses diverses expressions. A une intelligence qui invite et inspire, répond l’intelligence humaine qui répond et s’empare, analyse et réalise l’intuition de départ mais qui porte la marque propre de celui qui l’élabore. L’intelligence ne se fractionne pas : elle est une, indivisible, mais modulable selon les vivants qu’elle investit.

                      Parvenus à la constatation que l’universalité de l’Intelligence ne peut être mise en doute, peut-on rebondir jusqu’à une interrogation majeure : y- a-t-il une transcendance de l’Intelligence ? Réside-t-elle à un niveau d’Etre que nous n’avons pas encore atteint mais vers lequel semblent nous mener les recherches, découvertes, expériences, qui n’en finissent pas de reculer les frontières de la connaissance en tous domaines ?

                        Il suffit parfois d’un grain de sable pour bloquer le fonctionnement d’une machine. Et si l’incapacité majeure de s’ouvrir à la contemplation de cet univers proposé à notre génie collectif pour le mettre en œuvre, expliquait ce déraillement ? Peut-être la réalité du » monde-cadeau » nous est-elle devenue étrangère pour avoir trop malmené ce dernier ? Exploitation à outrance, guerres d’usure ou de possession, destructions massives et variées, irrespect des impératifs écologiques ou démographiques, primauté donnée à l’avoir sur l’être, abolition volontaire de toute idée de transcendance etc…que faisons-nous subir à cet Ensemble Vivant et à ses habitants ? Pourquoi tant de groupes humains se consacrent-ils au renouveau de la Terre pendant que d’autres songent déjà à exporter leur domination vers d’autres planètes à conquérir ? L’intelligence qui se croit autorisée à s’affranchir de lois qu’elle n’a pas inventées mais qui sont cependant incontournables, sonne inexorablement son propre glas.

                       Peut-on vivre heureux ou plus simplement satisfait dans un environnement à la dégradation duquel on participe ne serait-ce que par ignorance ou négligence ? Comment considérer la vie autrement que comme un enfer dans des conditions de logement indignes et saccagées ? Comment croire à la beauté, accéder à la tendresse, rêver de création pour ceux qui vivent de et dans la guerre depuis des dizaines d’années, voire depuis leur naissance ? Ce n’est pas la faute du soleil si le temps est sombre mais celle des nuages qui le voilent en permanence. La beauté ne fraye pas avec la guerre, ni l’amour avec la haire, ni non plus l’humour avec la laideur. L’artiste, le poète, le prophète, l’amoureux ou le croyant ont autant de droit à une Parole sur le monde que le scientifique, le philosophe, l’athée ou l’anarchiste. C’est un match grandeur nature qui se joue entre les hommes : c’est le meilleur qui gagne et pas forcément le plus savant. Le vocable » meilleur « possède la même racine que améliorer : ce terme suggère que l’amélioration est continue, prospective et investit sur la durée. Il y a toujours une Origine des choses à « chercher en montant », ce que traduit bien le mot « transcendance ». Il existe deux façons de transcender, de franchir des limites en montant : où je peux monter en ballon, disparaître de la terre et me perdre corps et biens dans les hauteurs. Ou bien prendre de la hauteur sans quitter le sol du réel, en montant au plus haut de la pente : c’est l’ascension à pied d’une montagne. Ce type d’ascension a l’avantage d’unir la terre (l’Histoire vécue les pieds au sol) et l’Imaginaire transcendant (le Ciel et ses valeurs les plus désirées). Si je m’élève « en ballon », je ne peux que me dissoudre dans « les nuages » d’un imaginaire sans lien avec le réel, par perte de contact avec ma réalité quotidienne. Je ne suis qu’un être « fendu par le milieu » comme Judas « éclaté en son milieu », se perdant dans une hémorragie de Sens.

                       On pourrait dire que l’immanence héberge la transcendance : l’humanité ressemble à un contenant, couvant en son centre l’émergence progressive d’une autre dimension qui la dépasse sans se couper d’elle. C’est peut-être la métaphore géante du Cantique des cantiques qui se rapproche le plus du mystère de l’Univers et de l’enchantement qui l’inspire..

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NE FAITES PAS L’AMOUR, PRATIQUEZ-LE !

                   STOP ! L’inutilité de cette injonction ne peut s’adresser ni au terrorisme ni à ses supporters : on n’éradique pas d’un seul mot d’ordre une telle dépravation humaine. Soit on la combat soit elle s’éteindra éventuellement d’elle-même, dévorée de l’intérieur par la décomposition qu’elle répand autour d’elle.

                       A quoi dire stop, sinon à qui, et de quel combat parle-t-on ?

                       Le terrorisme n’atteint pas que les victimes immédiates qui, hélas, ne peuvent lui échapper, mais son onde de choc percute, dans la période qui suit immédiatement la déflagration, des milliers de témoins ou apparentés, pénétrant chaque personne selon le degré de résistance plus ou moins efficace qu’il rencontre en elle. Mort et vie sont deux adversaires totalement incompatibles et l’effraction de la première dans les zones vives et sensibles constituées par le vivant, doit être stoppée sans le moindre délai, par une opposition radicale et totalement étanche. La mort volontairement programmée est en effet une telle arme de destruction massive qu’elle doit rencontrer face au tsunami psychologique qu’elle véhicule, un Non franc et massif. On n’est plus, à ce stade, contraint à des subtilités diplomatiques souvent marquées par la peur d’avoir beaucoup à perdre. Isolant contre désolant.

                       Car le « Non » est la première étape de ce qui constitue le « Nom », c’est-à-dire ma personne elle-même dans son autonomie et son originalité. Non, vous ne ferez pas de moi ce que vous voulez, même avec les meilleures intentions qui vous animent, non de Nom ! Ce refus s’oppose à la dévoration qui menace celui qui naît à l’indépendance, par l’impérialisme souvent revendiqué par plus fort que lui. (C’est le symbole de l’Ogre dans les contes de fée qui se nourrit de la chair tendre des enfants, c’est-à-dire des humains en devenir. Il existe une armée d’ogres ainsi patentés : ogres parentaux, économiques, psychologiques, politiques, religieux, se nourrissant ainsi de ceux que leurs intérêts tuent par ignorance, par inconscience ou par insouciance). Refuser de se reconnaître comme membres de cette partie d’humanité dévoyée, dénaturée et finalement pervertie, constitue la première arme défensive en mon pouvoir. On y retrouve la première « isolation » installée par Noé sur son « Arche de la Défense.. » : imperméabilisation sans faille du Moi par rapport à ce qui ronge l’intégrité humaine. Car ceux qui attaquent ainsi celle-ci sont déjà morts avant même d’être décédés. Produire en effet la mort à une telle échelle industrielle et s’en repaitre suppose qu’on soit soi-même issu d’une origine déjà morte. C’est se réclamer d’une divinité en pleine décomposition qui ne charrie que ses propres détritus. Exit donc de nos fragilités l’extrémisme tueur ! On peut regretter que certains de ceux qui nous informent entretiennent quelque part une sorte de complicité, non avec le terrorisme en lui-même, mais avec un goût indécrottable pour le morbide, qui facilite sa pénétration dans les esprits. La répétition en boucle (plus de dix fois par minute comme dans le cas de l’arrestation d’Abdelsalam ou le camion déferlant sur la promenade des Anglais) quasi hystérique de certaines images choisies parmi les plus violentes, nous rappelle hélas que le morbide et l’audimat sont les deux mamelles de l’Info ! Ainsi déversées aux heures de grande écoute, au cours des repas par exemple, les miasmes du terrorisme parviennent jusque dans nos assiettes, entre autres sous les yeux grand ouverts des enfants : merci, « nos chaines » !

            De quelles armes offensives à présent disposons-nous pour passer de la résignation à la progression résolue ? De celles qui ne nous manqueront jamais car elles accompagnent le cursus de notre existence sans jamais nous faire défaut pour autant que nous ne les laissons pas rouiller au râtelier : l’intelligence, la tendresse, l’engagement (ou l’embrassement). Là où l’ennemi « mine » le terrain, recourez aux vita-mines qui sont en votre possession. Le terme « vita-mine » permet un jeu de mots (qui n’a rien d’étymologique) colorant son sens de façon inattendue. Car le terme « mine » évoque le mot latin : minari qui signifie : menacer. « Menacez de vie » ceux qui vous menacent de mort ! Là où la mort abonde, que le goût pour la vie surabonde. Là où l’ivraie se mêle à votre blé, ne cherchez pas à la détruire mais augmentez le rendement à l’hectare de vos semences.

                       Car chacun de nous recèle des trésors cachés accumulés au cours des pérégrinations de son expérience et de son histoire. Plus on puise dans ces ressources-là, plus elles se renouvellent et mieux elles se revitalisent, ce qui n’est pas le cas du terrorisme qui va en s’autodétruisant puisqu’il n’a que la mort dans son moteur. Placez au cœur de vous-mêmes cette seconde isolation faite d’auto appréciation, d’estime de vous-mêmes, d’enthousiasme pour ce que la vie a déjà fait de vous. Relisez votre « parcours Vita » avec la pétulance de « l’enfant de Vie », du « Petit Prince » que vous hébergez et à qui vous devez vos raisons de vivre et de croire en l’avenir, sans la moindre concession au remords, au doute, à la culpabilité ou à la soi disant indignité. A aucun prix, ne laissez vos richesses intérieures émigrer vers le monde du dehors : il s’agit de la partie inviolable de votre Moi, incorruptible et inusable avec le temps, celle sur laquelle la divinité prend appui pour rayonner sa capacité de séduction. La Bible ose insuffler à ses explorateurs familiers qu’ils sont tous fils du Très-Haut, ce qui ne signifie pas prendre les choses ou les autres de haut, mais envisager l’existence avec élévation et profondeur.

                       Cette hauteur de vue se traduit par un investissement sans regret de la tendresse, quitte à bousculer parfois certaines contingences ou conventions sociales qui ont tendance à brider nos désirs au nom de la bienséance. Lorsque nous nous trouvons en situation d’urgence, faisons la fête, faisons la vie là où elle est en perte de vitesse, faisons l’amour lorsqu’il se présente. En ce domaine, mieux vaut l’excès que le manque. Echangeons de la tendresse « hors sol » et parfois hors frontières ! Elle est plus opérationnelle qu’un simple carburant, aussi impérieuse que l’air qu’on respire et dont on ne se préoccupe pas de savoir à qui il appartient. Elle est partie prenante du patrimoine de l’Humanité et ne dépend pas d’une morale religieuse souvent disqualifiante. Puisons sans vergogne au Vin divin, à l’exubérance qui oriente vers la multiplication d’un fruit de vie (de uber, latin : les seins). L’amour n’existe que là où on le fait et la Vie n’est pas ailleurs que là où on la vit. Ni la Vie ni l’Amour ne sont des produits stockables, une réserve de « stock options » qu’on économise en attente de jours meilleurs. Vie et Amour se présentent au moment même où on s’y engage avec toutes leurs composantes : physiques, psychiques, spirituelles.

                       L’amour est appelé à se vivre sans mesure mais pas sans contrôle grâce auquel il est alors apte à répondre aux effets destructeurs du terrorisme. Le contrôle de l’intelligence et de la tendresse raisonnée fait passer l’amour à une vitesse supérieure où il se mue en une pratique réclamant l’engagement total de la personne. Passer de »l’amour qu’on fait » à « l’amour qui se pratique » nécessite un changement de braquet. Faire l’amour est fréquemment réduit à la simple satisfaction d’un besoin physiologique élémentaire, alors que le pratiquer relève plutôt d’une philosophie de vie et même d’une spiritualité choisie. Lui seul peut établir une zone franche de nature radicalement antiterroriste, en éradiquant de nos sensations et de nos réactions les « mini terrorismes » qui pondent leurs œufs dans nos esprits trop peu rigoureux : terrorismes familiaux, terrorismes de fratries, terrorismes conjugaux, domestiques, culturels ou religieux.

                       Après l’intelligence éclairée de soi et des situations, après le choix de la tendresse librement consentie pour combattre le non-sens, se profile l’engagement ou l’embrassement qui n’est qu’un embrasement redoublé. Embrasser, c’est prendre dans ses bras (et si possible non raccourcis…), c’est prêter « main forte et bras étendu » selon le Psaume 136/12 et le Dt 44/34. C’est peut-être aussi jouer des parties de bras de fer, c’est-à-dire ne pas fuir la confrontation ni le conflit lorsqu’ils se présentent à nos portes. Embrasser, c’est également étreindre ou porter parfois à bout de bras. On pourrait aller jusqu’à dire : c’est mettre la main à la pâte jusqu’au coude. Embrasser, c’est aussi brasser la réalité partout où elle nous sollicite d’y prendre part, même et surtout lorsqu’elle invite au brassage des différences ou des alternances. Ce peut être dépasser la tentation du « bras d’honneur » en inaugurant le »bras donneur ». L’embrassement est bien plus engageant que le simple baiser qu’on s’applique à « mettre en joue… (!). Ce sont les bras qui prennent la relève des lèvres, c’est-à-dire qui transforment les paroles en actes. L’embrassement est une extension, une intensification du baiser amoureux au monde qui m’entoure et m’interroge.

                       Résister au terrorisme, c’est donc élever mon niveau de vision, de sensibilité et d’action au top, jusque dans le rouge, jusqu’à la passion, voire jusqu’à l’excès, afin d’inverser le courant mortel qui vient impunément à ma rencontre sans qu’aucune disposition politique, sécuritaire, policière définitive puisse s’y opposer. Car le seul butoir qui puisse faire échec à cette crue dévastatrice se situe au cœur des vivants, de leurs valeurs, de leur intrépidité à défendre l’Humain, toutes forces et idéologies confondues.

                       L’appel des responsables aux réservistes, aux volontaires, aux citoyens de bonne volonté doit être compris dans ce sens d’une mobilisation massive, joyeuse, efficiente et non comme un réflexe massif de peur devant l’inévitable. Il s’agit peut-être d’approcher ainsi quelque peu la fraternité affichée dans notre constitution et si peu pratiquée en réalité.

 

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LA PELOTE

Mis à part quelques sens aussi rares que trois poils sur un crâne chauve : faire sa pelote, se pelotonner, et même quelque peu gaulois tels : « palper érotiquement », la pelote, basque, ou simplement républicaine, peut proposer ses services à l’univers de la métaphore et même de la parabole. C’est à ce niveau qu’elle peut décrocher la palme d’une dignité révélatrice.

Qu’est-ce qu’une pelote de laine enfermée dans une boîte hermétique peut bien suggérer de réjouissant ? Et surtout comment peut-elle envisager de sortir totalement de cet isolement sans qu’on ouvre le couvercle pour la libérer ? En s’en évadant par un trou d’aiguille par lequel va s’introduire l’extrémité d’un fil. Dehors, l’attend une tricoteuse qui va s’en saisir pour l’enrouler jusqu’à ce que la pelote soit totalement hors de son étui protecteur et livrée tout entière entre les mains expertes de l’artiste.

Le fil ! Le fil d’Ariane, le fil de l’épée, le fil des jours, se faufiler (ou même le faux filet). Toute réussite ne tient qu’à un fil à condition de ne jamais le perdre de vue.

Si je poursuis ainsi le déroulement du fil, j’en arrive à ce que la pelote va se trouver finalement reconstituée complètement entre mes mains créatrices. Le fil devient alors une filière et soudainement celui de la filiation et de l’affiliation. N’est-ce pas ainsi qu’un Père peut transmettre insensiblement et de façon ténue, l’essentiel de sa paternité jusqu’à ce que son fils l’accueille et la gère à sa guise ? Finalement, la pelote et son fil ne font qu’un une fois parvenus entre mes mains. La pelote et le fil représentent deux états différents de la même réalité : une masse de laine mais en réalité ne font qu’UN.

La pelote se trouve entièrement dans l’étirement de son fil et le fil lui-même est totalement contenu dans la pelote avant qu’elle ne se déroule. St Jean avait-il cela en tête lorsqu’il écrit du Christ : «  le Père et moi nous sommes UN. Ne sais-tu pas que le père est en moi et que je suis dans le Père » ? De quoi nous mettre les nerfs en pelote !

Est-ce ainsi que Dieu  » descend » vers moi ou moi qui descends de lui ? Je laisse ainsi le Père « dérouler la filiation, » jusqu’à moi, au fil de mon histoire personnelle, confirmant bien qu’il est parfaitement compatible avec l’homme, et l’homme que je suis. C’est comme une descente de rivière au fil des obstacles et au fil des ans, le fil devenant fils. Tout s’accomplit presqu’à l’insu de moi, sans tapage ni magie d’aucune sorte, insensiblement, quasi invisiblement : la divinité entre ainsi en osmose avec l’Histoire personnelle que je lui offre pour support.

Le » Père-pelote » a donc besoin de mon corps et de mon expérience personnelle pour se manifester : mais il ne le fait que par le fil ou le fils conducteur de la filiation si j’en accepte le principe et la responsabilité. A noter que si le fil et sa pelote sont bien de la même laine, le Père et le fils que je suis sont bien de la même nature d’Origine, c’est-à-dire divine.

L’image divine à la quelle chacun semble bâti n’est que l’incorporation que je fais de ce fil dans mon histoire, comme la tricoteuse inscrit le fil informe dans un tricot de son cru. Ce « Dieu tricoté » me parle-t-il mieux ainsi car irréversiblement inscrit dans le dessein que j’en réalise par mon génie et mes ressources propres ?

Attention donc de ne pas nous contenter de stationner en double file par incapacité de nous reconnaître nés d’un Père soucieux de transmettre son héritage à ses fils.

La seule audace qui nous est demandée pour attraper le fil conducteur est de « trouer la boîte » où se trouve enfermée la pelote par notre ignorance ou notre indifférence. Mais la dite boîte n’est pas seulement celle où la pelote initiale est enfermée, mais notre « boîte crânienne » que nous tenons hermétiquement close à toute idée de transcendance et de filiation du principe générateur du cosmos et de la Vie. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une « trépanation » destinée à lutter contre la congestion païenne d’un vague déisme qui ne fait qu’étouffer notre prestigieuse Origine. « Trépanons » ce ciel souvent menaçant et répressif dont on a enserré notre ADN divin. Trouer le ciel, c’est ouvrir sa propre intelligence au divin.

Pour cela, il nous faut accepter une transcendance et ne pas la limiter au « plafond souvent bas » de nos valeurs miniatures.

Accepter de mêler le « fil filial » à la trame de notre histoire engagée au service de ce monde : c’est le « fil prodige ».

Accepter enfin d’être les gestionnaires de notre propre divinisation, le seul label d’authenticité d’un Dieu intime de l’Homme. Serais-je moi-même une présence convaincante de Dieu parmi les miens ?

L’Homme serait-il le seul « Sacrement » nécessaire et suffisant de Dieu ? Chacun de nous est-il un fils conducteur de la divinité auprès de son entourage ?

Et si « faire sa pelote » était le seul résumé adéquat de toute vie spirituelle ? Un GPS utile pour se frayer un chemin dans la « cacophonie sans fil » de ce Monde ?

 

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DI-VORCE OU FORCE-DIX ? 

Quand on laisse les mots danser devant les yeux, ils finissent par entraîner l’imaginaire dans un tourbillon imprévisible défiant la sage étymologie par un brusque écart de conduite risquant parfois la sortie de route ou même un « haut le sens » comme on parle d’un « haut le coeur ». Comment ose-t-on, en effet, se permettre de passer par dessus le mur d’une propriété quand la porte officielle est seule habilitée à nous introduire dans son espace clos ? Par exemple : divorce et force dix, divorcer et dévorer ? Ou encore marier et épouser ? Est-il toléré d’ouvrir des brèches dans le langage lui-même pour s’offrir le luxe d’un nouveau point de vue sur la signification des expériences qui nous habitent ou des événements qui nous arrivent sans crier gare ? Les mots servent-ils seulement à boucher des trous dans une phrase ou éventuellement à en fabriquer de nouveaux ? Sont-ils destinés à fixer des significations une fois pour toutes ou à désenclaver l’intelligence rouillée à force d’être clouée dans des discours insipides et proches de la psychose ?

Le Grand Robert nous dit que le mot divorce signifie « séparation et spécialement séparation des époux ». On en conclut donc logiquement que tant qu’il n’y a pas d’époux ni d’épousailles, le divorce ne peut pas exister. Pour divorcer, il faut donc s’être épousés et pas seulement s’être mariés Car je puis épouser, non seulement une personne, mais un point de vue ou une opinion particulière ou encore une idéologie ou encore une thèse scientifique sans qu’aucun mariage intervienne…Combien de couples se sont-ils ainsi déclarés mariés sans jamais s’être épousés ? Le mariage est un acte légal, dument enregistré, un contrat citoyen officiellement établi devant témoins, concernant deux personnes qui désirent vivre ensemble et devenir membres d’une société reconnue. Et c’est à partir de là seulement que débutent les épousailles, qui sont plutôt d’ordre privé et où va se traduire le « vivre ensemble ». Mais combien de couples se satisfont de deux existences parallèles, ne partageant rien d’autre que les nécessités du contrat établi sans pour autant s’investir dans la vie de leur conjoint ? Les épousailles, elles, ressemblent à une rivière et ses rives qui s’harmonisent dans tous leurs contours et finissent ensemble par arriver à la mer.

S’il n’y a eu que mariage, il ne peut donc y avoir divorce puisque celui-ci ne concerne que ceux qui se sont épousés au delà du simple contrat civil ou même religieux. On peut supposer que les épousailles sont la translation d’un mariage citoyen au cœur de ceux qui se sont effectivement épousés dans tous les méandres de leurs histoires respectives. Ce cheminement suppose, crée une osmose entre les époux, un peu comme la moelle épinière à l’intérieur de la colonne vertébrale. La moelle n’est pas la colonne mais elle en est inséparable sous peine que se paralyse le fonctionnement du corps entier. C’est ainsi que la féminité inscrite dans la masculinité, l’intelligence intuitive au centre de la raison, la divinité au cœur de l’humanité un peu comme une main dans un gant, se présentent comme deux réalités distinctes mais tellement en adéquation l’une avec l’autre que leur séparation porte un coup fatal au vivant. C’est de ces éléments si précieux dans leur complémentarité que parle le Peuple de la Bible : « Ce que Dieu a uni, que l’Homme ne le sépare pas ». Il ne s’agit pas là d’un conseil moral ni d’un avertissement religieux mais d’une consigne de sécurité maximale. On dirait ici « sine qua non » !

Le mariage ressemble à l’assemblage des pièces d’un moteur, y compris le carburant nécessaire à leur fonctionnement. Les éléments et le mouvement propres à chacun sont pensés et assemblés pour que tout se passe comme prévu, dans un ajustement millimétré de leur articulation. Les épousailles représentent l’huile du moteur sans laquelle ce dernier grillera rapidement s’il s’en trouve dépourvu. L’huile n’est pas le carburant mais permet à ce dernier de faire son travail d’alimentation, de propulsion du moteur sans que la confrontation des pièces entre elles ne lui cause le moindre dommage. L’huile doit s’immiscer dans le moindre interstice pour assurer la bonne santé de l’engin. En ce domaine, « l’à peu près » est impitoyablement banni. Cela demande une précision et une vigilance sans la moindre compromission ni tolérance de la part du propriétaire.

Dans le cas du couple, l’huile s’apparente à la tendresse, à la délicatesse, à l’admiration recto verso de l’un face à l’autre, s’étendant même au langage, entre les mots, ces petits missiles parfois innocemment destructeurs. L’huile des épousailles s’infiltre, s’immisce si on l’y autorise, se glisse, se faufile, s’imprègne, s’accommode de nuances subtiles. En « huilant » ainsi les mots, on huile en même temps les sentiments, les émotions, les questions, les blessures. On « oint » les parties de l’Etre les plus souffrantes, on lubrifie le choc des caractères exacerbés, on assaisonne d’un peu d’humour les métastases de culpabilité récurrente. Bref, chacun accompagne l’autre dans le moindre spasme de son accouchement difficile de lui-même. Le couple ressemble plus alors à une salle de travail qu’à un bar de quartier où le souci de l’autre s’estompe dans les bières successives…

Les couples en instance de formation maritale ont-ils seulement une idée de l’œuvre créatrice qui les attend au delà du jour de leurs noces, c’est-à-dire du jour où ils sont le moins mariés de toute leur existence puisque ce n’est que le premier ? Ce point de départ, tout fragile qu’il soit, peut-il espérer engendrer le miracle d’épousailles à long terme ?

Quoi qu’il en soit, mariés ou épousés sont embarqués dans la même croisière : dans le premier cas, le couple occupe peut-être deux cabines distinctes, l’une à la proue, l’autre à la poupe du navire. Dans le second, il voyage de concert dans la même cabine. Deux possibilités sont à envisager en cas de naufrage toujours possible. Ou bien, le bateau « échoue » contre les rochers, drossé par une tempête déchainée : l’embarcation s’y fracasse, la cargaison est perdue, les passagers sont menacés de destruction : c’est l’échec. Mais si en cas de mer démontée, le bateau vient à « s’échouer » de lui-même sur une plage de sable fin, le navire ensablé n’est cependant pas condamné, la cargaison est récupérable et les passagers s’en sortent tous indemnes. C’est « l’échouage ». L’échec déchaine violence et destruction, l’échouage permet d’envisager une reprise du voyage sur un autre bateau en compagnie du même équipage ou peut-être d’un autre. Soit qu’il échoue par incompréhension, rancune, ou violence, soit qu’il échoue de lui-même par une relecture intelligente de son parcours et une négociation soucieuse du maintien en vie des deux protagonistes, le mariage reste ouvert à une reprise du voyage. En effet, ce n’est pas le mariage comme tel qui revêt le plus d’importance, mais ce qu’il fait de ceux qui l’ont contracté. Comment oser refuser à des humains qui ont tout misé sur l’aventure, la légitimité pleine et entière de retenter la traversée ? Ceux qui s’avisent, notamment dans le monde religieux, de récuser, de condamner, ou d’exclure d’une communauté ces aventuriers de l’amour au nom d’un Dieu dont ils ont rigidifié l’amour originel en résine doctrinale glacée et sans recours, sont des faussaires. Ils ignorent en effet, dans l’Histoire biblique dont ils s’affirment les interprètes incontournables, combien le peuple d’Israël a multiplié les infidélités vis-à-vis de Dieu vivant au profit des idoles et a été inlassablement remis en route dans la même perspective de revenir à son amour originel au delà de tous les faux pas. Jésus n’a jamais assorti le divorce d’une clause d’exclusion de quelle que communauté que ce soit. Bien au contraire, il renforce la convivialité en y privilégiant ceux qui en ont le plus besoin étant donné les ruptures dont ils sont victimes. (A force de ne penser qu’avec son « Siège », qu’il soit épiscopal ou de plus haut encore, on finit par ne plus penser ni avec la tête ni avec le cœur).

En cas d’échec, chaque membre du couple se sent touché plus ou moins profondément au niveau de son Etre, selon qu’il s’est maintenu loyalement dans l’espace public du mariage ou qu’il s’est avancé plus loin vers la progression de soi et de l’autre dans le jardin insondable et lumineux des épousailles.

En cas d’échouage « en douceur », sur simple constatation d’incompatibilité sans recherche de stratégie visant à « flinguer » l’autre, le « di-vorce », peut se réinvestir en « force dix » c’est-à-dire en capacité intacte, voire démultipliée, de réinvestir un autre amour, les forces vives de chacun ne s’étant pas épuisées en vaines querelles ou condamnations respectives, mais en bilan positif de ce que la première union a ensemencé au niveau des personnes.

Ce qui doit être absolument maintenu dans ce combat, c’est le recours à la puissance de vie qui ne cesse de pousser vers le haut la nécessité de miser sur la Vie à tout prix et non au maintien de simples conventions. « Dans le Royaume, annonce Jésus, il n’y aura plus de mariage », mais une assemblée d’épousés. Le mariage est une simple matrice permettant l’éclosion de deux êtres merveilleux et uniques qui comptent l’un sur l’autre pour accéder au top niveau de leur Etre. Ce n’est pas parce que l’un des barreaux de l’échelle cède inopinément sous le pied que toute l’échelle tout entière est disqualifiée : on se raccroche au barreau supérieur afin de poursuivre l’ascension ! Telle est sans doute l’échelle de Jacob qui, symboliquement, relie le ciel et la terre, épousailles de l’expérience humaine et de l’Intuition divine qu’il nous faut absolument préserver sous peine de voir le collier se déchirer et les perles qu’il contenait s’éparpiller dans la nature ! Là où les « ratages de cibles » abondent, motivation et énergie redoublent d’effort. Combien de toiles Léonard de Vinci a-t-il désavouées avant de réussir la Joconde ? Et aujourd’hui combien vaudraient ces tentatives « échouées » découvertes par hasard et signées par de Vinci en personne ? Nos tentatives onéreuses d’épousailles ne sont-elles pas elles-mêmes illuminées rétrospectivement par la luminosité du chef d’œuvre final ?

L’amour est bien antérieur au mariage : c’est lui qu’il faut viser plus que le cadre qu’on lui a souvent étroitement imposé et qu’on appelle mariage. La peinture de l’artiste n’est-elle pas plus importante que le cadre qui la conditionne ? Le cadre, c’est le mariage, la peinture ce sont les épousailles et le cadre n’est prévu que pour protéger et mettre l’oeuvre. Même en son absence ou son élimination, cette dernière conserve sa valeur intégrale.

Le terme intégral, de intact : « non touché, entier, au figuré : vierge », sonne comme un coup de poing (un direct !) en proclamant que l’œuvre de l’artiste demeure vierge de toute atteinte destructrice même si le cadre est malmené, voire détruit. Il y a quelque chose d’incorruptible qui demeure dans le cadre d’un mariage, quels que soient les avatars que le couple a dû ou pu traverser. Un peu comme l’Original d’une peinture unique au monde, que personne d’autre n’aurait pu produire, à l’exception du couple en question. Le mariage ne représente que le moule de la pièce : les épousailles en sont le fruit unique. C’est pourquoi on ne peut identifier mari avec époux, femme avec épouse. On peut épouser tellement de réalités autres qu’un homme ou qu’une femme ! Le mariage est une structure, un contrat, un acte précis dans le temps ; les épousailles sont un processus, une progression, un accompagnement mutuel des personnes dans la durée.

Le divorce qui peut survenir devrait permettre de sauvegarder ce qui a poussé chacun à grandir en humanité, en dignité, en créativité, en profondeur : une cathédrale ne s’est jamais bâtie en totalité avec la même équipe d’artistes ! Qu’est-ce que ce mariage, qui marque aujourd’hui un temps d’arrêt parfois affecté d’une légèreté insouciante, a fait de nous ? Avec quelles nouvelles chances (de « force dix »), pouvons-nous envisager de poursuivre notre propre œuvre d’humanisation ? Passé le temps de la souffrance, des violences, des reproches, sommes-nous aptes à faire un point de la situation pour reconnaître ce que nous nous devons l’un à l’autre ? Ceci, afin que la poursuite du voyage s’engage dans la sérénité et non dans la culpabilité cancéreuse, inefficace, dégradante.

Les épousailles vont bien au delà du mariage car elles s’enracinent dans un partage de l’Etre des personnes et non dans un contrat simplifié de bonne cohabitation, (quand ce n’est pas une simple colocation !), ni dans un élémentaire partage des biens et des responsabilités. Elles peuvent accompagner celui ou celle qui s’en va au-delà de son départ. La certitude de se sentir encore présent dans la pensée et le cœur de celui ou de celle qui reste sur place, peut aider le divorce à muter en force dix.

Une dernière observation concerne la miniaturisation du divorce qu’on a cantonné au couple, et donc réduit à une affaire interpersonnelle. Mais c’est bien d’un cas de divorce que souffrent les démocraties par rapport à leur idéologie de départ, les partis politiques par rapport à leurs déclarations d’intention, les religions majoritaires par rapport à leurs inspirations originelles, l’Europe aujourd’hui en regard de ses fondateurs, l’Eglise de ce temps par rapport à ses fondements bibliques etc…Toutes ces réalités ont un point commun dans la désaffection qui les frappe aujourd’hui dans le cœur des croyants ou des citoyens : l’assèchement de la sève dans leurs branches, le tarissement du sang dans leurs veines, la dégradation de la moelle dans leurs os, l’évacuation de la divinité du Corps de l’Humanité. Que faire d’un Squelette dont la chair se corrompt ? Que faire d’une Fraternité qui n’a même plus de père pour la valider ? Que faire d’un Etat qui n’entend plus les appels de son peuple ? Que faire d’une Europe tentée de se servir des hommes au lieu de les servir ?

Ou puiser encore une énergie de Force dix pour circonscrire tant de divorces complaisamment entretenus par ignorance sans doute de valeurs transcendantes que nous négligeons ?

Transcendance : vient de Trans-ascendere : étymologiquement : « dépasser en montant » qui a donné ascension. On peut réaliser une ascension de deux façons : soit en embarquant dans une montgolfière gonflée à l’hélium et en quittant le plancher des vaches et des réalités : il s’agit plutôt d’une évasion, d’un décollement de l’histoire signifiant ainsi que nous n’en faisons plus partie. Soit en entreprenant l’escalade d’un sommet qui nous élève sans quitter le sol pour autant. C’est plutôt de celle-ci dont nous nous dispensons aisément pour lui préférer l’évaporation vers des utopies sans lendemains.

Dans ce dépassement, c’est plus souvent l’autre que nous cherchons à distancer dans une course au meilleur. Se dépasser soi-même relève d’une autre performance. Il s’agit de « pousser le bouchon » (et le baluchon) toujours au delà de l’état où nous en sommes de notre progression. L’Homme ne se réalise que dans un dépassement constant, une mobilité, une fluidité de ses démarches vers l’avenir qu’il se souhaite à lui-même. L’Homme arrêté est en état d’arrestation de croissance. Tels les Nains du conte de Blanche Neige qui ressemblent seulement à des adultes mais n’en sont pas puisqu’ils sont dans l’incapacité de grandir. Ils sont restés tellement petits qu’ils ne peuvent que travailler sous la terre, dans les mines et non pas à la surface visible et lumineuse de l’Histoire humaine. Les hommes sans transcendance travaillent-ils en dessous de leurs moyens ? Ils se situent apparemment en dessous de leurs possibilités.

Mariage et épousailles ne sont pas une « petite » affaire mais l’affaire de « grandes » personnes.

 

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LA MORT OU L’AMOR ? (Suite)

En demeurer à la constatation que seule la mort est attendue au bout du sprint final qui achève la course à l’existence, serait faire un mauvais procès à ceux qui passent la ligne d’arrivée en espérant un podium. Nombreux sont les humains que l’espérance d’une « suite » prend à son bord lorsque fléchit l’allure du dernier effort. Une proposition de covoiturage en quelque sorte ou encore une course de relais dans laquelle un relayeur recueille le souffle épuisé du précédent et lui assure une toute neuve et vigoureuse relance. Une place honorable valide l’effort fourni et les performances de l’athlète : il ne dit pas : je suis mort pour rien mais je n’ai pas vécu pour rien. Pour quoi alors ?

Innombrables sont ceux, en même temps, mobilisés par une certitude que l’univers ne s’arrête pas là où s’arrête le regard : si c’était le cas, ce dernier ne mènerait évidemment pas très loin. Même le regard de la science est toujours aussi impuissant à faire le tour intelligible de l’univers dans sa version macro, micro ou nano analysable malgré les brillantes approches qui permettent tant de progrès. Demeurent de nombreuses autres sources qui ne relèvent ni de l’analyse, ni de la démonstration, ni de calculs sophistiqués : le langage des sens, de l‘intuition, de l’imaginaire, de l’instinct, du plaisir, de l’art, de la sensibilité, de la poésie, du symbole, de la métaphore, de la parabole, de la spiritualité etc. Autant de domaines dont aucune formule satisfaisante ne pourra jamais enserrer dans la rigueur d’une démonstration au carré.

Voici quelques métaphores susceptibles d’éclairer quelques pas au delà du dernier acte de la vie.

L’aveugle parvient bien à se faire une place dans un monde qu’il ne voit pas. La véritable infirmité d’un aveugle de naissance ne serait pas d’abord la privation de la vue mais l’affirmation que ce qu’il ne voit pas n’existe pas. Voir et exister n’ont pas de lien entre eux de cause à effet. Il y a d’autres moyens de braver la nuit des yeux, pour investir le monde au delà de ce qu’on en perçoit. De même, les divers recours cités précédemment dont nous disposons pour relayer l’approche scientifique lorsqu’elle se pose la question finale : et quoi d’autre ? Le monde continue bien d’exister lorsque mes paupières se ferment… D’où nous vient cette croyance que seule la vue des choses est le critère définissant leur existence ?

Est-ce une crainte de prendre la haute mer, de quitter le port sécurisant du prêt à penser ? N’avons-nous pas passé des années à quitter un état présent, celui de l’enfant, pour aborder celui de l’adolescence, puis de l’âge adulte avant celui de la grande maturité ? Et cela sans en rien soupçonner ni connaître à l’avance. La mort : simple panne du courant de la vie ou explosion définitive de la Centrale ? Lorsqu’une panne de courant se produit chez moi, cela n’empêche pas l’électricité de continuer à exister : peut-être s’agit-il d’un appareil ménager qui, lui, a rendu l’âme ? Mes paupières sont-elles le sas sans appel entre l’existant et le non existant ? On ne ferme définitivement que les yeux des morts.

Toute chose, en ce monde, possède son recto et son verso : il est impossible de séparer en deux les deux faces d’une même feuille de papier et jamais le verso n’est la réplique exacte du recto : chaque face a « son mot à dire » et pour connaître la suite de ce qui est écrit sur le recto, il me faut tourner la feuille pour continuer la lecture et je ne puis simultanément lire les deux faces. Et si la mort est le dernier acte du recto, elle joue le rôle de liaison avec le verso avant de lui céder la place pour ce qu’elle a à dire et qui sera forcément différent de l’autre face.

Nous sommes donc poussés à tourner page après page sans pouvoir retourner aux lignes précédentes puisqu’elles sont déjà lues, connues et n’ont plus rien à nous apprendre. Mais lorsqu’un livre parvient ainsi à sa conclusion, cela suffit-il pour décréter la mort de l’auteur ? La vie d’un écrivain ne s’épuise pas avec la fin de son œuvre. Achever un livre ne signifie pas achever l’auteur. Tourner définitivement une page ne détruit pas le recto mais l’enrichit d’une progression dans la compréhension du livre, tandis que ce même recto ignore le contenu du verso où la lecture le dirige pourtant.

A ce titre, la page la plus importante d’un ouvrage est peut-être la dernière, page blanche de garde comme un appel muet à poursuivre l’œuvre puisque l’ensemble du récit prouve les capacités et les compétences en ce domaine et suscite peut-être le désir d’en écrire la suite. Les lecteurs passionnés l’espèrent en tout cas

Au bout du compte, ce n’est pas le livre qui compte une fois qu’on a pris connaissance de ce qu’il transmet et qui va demeurer dans la mémoire du lecteur. Après quoi, le livre lui-même trouve sa place dans les rayons d’une bibliothèque : il n’était que le support nécessaire d’une pensée mais un serviteur devenu inutile après usage. Ainsi sans doute, la mort de quelqu’un ne concerne-t-elle plus que celle de son corps mais pas de sa vie qu’il a transmise en l’écrivant.

Autre métaphore :

Il en est de même pour un spectacle théâtral. Lorsque le rideau tombe sur la prestation des acteurs qui ont tout donné pour transmettre un nouveau souffle aux spectateurs, la pièce est terminée, ces derniers quittent à regret la salle, mais derrière le rideau, les acteurs, eux, sont toujours vivants bien que disparus aux regards de leurs fans. Ils se fondent sans retour en arrière dans leurs loges où les spectateurs n’ont pas accès. Le jeu de mots sur le « rideau-tombe » évoque celui-ci comme le linceul de la pièce mais pas celui des acteurs. La mort côté pièce, l’amor côté acteur.

Le Thé :

C’est l’espace sacré du « five o’clock » anglais qui permet d’approcher la différence entre la vie et l’existence. Dans cette boisson « sacrée », cohabitent intensément deux éléments essentiels : l’eau et les feuilles de thé, chaleur et saveur intimement mêlées dans une inclusion réciproque, dans un corps à corps indissociable. L’eau va se charger de la saveur du thé au contact de la matérialité des feuilles. Celles-ci seront éliminées après usage : ce qui est simple support n’a pas de durée. Seule, la saveur est retenue par l’eau. Ainsi de l’existence (le thé) et de la Vie (l’eau). Nous n’avons pas inventé la vie : elle nous a été transmise pour une durée éphémère, transitoire qu’on appelle l’existence. Durant le temps où elle rencontre mon existence qui lui offre sa visibilité, ma vie va se charger, s’imprégner du meilleur de mon vécu et s’en trouver durablement modifiée. En se débarrassant du support physique de mon existence à savoir le corps, la Vie continue sa trajectoire « chargée » des valeurs qui ont « infusé » dans mon existence éphémère. « La » vie qui m’est donnée au départ, devient ainsi « ma » vie à l’arrivée, lorsqu’elle quitte mon existence terrestre. Mais la Vie ainsi affranchie de son support physique, peut-elle continuer sans corps pour la manifester ? Ou erre-t-elle dans l’infini du cosmos ?

La chenille et le papillon :

Cette nouvelle métaphore peut éclairer singulièrement la question précédente. Les livres sacrés ne sont pas la seule source d’exploration et de découverte des réalités invisibles et spirituelles. La nature n’a-t-elle pas été le premier théâtre des opérations offert aux chercheurs de toute école ? Elle n’est pas un « feuillet à part et détachable » de la divinité à l’Origine de l’Etre dont elle nous découvre des ouvertures surprenantes. Nous en sommes membres à part entière et, à ce titre, les premiers bénéficiaires de ses secrets « à fleur de chair ».

Si l’on s’en tient à l’existence de la chenille et à la « conscience » qu’elle a d’elle-même, elle a peut-être beaucoup à dire sur la vie qu’elle a mené, un peu rampante à vrai dire, mais qui lui a permis néanmoins de circuler partout. Son corps n’est-il pas muni d’un essieu puissant et d’un train de nombreuses paires de « roues » que lui envieraient volontiers les quarante tonnes qui défoncent nos routes. Faute de pouvoir concevoir un autre destin, elle se contente du sien et consomme sa vie « ventre à terre » sans se hâter. Quand vient la fin du parcours, elle s’enclôt dans un cocon où elle va disparaître de son monde de référence. Le « cocon-tombeau » (comme le « rideau-tombe » précédemment) va jouer un double rôle : celui de tombeau pour la chenille mais aussi de placenta pour le papillon. Il est simultanément un tombeau fermé et un tombeau ouvert. On est renvoyé au fameux tombeau du Christ, fermé par les soins des autorités mais sitôt rouvert sur le Jardin dans lequel il est situé. (Aux fidèles de choisir l’issue qui leur convient !). La chenille s’engage dans une transformation qui va faire d’elle un être totalement nouveau qu’elle ne pouvait imaginer auparavant, pas plus que Cendrillon ne pouvait s’attendre à voir une princesse surgir de ses guenilles. Ce n’est pas qu’il y a un papillon (plan B !) qui va remplacer la chenille agonisante, c’est le même Etre qui subit une métamorphose, libérant un vivant plutôt « terre à terre » en un vivant délivré de ses contraintes et prêt à assumer une vie radieuse, colorée, virevoltante, séduisante et hors de portée d’une capture facile, verso lumineux d’un recto plutôt grisâtre. Il ne s’agit pas ici d’une « mort-disparition » mais d’une « mort-métamorphose » dont la chenille est humblement chargée de nous révéler le processus. Si c’est une insignifiante chenille qui a tiré un pareil gros lot, pourquoi n’en serait-il pas de même, à plus forte raison, pour un humain, unique au monde, sans égal et sans sosie, qui aura engagé toute sa course pour marquer de son empreinte une petite portion du cosmos ?

Une fois qu’il a joué son double rôle, le cocon est abandonné : la vie ne s’y trouve plus. C’est bien pour cela qu’on crématise ou qu’on enterre les corps parce que le vivant ne s’y trouve plus : qui aurait eu l’idée aberrante de brûler un corps de son vivant ? C’est bien parce que sa vie a émigré ailleurs, peut-être dans un « corps-papillon » somptueux, que le corps physique ne mérite plus aucun traitement de faveur (ce qui n’exclut pas un sentiment de reconnaissance).

Alors, en fin d’existence, notre vie se dissout-elle ou entre-t-elle en phase de métamorphose ?

Le Tunnel sous la Manche :

C’est bien pratique d’avoir ainsi à sa disposition, d’autres métaphores « dans sa manche » ! Si je prends le train, ce n’est pas pour aller nulle part mais quelque part. Ainsi de mon existence dont j’espère qu’elle mène quelque part et non nulle part.

Ce n’est pas tant le train comme moyen de locomotion qui est important : il ne l’est que par les gens qu’il transporte ailleurs que là où ils sont arrêtés. Une fois les voyageurs parvenus à destination et descendus des wagons, le train lui-même est laissé à son immobilité : on ne voit jamais l’un d’entre eux revenir sur ses pas pour conserver une inoubliable photo de la rame à laquelle il doit d’être là, rame qui lui est désormais inutile. Tout comme le corps physique à l’instant du dernier souffle. Il ne vient à l’idée de personne, sauf à un psychotique bon ton, de conserver sans limite de temps, dans son salon, la dépouille d’un être cher. Le résultat final est dans la perte complète de tous ses autres amis, éloignés pour longtemps par l’odeur pestilentielle de la décomposition régnant dans la maison. (N’en est-il pas de même de nos églises, désormais vides aux trois quarts, désertées par les images qu’on donne d’un Christ plus mort que vif ?) Lorsque le train pénètre dans le tunnel, il disparaît entièrement à nos yeux, mais au cours de cette « absence visuelle », il continue à rouler dans l’obscurité de l’ouvrage, non pas sur la terre mais sous la terre. Là encore, ce que nous ne voyons pas ne signifie pas qu’il n’y a que du néant. Le train débouchera sur une autre sortie, invisible elle aussi, mais réelle, et larguera ses clients dans un pays différent de celui qu’ils abandonnent derrière eux, parlant une autre langue, gérant d’autres intérêts, sensible à d’autres valeurs. Hors de notre vue, mais bien réel cependant.

Cette sortie de route, la dernière qui nous attend, est sans doute le dernier acte de notre existence avant d’aborder la vie en plénitude mais dont nous ne pouvons avoir une représentation avant de l’aborder. Seuls les agoraphobes peuvent s’affoler de devoir rouler « sous » la terre et non pas dessus, parce qu’ils ne soupçonnent pas que les dessous de leur histoire cachent un chemin qui ne s’achève pas seulement sur un enterrement.

Alors, la mort : une existence qui s’éteint ou une vie qui se détruit ? L’une des attitudes les plus efficaces ne serait-elle pas l’Amor de la vie ? Même s’il est difficile de concevoir cette pédagogie personnelle alors que le meurtre s’invite tous les jours à nos tables dans des proportions qui frôlent la banalisation.

La mort apparaît comme l’obstacle final, tel un gros rocher obstruant entièrement ma route : mais ce que je ne peux affronter de face, ne m’est-il pas possible de le dépasser par au-dessus ou par-dessous ? Par avion ou par chemin de fer souterrain pour garder le sens de la parabole ? En latin, un gros rocher se traduit par le mot : scandalum, le scandale !

La Maison :

Il nous faut d’abord bien distinguer entre la Maison et la Maisonnée (symbolisant l’une l’existence et l’autre la Vie qui s’y déroule). La Maison, avec toute son édification et son organisation, participent intensément au développement de la Maisonnée qu’elle abrite. Mais celle-ci possède son propre rythme de croisière et son autonomie par rapport au bâtiment qui l’héberge. On dit naturellement : je rentre à la Maison et non je retourne à la Maisonnée, pourtant c’est bien celle-ci la plus essentielle.

S’il arrive quelque chose de grave à la Maison, à la structure matérielle comme le corps physique qui se dégrade, la Maisonnée (la Vie) est-elle condamnée à disparaître avec elle ? Vraisemblablement non. Emigre-t-elle alors ailleurs dans une autre structure puisqu’une vie ne peut exister à l’état flottant, virtuel, sans un corps qui confirme sa réalité ? N’en est-il pas de même à la mort, lorsqu’existence et vie se séparent, cette dernière est-elle vouée au néant parce que son support physique, s’étant usé à la tâche, ne peut plus assumer son hébergement ? Il n‘est donc pas absurde d’envisager que l’outre-monde soit habité mais que nous ne disposons pas de voies d’accès suffisamment performantes pour nous en approcher de façon crédible.

La Vie qui migre d’un corps devenu trop exigu pour contenir l’envergure de la personne après tant d’années d’existence, a besoin d’un nouveau support qui nous échappe puisque cette migration consiste elle-même en une échappée ? Comment savoir à l’avance où se réfugiera un échappé ? Comment imaginer une couvée sans nid, un renard sans terrier, une famille sans abri ? Comment courir après ce qui nous échappe ainsi depuis tant d’années ?

Préférer et miser sur l’Amor plus que sur la Mort en convoquant dans nos pensées, nos sensibilités, notre mémoire, notre imaginaire, nos sensations de bien-être et de réussite (étymologiquement : « l’art de se ménager des issues), la relecture des diverses métamorphoses expérimentées : du statut de nourrisson à celui d’enfance, puis d’adolescence, de jeune adulte, de parent, de maturité contemplative, nos conquêtes, nos amours, nos coups de génie : un arsenal d’armes offensives sans violence consentie, sans compromission avec les déprimes en embuscade, un catalogue de ressources, suffisant pour nous mener vers une confirmation que, en deçà et au delà d’une mort annoncée, la Vie demeure la Vie.

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LA MORT OU L’AMOR ?

Lorsque la mort frappe à l’improviste et en escadrille, en chapelet de missiles atteignant tous leur objectif avec une précision imparable, comment se dégager de la chape de plomb qu’elle infuse dans nos veines, vers quelle lueur tourner les regards lorsque le ciel devient uniformément noir, où poser encore le pied dès lors que le terrain se dérobe sous les pas ?

Comment d’un seul coup, le monde peut-il arborer une face grimaçante et morbide alors qu’il se vêt d’une nature admirable en tous ses lieux, et dont l’admiration ne se tarit pas devant la perfection de l’organisation et la séduction de tout être vivant ? La plus belle femme du Royaume peut donc dissimuler une sorcière de la plus odieuse appartenance ayant pour seul objectif celui d’assassiner Blanche-Neige ? Si c’est le logo d’un cercueil hermétiquement fermé qui focalise en dernier ressort la perspective finale de toute existence, que signifie celui de la princesse du conte, tout en verre mais hermétique lui aussi, bizarrement transparent comme pour laisser percevoir un désir de conservation pourtant inaccessible ? Serait-ce là l’expression du désir intense que la vie ne s’arrête pas là où on la voit finir, mais poursuit une trajectoire hors de nos moyens habituels de perception ?

Qu’est-ce qu’on en fait, de la mort, la plupart du temps ? Un rejet, une fuite, un déni, un carnaval funèbre ou un camouflage sous un maquillage artificiel, comme autrefois les films en noir et blanc colorisés pour que l’époque qui les revisite les accueille mieux ? Peur, panique, haine, ou simple acceptation résignée, elle n’est guère persona grata auprès des vivants qui ont passé le plus clair de leur vie à l’éviter. Est-elle une vie qui s’autodétruit comme un message secret et codé, ou simplement une existence qui se retire de la vie tandis que celle-ci continue sur sa lancée ? Est-ce nous qui nous retirons de la vie ou la vie qui nous abandonne ? Elle n’est peut-être après tout que le dernier acte repérable d’une personne qui tourne le coin de la rue après un ultime signe de la main ?

N’avons-nous pas tendance à déléguer à notre seule vision des choses le rôle d’arbitre consistant à décréter qu’une réalité est morte simplement parce qu’elle sort de notre champ de vision ? Les planètes sont dans ce cas : invisibles et inaccessibles pour la plupart et pourtant, nous en recevons la lumière ou en confirmons l’existence par de simples calculs ou sur des écrans habilités à les enregistrer. Comme les enfants de six mois auxquels on présente un objet qu’ils cherchent à attraper. Dès qu’on interpose entre cet objet et lui un simple écran de papier, l’enfant cesse toute investigation : ce qu’il ne voit plus n’existe plus. N’est-ce pas cette attitude infantile qu’on peut observer chez de nombreux scientifiques, géniaux et compétents par ailleurs, qui n’attribuent une existence réelle qu’à ce qui entre dans leur champ perceptif ou quantifiable ? L’infirmité ne provient pas précisément de ma vue mais du fait que je lui reconnaisse le privilège insensé d’arrêter l’existence du monde à mes paupières selon que je les ouvre ou les ferme : dans cette dernière hypothèse, le monde entier cesserait-il d’exister lorsque je ferme les yeux ? Même si c’est pour la dernière fois ? Pourquoi les réalités spirituelles échapperaient-elles à ce fonctionnement ?

Il faut se garder de confondre existence et vie. Cette dernière est le tracé qui m’a précédé bien avant que je naisse et qui se continue bien après que je m’en sois retiré. L’existence n’est que mon éphémère apparition sur cette ligne de vie et dont la consistance s’étale juste entre le jour où j’ai pris le train de la vie et celui où j’en descendrai parce qu’arrivé à ma destination, laissant les autres « voyageurs » poursuivre leur « train de vie ». Je descends de la vie comme je descends d’un wagon qui m’a véhiculé jusqu’ici, c’est-à-dire de mon propre corps. Je n’ai aucun regret de laisser en gare un véhicule qui a rempli son office mais qui me deviendrait fort encombrant s’il m’était impossible de le quitter. Mon existence est la portion de temps qui m’a permis de consommer et de jouir de ma part de vie et peut-être de lui laisser une valeur ajoutée, une sorte de plus value selon la façon dont je l’aurai assumée. Mais de même que le convoi poursuit sa route sans moi, ainsi la Vie, qui ne dépend pas de moi, continue-t-elle son processus de développement vers l’avant, emportant avec elle la trace des voyageurs descendus avant terme et qui auront dûment payé leur place. Et ceci quelles que soient les conditions du voyage, plus ou moins confortables, en première ou deuxième classe…

Ainsi, mon corps physique qui a si fidèlement servi la durée de mon engagement dans la Vie, arrive-t-il à bout de souffle et de ressources face à l’énergie vitale dont il aura été le supporter enthousiaste ou peut-être un compagnon limité dans ses performances. Il devient trop exigu pour contenir l’envergure de la personnalité qui aura grandi pendant tant d’années. Ma vie le quitte pour emménager ailleurs car, comme toute vie, elle a besoin d’un support pour se manifester en plus grand. Que se passe-t-il au moment de leur séparation ?

A l’étape extrême où la personne s’exile de son corps, celui-ci se résume sans doute à n’être plus qu’un placenta résiduel dont le rôle cesse au moment de la naissance d’un enfant désormais indépendant de lui. On s’en débarrasse sans autre forme de procès. On enterre ou on brûle ce corps qui n’a désormais plus de raison d’être. La personne née de lui ne peut se résumer à son seul corps : nous ne « sommes pas » notre corps, nous « n’avons pas » seulement un corps, mais nous »prenons corps » tant que dure notre lune de miel avec la vie, donc pourquoi pas au delà de la mort si la vie, « ma vie », persiste et signe : le peut-elle sans moi ? Ce fameux « moi » demeure-t-il attaché au corps placentaire qu’on enterre ou emboîte-t-il le pas à la vie qui n’en finit pas d’être au delà de lui ?

De nombreux clins d’œil nous sont donnés par la nature qui sont souvent éclipsés par une urbanisation galopante : en ville, les hommes sont transportés, véhiculés, macadamisés, entretenus, subventionnés, assurés, informatisés, étiquetés, informés et déformés ou réformés tout comme des poules d’élevage, … menacés, harcelés, abreuvés, télévisés, policés, militarisés, robotisés, catéchisés, asphyxiés, confessés, enterrés, « crématisés ». De purs objets entre les mains d’organisations de plus en plus prégnantes et toute puissantes. Mais surtout qui nous coupent de plus en plus de notre matrice première qu’est la nature avec tous ses secrets. Les lumières de la ville nous empêchent de voir les étoiles. Où « entendre » aujourd’hui la nature « in live » dans des mégapoles ou déjà les tomates poussent sur des murs d’immeubles ? Cette nature elle-même, entretenue dans des parcs souvent bien, parfois trop bien, dessinés, semble avoir perdu son caractère d’enseignement ou même j’allais dire, « d’alphabétisation de la vie » et de ses incidences spirituelles.

Bien sûr, dans cette partie d’échecs entre Mort et Vie, cette dernière n’est pas en reste et développe massivement ses ressources inépuisables de contestation : au champs de mines de la destruction répondent les champs foisonnants de moissons mille fois renouvelées.

Une dernière question concernant la vraisemblance d’une mort en simple trompe l’œil, lorsque se pose l’énigme de l’existence de Dieu : comment pourrait-on faire confiance, se plier aux invitations ou aux commandements, apprécier la simple compagnie d’un Dieu qui, ayant tout organisé pour le bien-être de l’Humanité, l’entraîne sciemment vers une destruction radicale et programmée de ses effectifs ? Comment désirer encore le rapprochement avec un Dieu dont l’objectif final serait une destruction sans appel, sans « plan B de secours », des hommes qu’il a, par ailleurs, soumis à une existence difficile, laborieuse, onéreuse et souvent peu gratifiante, poussant à la militance, à la responsabilité, et pour finir, intégralement absurde, comme un reniement de sa propre création ? On oserait même le terme de sadique pour avoir séduit par la beauté et une splendeur factice de la nature, tant de vivants coachés toute leur existence et à leur insu, par une mort glacée et éternelle. Dieu n’apparaît-il pas comme celui qui propose la belle pomme rouge à Blanche Neige et qui n’est en fait qu’un cadeau empoisonné ? Un tel Dieu ne ferait qu’un avec la violence la plus hideuse dont la shoah n’est peut-être après tout qu’un signe avant coureur. A quelle gigantesque névrose correspondrait alors le culte que tant de fidèles lui rendent…pour rien ? Fidèles à quoi, à qui ? Personne ne doit rien à personne sitôt qu’un anéantissement universel clôt l’exercice…A quoi bon jouer la même tragi-comédie à longueur de siècles dès lors qu’on sait comment elle finit ? Comment se laisser prendre encore par un appât savoureux quand on le sait tendu sur une ratière ?

Pour souffler ainsi le Bonheur et le Malheur par la même bouche, avec un rythme de métronome, le Commanditaire n’est-il pas un psychopathe génial mais psychopathe sans équivoque ?

Il est vrai que nous n’aidons pas vraiment à la résolution de l’énigme à voir nos façons de gérer les relations entre nous, la prolifération de nos industries d’armes de guerre, l’instrumentalisation de tous les procédés destructeurs et leur banalisation par nos soins, les génocides, les famines, le recours à toutes sortes de processus éliminatoires de ce qui ne nous ressemble pas : serions-nous apparemment les complices récurrents du Commanditaire de la Mort terminale ?

(A SUIVRE)

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ASSOMPTION : MARIE AU GRENIER ?

Bizarre, tout de même, cette histoire d’Assomption, apparemment inventée de toutes pièces sans aucun rapport à l’Écriture, ne reposant que sur une approbation populaire massive, sans autre justification que le poids de cette adhésion unanime ! Depuis quand le nombre fonde-t-il une vérité ? La certitude longtemps admise par tous que le soleil tournait autour de la terre n’a pourtant pas modifié la course de cette dernière ! La réalité des faits obéit-t-elle à la majorité de ceux qui croient en la probabilité qu’ils surviennent ?

D’une évasion inexpliquée de son corps, on a fait de Marie la seule humaine qui ait eu droit à un mystérieux déménagement céleste, sans qu’on sache d’ailleurs quel mode de transport elle a utilisé pour opérer ce transfert unique dans l’Histoire ! On dit seulement qu’on l’y a montée, car elle ne pouvait tout de même pas afficher la même compétence que son fils qui, lui, a forcément tiré de sa propre mère sa capacité à réaliser cet exploit pour son propre compte. Il était même pionnier dans le genre. Mais quelle est l’entreprise de transport en question ? La tradition populaire ! Une cohésion populaire sans aucun support scripturaire n’est-elle pas un peu légère ? La dite tradition agit souvent avec le temps, comme une résine qui emprisonne un moment de l’Histoire, tel un papillon captif, en lui conservant l’éclat de ses couleurs tout en lui ôtant la vie. Ainsi Marie risque de se réduire à une trace immobilisée, figée dans son époque, et revisitée par le phénomène des « apparitions ». Celles-ci sont d’ailleurs souvent le reflet des circonstances historiques (Fatima, Banneux, Medjugordje) et permettent de réactualiser l’image d’une mère réconfortante en période de troubles. L’empreinte qu’on en garde se démultiplie alors en mille objets de piété : chapelets, bouteilles mariales pleine d’eau miraculeuse, statuettes (souvent hideuses) par millions, laissant à nouveau surgir la mentalité païenne si prompte à lâcher ses métastases sur les esprits dans lesquels l’intelligence baisse pavillon.

Le fils ayant, comme de juste, dépassé la mère et cette dernière lui ayant survécu, il a fallu trouver une astuce pour préserver la préséance divine de Jésus sur Marie. Pourtant, il est de notoriété publique que la maman a bien été à la source de la conscience divine de son fils. Bref ! Est-ce Jésus qui est « descendu » du ciel ou Marie qui l’a « élevé » à ce rang divin ? Sinon, quelle supériorité la pédagogie mariale peut-elle revendiquer sur celle des autres mères, appelées d’ailleurs par contumace à en faire autant ? On ne peut pas nier que le ciel de l’Assomption se perd quelque peu dans les nuées ! N’est-elle finalement qu’un « montage » de toutes pièces, pieux, artificiel, nostalgique, exclusivement catholique, imaginaire, comme on « monte en épingle » un phénomène en le grossissant quelque peu pour les besoins de la cause ? Et comment Marie peut-elle à son tour, tirer son épingle de ce jeu-là ?

L’imaginaire travaille beaucoup à partir des images quand il ne les fabrique pas de toutes pièces. La « montée au ciel de Marie » évoque de ce point de vue, une mise au grenier de quelque chose dont on n’a plus usage, dont on ne sait que faire, parvenu au bout de ses bons et loyaux services. Ce n’est ni de la désinvolture, ni un pis aller, ni une mise en réserve pour plus tard : c’est plus qu’un souvenir mais moins que la reconnaissance posthume d’un service rendu. C’est l’affirmation que l’objet en question a été une pièce essentielle dans notre parcours, auquel on doit beaucoup de gratitude ou d’admiration, qui déclenche parfois une émotion sincère quand on l’évoque, mais dont on n’entrevoit plus la nécessité pour le présent. Ce n’est pas encore une mise au rebut mais l’expression d’un embarras manifeste : à quoi peut donc servir encore de nos jours la dite Assomption ? Dans le cas de Marie, il est bien vrai qu’on a eu et qu’on a, encore aujourd’hui, du mal à lui définir une place et une fonction autre qu’une place d’honneur au panthéon des acteurs des fondateurs de l’Eglise, et que la théologie mariale, loin d’être achevée, suscite encore bien des divergences quand ce ne sont pas des querelles musclées !

Cette observation n’a rien d’insolent ni de blasphématoire, car le grenier, espace situé « sous les combles » (selon le dictionnaire), est susceptible d’être aménagé en appartement spacieux et confortable. N’est-il pas alors l’occasion providentielle pour y loger une femme «  comblée de grâces », c’est-à-dire susceptible d’y emmagasiner toutes ses ressources qu’elle redistribuera dans la maison au fur et à mesure des besoins de ses habitants ? La définition étymologique confirme bien qu’il s’agit «  d’un endroit où l’on conserve le grain » ? Le grenier n’occupe pas une place profane dans la maison, (bien différente d’une « chambre de bonnes » par exemple), mais noble, au contraire ? Moitié dévotion, moitié musée). La seule réserve qu’on lui reconnaît est qu’il est loin des pièces d’habitation, parfois escarpé et fatigant d’accès.

L’écriture contenue dans les Actes des Apôtres ne réserve nullement à Marie une telle place sous les toits. Le texte la place résolument au cœur du lieu où semble s’achever ce qu’on appelle couramment l’Ancien Testament (pourquoi ne pas dire : l’Alliance des Anciens). Cette ultime étape se situe au Cénacle où les acteurs essentiels du drame récent resserrent les liens qui les ont rassemblés autour de Marie, nommée en dernier comme tout personnage central dont on attend impatiemment la venue. Là semble s’achever son parcours en trompe l’œil car elle a été pressentie et « déléguée » à la formation apostolique, notamment auprès de Jean au cours des derniers instants de Jésus : « Femme, voici ton fils ». Autrement dit, lui recommande-t-il, un nouveau volet de ton existence débute là où tout semblait terminé pour toi à cause de moi : ta présence au Cénacle n’est pas un tour d’honneur mais je t’y mets à cause d’eux pour un nouveau départ de course : assumes-tu ? Marie demeure avec eux, chargée « d’élever » Jean comme elle a élevé son Fils. On lui doit de les « avoir poussés tous les deux dans leur ascension » vers les valeurs divines. (On parle bien aujourd’hui d’ascenseur social). Le sommet de la pédagogie mariale culmine dans l’accès à la conscience d’être de filiation divine. Idem donc pour Jean qui saura si bien nous parler de notre propre ADN divin.  (1° ép de Jean 3/1 et 2). Comment aurait-il pu en être autrement si Marie avait était reléguée, même noblement, au grenier de l’Histoire ? Si une « doctrine » élaborée de l’Assomption a pu voir le jour, ce n’est en tout cas pas de la responsabilité des fondateurs de l’Eglise mais de leurs successeurs. Comment jouer un rôle pédagogique puissant auprès d’un groupe que Marie suit passionnément depuis l’événement de Cana, sans demeurer au cœur de l’action ? (Jean 2/12) N’est-ce pas un trait caractéristique de la personnalité de cette femme que de « garder toutes ces choses en les méditant dans son cœur » ? (Luc 2/19)

Devant le silence de l’Ecriture sur l’issue et la mort de Marie, on invente, car le besoin de combler « un trou » nous démange. D’où le mouvement ascensionnel au féminin qu’on lui attribue. Mais Marie ne peut adhérer à sa nouvelle citoyenneté céleste au prix d’un abandon de ce qu’elle a à assumer sur le terrain en compagnie des Douze premiers pionniers de « l’Alliance des Nouveaux ». Elle est « de ceux-là » et non pas « reine des anges » comme une piété populaire l’a décrété sans savoir de quoi elle parlait. Car si le Cénacle est l’aboutissement d’une première partie de l’Histoire du match entre Dieu et l’Humanité, il est également le lieu de démarrage d’une seconde mi-temps qui requiert la présence de toute l’équipe sur le terrain : les Disciples, Marie, les frères, les femmes. Est-ce qu’au cours d’une lutte contre un incendie qui fait rage, les Canadair visent d’abord à soustraire les pompiers en les hélitreuillant vers les hauteurs ? Ils contribuent au contraire à assumer leur tâche au sol avec des moyens renforcés. Et dans ce feu que Jésus déclare avoir allumé sur terre, tout serait fait pour éviter à Marie d’y assumer un rôle déterminant ?

Car la clef de la situation se trouve bien dans le terme « assomption » qui provient du verbe « assumer ». On n’assume des responsabilités que grâce à une présence constante, intense, performante, lourde de conséquences, en pesant de tout son poids dans les décisions. C’est cela la gloire au sens biblique du terme : la densité intérieure d’un ancrage concret dans la réalité. Comme la femme enceinte, lourde du fruit qu’elle porte en elle. Comment « monter au ciel » avec une telle charge à assumer ? Un ascenseur est bien limité quant à sa charge utile !!

Comment converser, échanger avec une femme lointaine « portée aux nues », dans les hauteurs, sur les autels (qu’on a voulus assez élevés pour qu’elle ne soit pas tentée d’en descendre !), sur les clochers et « emportée » vers des régions problématiques et inaccessibles ? C’est lui signifier son congé, sa fin de règne, sa retraite anticipée. C’est justement l’empêcher « d’assumer » sa présence de proximité auprès de nous.

Le texte des Actes (Ac 1/14) place le personnage de Marie au cœur du dispositif dont Pierre sera le premier « président » reconnu! Le cœur d’un vivant est invisible aux yeux à cause de la profondeur de son enfouissement dans le corps. Il n’en est que plus opérationnel. C’est peut-être ce que l’Eglise n’a pas encore perçu de sa cellule souche : celle-ci est constituée d’un collectif paritaire hommes-femmes, où seule Marie est nommément désignée sans possibilité de confusion ni de contestation. Petit à petit, les hommes ont évacué les femmes, dénaturant dès le départ, le fonctionnement de l’Église. Pour cela, tous les moyens étaient bons, y compris d’envoyer dans l’espace celle sur qui tout reposait. Loin des yeux, loin du cœur, dit-on parfois.

Ce faisant, n’a-t-on pas extrait du corps de l’Eglise un cœur qui n’a été remplacé que par un organe artificiel qui bat la breloque en croyant battre la mesure ? … le clergé omnipotent, en quête permanente de reconnaissance sociale et dont on sait ce que Jésus en pensera sans pourtant les condamner.

La personne de Marie résiste néanmoins à tout ce qu’on a greffé sur elle à partir de désirs, de besoins, de fantasmes, de maquillages, habillages mentaux ou affectifs, mixages avec des déesses païennes d’autrefois, travestis, magies, objets de piété, chacun faisant exprimer à sa « déesse » ce qu’il a envie de s’entendre dire ou confirmer. La sagesse (et non seulement la tradition) populaire passe heureusement à travers les mailles institutionnelles pour percevoir la réalité de cette femme exceptionnelle.

Une métaphore peut nous permettre d’évoquer le statut et le rôle de Marie dans notre culture religieuse contemporaine : celle de l’activité intense d’une ruche où chaque abeille assume une fonction spécifique, mais dont le pôle de référence est bien celui de la reine sans laquelle la ruche perd toute productivité et même toute raison d’être.

Marie, survivant à son fils, d’ailleurs parti sans elle, assume donc pleinement sa place centrale au cœur de la future planète Eglise. Comment une graine enfouie en terre serait-elle absente de l’arbre qu’elle engendre, même après sa dissolution dans le sol ? Ce qui naît en chacun de ceux et celles qui la reçoivent ainsi dans leur parcours, est de la même veine que ce qu’elle a engendré en Jésus : la filiation divine. Oublier ce recentrage fondamental aboutit à faire exploser Marie en plein vol avant même qu’elle ait atteint sa vitesse de croisière. Les éclats qui retombent dans nos consciences effarées se concrétisent en mille sidérations teintées de magie ou de merveilleux en apesanteur, et entrainant les cultes parfois ésotériques qui vont avec, sur fond d’interminables chapelets, véritables photocopies millénaires du salut admiratif originel né d’une tendresse divine à l’égard de celle qu’il nous destinait comme « coach » spirituel de première grandeur.

 De sa place, Marie a contribué à éveiller dans les compagnons de son fils, une Parole unique, personnalisée, non interchangeable, allant à chacun comme un gant. Elle n’a jamais exigé la récitation unanime et séculaire de formules programmée et devenues inusables, qui laisseraient à penser qu’aucun de nous n’est capable de s’adresser à elle dans une autre langue que celle de la consigne officielle. C’est cette fonction que Marie assume aujourd’hui encore auprès de ses « fans » en exigeant d’eux ce que son fils lui-même attendait de ses disciples : « l’intelligence ». Issue de la « Lumière » primitive de la Genèse : « Comprenez ce que vous dites », cette ouverture d’esprit est la première condition exigée pour « monter » nous aussi vers les sommets de notre accomplissement de fils.

 S’il est vrai que la graine initiale de l’arbre se retrouve aussi dans sa frondaison, grandie et démultipliée, elle participe à la montée générale de l’arbre vers le ciel qui devient ainsi le lieu de son envergure déployée. Mais c’est la plante tout entière qui « assume » sa lente élévation vers les espaces infinis, sans pour autant se déraciner de son lieu de naissance. Réserver cet avenir à Marie seule, invite à croire qu’on l’a retirée de sa terre pour la placer sur un piédestal hors de portée, comme une fleur coupée : patatras pour la fleur ! Et pour ceux qui aiment les fleurs en pleine terre !

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MON BEAU JARDIN, TOMBEAU JARDIN…

Toujours à la recherche de ce que dissimule, en termes d’hormones de croix-sens, le terme « résurrection » pour nous aujourd’hui, intéressons-nous à un détail « é-norme », c’est-à-dire « hors normes », véhiculé par les quatre récits de la mort du Christ. On sait que les fameux détails de l’histoire ou des récits fondateurs, peuvent héberger des interprétations dévastatrices pour des adeptes de la lettre ou libératrices pour ceux dont l’esprit conduit les interprétations d’un texte sur les voies risquées de l’innovation.

Références : Marc 15/48,  Mt 27/60, Luc 23/53, Jean 19/41-42

Comment se fait-il que le tombeau de Jésus ait droit à un traitement de faveur tel qu’on le gratifie de qualificatifs valorisants : il est neuf, taillé dans le roc, n’a jamais été occupé auparavant, donc sans colocataire (ce qui semble normal) et se trouve situé au beau milieu d’un jardin. On connaît même le nom de son propriétaire : Joseph d’Arimathie, celui-là même qui est allé déclouer le supplicié encore pantelant de son supplice. Il apparaît comme un monument festif au cœur d’un espace public. Ou bien on est en présence de détails anodins qui n’apportent rien au récit, ou bien ils revêtent une importance particulière qu’il nous appartient de dévoiler.

Que vient faire un tombeau dans un jardin, lieu où l’on s’attend plutôt à déguster une floraison d’essences vivantes, colorées, provocantes, réjouissant le regard, l’odorat et le goût ? Le tombeau représente plutôt l’inverse de ces jouissances : dedans, on ne voit rien, on n’entend rien, on ne sent plus, ne ressent plus rien, on n’a plus goût à rien : un monument de vide élevé en serait dit solide comme un roc ? Quel paradoxe ! Mais si ce vide est avéré, constaté, expérimenté, cela signifie qu’il n’y a plus rien à trouver ni à espérer de ce « non lieu »  de vie. Bref, il s’agit d’un « tombeau qui fuit ». On n’a jamais mis un mort dans un lieu qui laisse échapper son contenu. Si on ne peut même plus faire confiance à un tombeau, alors à qui se fier ?

Un rapprochement spontané avec les nombreux lieux sociaux où se construit notre humanité contemporaine, révèle l’alternance entre les « oasis de vie » quelle cultive de toutes parts (économiquement, politiquement, culturellement, relationnellement) et les espaces où il ne se passe plus rien d’autre que la corruption, la stérilité, les conflits mortels, l’anéantissement. Cohabitation entre le Jardin et le Tombeau au sein d’une même société. Gestion conjointe et forcée entre Vie et Mort au cœur de l’Humanité. Si personne n’échappe à la question que ce paradoxe engendre : comment en réchapper ?  Personne non plus ne peut éluder la seconde : comment s’en échapper ?

Remarquons que l’édifice n’est pas construit « sur » le roc mais taillé « dans » le roc. Fondé « sur » le roc signalerait un édifice funèbre, une stèle du souvenir dressée sur une disparition. Mais taillé « dans » le roc indique une excavation, un forage, un espace libre pratiqué dans un bloc inébranlable. L’évidement ainsi pratiqué devient plus important que la structure en stuc qui le surmonte. Si le monument de pierre est bien le signe incontestable d’une mort au sous sol, il signifie aussi que quelqu’un s’est cependant acharné à tailler dans cette solide évidence un espace, un vide, une absence de quelque chose : la mort est un vide, n’est qu’un vide ! Mais un vide creusé de main d’homme qui cherche à en « percer » le mystère .Pourquoi avoir peur d’un vide, d’un rien, d’une absence ? Taillé indique bien qu’on s’est forgé une conviction à la force, non du poignet, mais de l’intelligence aussi incorruptible qu’un roc : la mort n’est pas autre chose qu’une absence de vie : celle-ci s’est absentée de son support corporel. Pour aller où ? Elle n’est même plus un obstacle à vaincre, mais un simple espace à traverser pour en sortir comme on y est entré. Mais cette solide conviction se travaille comme on taille dans la pierre : c’est une entreprise, une mobilisation active des ressources de l’intelligence et de l’observation qui finit par aboutir à une affirmation sans appel : la mort n’a rien de consistant. En conséquence, pourquoi fermer un tombeau qui ne contient rien de vivant ? Voilà sans doute ce qui taraude l’esprit de toute l’équipe disciples dans son « brain storming » pascal : on constate la mort, on ressent l’ouverture béante qu’elle provoque chez les douze et on s’interroge : qu’est-ce qu’on fait de cet événement ? Comment va-t-on s’en sortir ? Car se sortir d’un pareil défi n’est pas une mince affaire.

C’est cette constatation insupportable d’un échec apparemment destructeur ressenti cruellement par les Douze, qui fait de leur tombeau un tombeau neuf, donc totalement différent de toutes les autres espèces de tombeaux : c’est un tombeau ouvert. On doit l’ouvrir. C’est bien ce que découvrent les femmes au jour de Pâques : le tombeau est ouvert. Inutile de se demander qui a pratiqué l’ouverture : l’évangile n’est pas un roman policier mais l’expression de convictions intimes des acteurs essentiels du drame : on ne peut pas laisser une si belle aventure se terminer dans le rien. Ce qui reste de cette histoire, c’est nous, les vivants. Le « Corps-Tombeau ou l’Histoire –Tombeau » ne sont plus de mise : en s’éloignant du sépulcre, les témoins du drame sont bien décidés à ne plus y remettre les pieds.

Et personne encore n’avait été enterré dans un tombeau ouvert, c’est-à-dire en un lieu d’où le caractère définitif de la mort est puissamment contesté : l’Histoire de quelqu’un ne se termine pas avec son enterrement. C’est seulement le support de chair de cette personne, le corps, qui devient inapte à contenir le développement démesuré de sa personnalité. L’Etre d’un Vivant ne se résume pas à sa consistance corporelle, mais se rend visible grâce au corps. Celui-ci disqualifié en fin de parcours, la personne demeure sans doute vivante comme elle a toujours été, mais invisible puisque le corps lui fait désormais défaut. C’est ce que fait le papillon lorsqu’il abandonne la chrysalide qui lui avait servi de support pendant toute sa gestation. Lorsque l’acteur d’un one man show disparaît derrière le rideau une fois sa prestation achevée, il se rend désormais invisible mais n’en est pas mort pour autant.

Le jardin apparaît comme celui de l’Origine : un lieu essentiellement cultivable, qui n’a droit au statut de jardin que s’il est travaillé dans ce sens. C’est la prise en main responsable de la gestion totale de notre vie avec tout ce qui en fait partie, donc également du tombeau situé en son milieu, au cœur, et qui doit être travaillé comme n’importe quel autre aspect du Moi. La Mort n’est donc pas l’interruption brutale et étrangère à l’œuvre de ma vie, mais un élément fondamental à travailler dans le sens de la vie comme toutes les autres plantes du jardin. Je dois faire de la mort qui me côtoie chaque jour, une réalité porteuse de vie. Pour ce faire, je dois éviter d’enterrer définitivement toute espérance et pratiquer des percées dans la mort comme on perce un tunnel pour franchir un obstacle qui barre la route. Pendant que le tunnel traverse l’obstacle, je ne vois rien de ce qui s’y passe. Mais même si je n’y vois rien, le train continue à rouler dans le tunnel dont je sais qu’il comporte toujours une issue même si celle-ci demeure également invisible à mon regard. Et « l’issue » pratiquée par ceux qui percent le tunnel, est le terme qui a donné étymologiquement le sens de « ré-ussir » et celui de « re-susciter » : l’art de trouver des issues. Les disciples ont sans doute éprouvé la tentation d’en rester là, de fermer le livre, d’obturer le tombeau de leur désappointement pour ne plus le rouvrir. Et ce sont les femmes qui ont réhabilité le contrat.

On peut dire que la tragique élimination de Jésus sonne le glas des espérances de ses fans qui se retrouvent « au fond du trou, tombés de haut ». Mais ce qui descend avec eux dans la déprime où ils « tombent », c’est la personnalité neuve que Jésus a engendré en eux par sa Parole renouvelée (on oserait même dire : turgescente puisqu’elle les pousse à se dresser contre l’instinct de mort) et c’est cette dernière qui va leur servir d’échelle pour ressortir au grand jour. « Nous formons sa garde rapprochée et à ce titre, nous sommes le Corps dont il a besoin pour poursuivre son destin ». Leur mine de « déterrés » laisse la place à des visages réenchantés : ils vont jouer les prolongations. Face aux détracteurs triomphants, ils vont opposer leurs vibrants témoignages de ceux qu’ils ont vu « reprendre vie » dans le sillage de leur Maître : un match comporte toujours deux mi-temps ! On ne peut rendre compte de façon crédible que de ce dont on a constaté l’impact : en trois années de formation, les disciples ont vu sortir de leur processus de mort tant de vivants en panne auxquels Jésus a redonné leurs moyens de se prendre en mains. Car avant d’être l’acte final au cœur de la vie, la mort est d’abord un processus de dégradation personnelle de l’être qui menace, s’infiltre, se glisse, s’immisce dans les espaces que nous lui abandonnons par nos démissions.

Le Tombeau est donc une réalité à la fois « ouverte et ouvrée ». Ce deuxième terme signifie : réaliser un ouvrage, faire l’objet d’une transformation laborieuse. Lorsque Jésus cherche à extraire d’un homme l’esprit qui le handicape, il lui dit : «  Ouvre-toi (de ouvrir) mais aussi : « travaille sur toi » (de ouvrer, oeuvre). La résurrection, c’est ton affaire, ça te regarde, elle te concerne, elle ne se fera pas sans toi.

C’est sans doute de cette solidité de roc-là dont parle encore Jésus lorsqu’il dit à Pierre : tu es roc et c’est sur ce roc-là que se bâtira la suite de l’aventure. « Perfore la mort de bout en bout pour en entrevoir enfin le bout et l’évider du néant qu’elle véhicule ». C’est un travail de tunnelier.

De tout cela, il semble que nous n’ayons retenu que les éléments que les disciples avaient résolument fait passer pour pertes et profits : la croix, les clous, la mort, la couronne d’épines, le crucifix, le tombeau, le linceul. Nous en faisons des objets sacrés, de culte et de dévotion (le linceul de Turin rappelant la mort, les reliques, petits os décharnés, les pèlerinages à Jérusalem à un tombeau devenu sans objet, les chemins de croix répétitifs et le rappel de l’indignité des hommes. (On a même inventé le  « conclave », mot qui signifie : fermer à clef,  pour que rien ne filtre du lieu, pas même la lumière du Jour J !!). Le Tombeau devient un objet de musée (et de rapport !!) tandis que le Jardin est le plus souvent laissé à l’état de désert ou de friche. (Tout le monde s’en friche…). Mais laisser son propre Jardin, l’étendue de sa vie personnelle se déliter par négligence ou indifférence, donne à entendre que la Mort y gagne du terrain pour en faire un tombeau.

Et tant et tant de choses à dire encore…

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INSISTANCE…

Pardonnez-moi cette insistance-là : elle peut être importante ou intempestive : choisissez de ne pas en prendre connaissance ou de vous y intéresser. Elle s’adresse surtout à ceux parmi vous qui entretiennent des liens et des questions avec la foi chrétienne.

C’est pour régler son sort une bonne fois à cette notion toxique à mon avis, d’un Jésus « mort pour nos péchés ». Cette expression désastreuse a engendré une pédagogie qui ne l’est pas moins. D’abord, elle installe un état de culpabilité universelle depuis deux mille ans sur des générations devenues incapables d’une nouvelle lecture sous peine de trahison. D’autre part, elle laisse une traînée de bonne conscience servile : puisqu’il existe un réparateur agréé, pourquoi s’en faire ?

De quoi ou pour qui peut-on mourir ? On peut mourir de peur, de rire ou d’amour. On peut mourir pour la France (mais sans dépasser les frontières tout de même ! encore que cette clause soit elle-même suspecte. Je doute que les poilus de 1914 qu’on lançait par vagues au devant d’une mort inutile, sous peine d’être considérés comme déserteurs et fusillés, aient eu au cœur la joie débordante de mourir pour la France et quittant leurs tranchées. Et ça continue…). On peut mourir pour une personne qu’on aime, mourir pour des idées ou pour une Cause transcendante. On peut mourir hélas par fanatisme et avidité pour une œuvre de mort. On peut mourir de faim, ou même pour rien.

Mourir, ce peut être aussi se vouer jusqu’au bout à une Cause dont je sens que son maintien est plus essentiel à la Vie de beaucoup, que ma propre existence. C’est laisser la fluidité démesurée de l’Etre emporter avec elle pour le dépasser, le petit relais que je lui consacrais provisoirement. Un tel choix me rend lucide sur le fait que s‘investir ainsi jusqu’au bout pour défendre une Valeur transcendante, parfois à contrecourant de l’ambiance du moment, peut me valoir une sortie de route programmée !!

Mais mourir pour des péchés ! C’est à cause d’eux ou bien pour les réparer ? Un péché ne se répare pas : il se corrige ou il se remet. L’origine du mot, rappelons-le, c’est le latin peccare : rater sa cible. Se tromper d’impact dans son désir de l’atteindre. Eh bien on recommence sans se soucier du ratage : celui-ci s’annule de lui-même par le tir suivant, sans doute plus ajusté. Le péché est avalé par son dépassement. C’est immédiat. Un péché s’opère à chaud par une reprise au présent d’une correction de tir. C’est ainsi également que peuvent se réparer les effets ou les conséquences d’erreurs d’estimation. Si je corrige mon tir imparfait en effet, ses conséquences négatives ne se répéteront pas.

Le péché peut-il être considéré comme une valeur de haut vol au point qu’on puisse mourir pour lui, c’est-à-dire le protéger et se soucier de son maintien en l’état ? En quoi se laisser tuer pour des erreurs permet-il à celles-ci de se dépasser ? Mieux vaut rester en vie pour communiquer l’antidote à l’incident de parcours si on estime la détenir. Un cardiologue mort subitement, non seulement laisse le sort de ses patients en stand by mais en même temps emporte avec lui la thérapie qu’il comptait leur prodiguer. Mourir pour ses malades ne leur rend absolument aucun service. Donner sa vie à ou pour ses amis, bravo mais pas pour des péchés !

Pour en revenir au Christ, il n’a pas donné sa vie en mourant : il l’a donnée abondamment pendant les trois années qui ont précédé son meurtre, en donnant en profusion la pédagogie nécessaire et efficace pour sortir de ses erreurs une fois commises. Il est mort parce qu’on lui a confisqué une vie qu’il avait passé son temps à donner, heureusement, avant qu’on l’empêche d’en faire plus. Il a indiqué aux pécheurs comment se sortir eux-mêmes de leurs ornières. Comme un kit de secours dans lequel il ne manque rien. J’ai en moi de quoi pécher en abondance étant donné mon statut d’apprenti en divinisation, tout en disposant des antidotes en surabondance pour le redressement des situations scabreuses dont mon parcours est truffé. Pas besoin d’un hôpital de campagne ou d’un bataillon de confessionnaux où seuls, des spécialistes sont reconnus pour faire les transfusions nécessaires : c’est aux Douze que Jésus confie leur propre remise en état, c’est-à-dire à tous ses adeptes étant donné la valeur universelle du nombre Douze, les douze premiers étant seulement chargés d’initier le mouvement et d’en enseigner le « maniement » à qui mieux mieux. (Médecin, guéris-toi toi-même). Notre Origine « transcendante a bien équipé ses descendants » : chacun de nous détient massivement de quoi s’approcher de sa cible avec de plus en plus de précision, c’est-à-dire de son hérédité divine.

C’est un ce que signifie en autres l’expression : « remettre les péchés » soufflée par Jésus au moment où il apparaît aux disciples plus vivant qu’il n’était avant qu’ils l’aient fréquenté. «  Recevez l’Esprit Saint : Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». (Jean 20/22)

Il serait d’abord astucieux d’entendre avec finesse ce terme : recevez l‘Esprit. Ce n’est sûrement pas qu’ils ne l’ont pas encore reçu depuis le temps qu’ils fréquentent leur coach. Mais comme beaucoup de leurs compatriotes, ils demeurent marqués par un desséchement inhérent à une Loi de Moïse desséchante, durcie, dépourvue de toute « chair »nourrissante, réduite au squelette institutionnel. Il leur faut du temps pour adopter une nouvelle façon de Re-Spirer (Esprit), d’envisager la spiritualité. L’Esprit ne leur a pas manqué mais il n’a pas encore été perçu, reçu, accueilli à dose opérationnelle. Le « recevez » ici signifie plutôt : « soyez réceptifs à l’Esprit que je cherche à vous communiquer, faites-lui bon accueil, ne boudez pas ses intuitions, ajustez votre appareil respiratoire à ses suggestions et abandonnez-vous à ce qu’il vous « Inspire ». Notamment en matière de remise des péchés. Qu’est-ce à dire ?

« Remettre » : on peut par exemple, s’en remettre à quelqu’un, remettre le couvert, ne pas s’en remettre, remettre sine die (à plus tard), remettre les pendules à l’heure ou les yeux en face des trous, en remettre une couche ou remettre chaque chose à sa place. Les suisses parlent même de « remettre » face à quelqu’un qui vomit. Mais aussi, on remet une entorse ainsi qu’un ouvrage sur le métier. C’est donc un verbe riche en sens, capable de s’ajuster à de nombreuses situations.

 Ici, il ne peut être question d’adopter les significations qui inclineraient à renouveler le péché (remettre ça) ni le remettre à plus tard. Les indications les plus satisfaisantes concerneraient plutôt tout ce qui invite à se reprendre, à relativiser l’essai par un nouveau mieux adapté, mais aussi plus thérapeutique : remettre une entorse ou en état de marche, toutes opérations qu’on entreprend sitôt la panne signalée. Immédiatement et par ses propres moyens. Que nous possédons puisque, au septième jour de la Genèse, Dieu remet entre les mains de ses fils l’ensemble de leur Histoire à gérer avec la panoplie complète au service d’une Intelligence créatrice. Donc apte à gérer également une pédagogie du péché. Et dans ce cadre large de la Création, tout est ordonné à la Vie, rien n’évoque une condamnation, une rancune, l’exigence d’une rançon du Père à faire payer au Fils ou aux fils, aucune menace de destruction ni de rejet.

 Alors halte au feu, halte aux clous, halte à l’indignité, halte à la culpabilité congénitale, halte au confessionnal et à la prolifération insensée des crucifix, des chemins de croix atterrissant sans vergogne à la dernière station : la mort, le sommet rêvé … comme un coureur du Tour de France rêve d’arriver le premier à l’Alpe d’Huez ! Au cours de sa prestation, si survient une crevaison, on change la roue ou même de vélo si nécessaire, sans que lui soit reproché tôt ou tard, d’avoir crevé : on n’y pense plus. Place à tous ceux qui, parmi nous, croyants ou non, manient avec dextérité, compétence et amour une pédagogie de « remise d’entorse » : la remise en état d’une articulation sortie de son encoche ! On ne s’intéresse plus au ratage de cible mais aux circonstances qui l’ont provoqué pour éviter un second accroc de même nature.

 Une éducation de ce type ressemblerait à ce qu’on enseignerait à un tireur à l’arc suisse qui se lamenterait sur son incapacité à se montrer performant : » Mais rappelle-toi avant chaque tentative que Guillaume Tell était ton arrière grand-père ». Coup de fouet dans les cellules : base-toi en premier sur cet ADN ; tu vois ? Ca va déjà mieux ».

 C’est la base de toute métamorphose : se souvenir d’abord de qui nous sommes les Fils et les Filles. Et tout change.

 Si Jésus a « re-suscité » nos énergies pour répliquer au péché (sans le dupliquer), bazardons les clous au Mont de Piété ! A force d’y revenir sans cesse, ce sont les clous qui finissent par ressusciter, pas le Christ, ni nous non plus. (Une mauvaise plaisanterie consisterait à conclure à une version « gauloise » de la fin du Christ : on le garde soigneusement cloué en hauteur pour éviter que, comme le ciel, il ne nous tombe sur la tête !) L’exhibition que Jésus fait aux disciples de ses mains et de ses pieds exempts des traces de clous, leur démontrant ainsi combien ces signes de mort sont passés, dépassés, offre un nouveau visage pascal : Pâques, ce n’est pas un simple « passage » mais un   « dépassement ». Ce n’est pas un arrêt sur image de crucifixion, mais un dépassement vers un Christ décrucifié.

 Le péché n’est qu’un déplacement d’objectif, une erreur de visée, une désarticulation de la stratégie par rapport au but. Une mise au point lucide de l’erreur de parcours « remet » en phase ce qui ne l’était plus. Point n’est besoin pour cela d’un blâme ou d’une sanction ou d’une « pénitence ». C’est bien plus intelligent de comprendre son erreur pour la corriger que d’avoir une simple amende à payer ou à faire payer par le grand Trésorier, mort pour ça !

 Remettre un péché, c’est remettre la personne en situation de ne plus renouveler l’erreur grâce à une pédagogie appropriée. Remettre, c’est rendre sa souplesse à ce qui avait été « démis » c’est-à-dire mis à une mauvaise place.

 Je n’ignore pas qu’une telle position constitue une provocation directe. La soutenir ressemble à un coureur échappé du peloton dans lequel tout va bien pour lui tant qu’il y reste immergé. Dès qu’il s’en extrait, tous ses partenaires se muent aussitôt en poursuivants mus par le seul désir, parfois féroce, de le rejoindre pour l’avaler, comme on dit. La masse des endoctrinés ne supporte pas l’irruption d’un changement de programme ou d’allure par l’un ou l’autre des leurs.

Si en ce domaine, Jésus fait la course en tête, c’est dans la sienne et dans la nôtre qu’il la fait. Lorsqu’un chrétien « communie » à son Corps : est-ce à une chair morte et déchirée, clouée sanguinolente au pilori, ou à sa chair vivante, pleine de toute la sensibilité d’une Vie foisonnante ? Il faut choisir car on ne peut être à la fois mort et Vivant.

 Une fois pour toutes, pardonnez-moi mon insistance : mais cette « réforme de l’Esprit » est si rarement évoquée qu’on n’en perçoit pas qu’elle est l’Origine de tout devenir véritablement humain, comme une sorte de big bang initiatique ouvrant à une liberté sans égale.

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AREU …

Il me vient l’intuition soudaine d’un grand lessivage ou du moins d’un grand tri à opérer parmi l’amoncellement d’idées, de conceptions (immaculées ou non), d’interprétations, de visions du monde ou de soi-même, qui ont eu une importance certaine à telle époque de notre vie mais dont la suite du parcours a rendu les messages caducs ou desséchés.

 « Pousser un grand tri » pourrait être le logo de cet article. Areu ! Brutal renvoi à l’Origine.

 Bébé vient de dire Areu, le premier son articulé de sa vie. Areu est la première manifestation d’une Parole qui identifie son auteur comme membre à part entière de l’espèce humaine. Cette première expression de soi est d’une telle importance que la famille entière se jette sur ses emails et ses téléphones pour répandre la nouvelle : bébé vient de dire Areu. C’est un Humain sans doute possible. Il entame ainsi son long périple dans notre épopée humaine. Personne d’autre que l’enfant lui-même ne sait ce que signifie son bredouillis mais cela suffit pour signer son appartenance culturelle à l’univers des espèces vivantes. Un Homme ! A partir de ce premier cri désormais, tout ce qui proviendra de lui portera le logo humain sans contestation possible, même s’il va devoir s’en approprier le fonctionnement complet au cours d’un long apprentissage. Tout développement ultérieur de la personnalité de Bébé est contenu dans ce « big bang » que représente cette Parole numéro 1.

 Dès lors, de quel respect, de quelle attention, de quel soutien chaleureux doit-on accompagner l’éclosion d’une telle rareté humaine dans l’univers. Un peu comme la découverte d’une nouvelle planète à qui il manquait seulement la chance d’être découverte. L’honnêteté minimale nous contraint à reconnaître qu’un embryon humain ne donnera jamais un veau et que d’un fœtus de girafe ne naîtra non plus un homme. Seule, une berlue aussi grosse qu’une cathédrale fait de nous des aveugles sur notre propre naissance et nous confondons le fait d’être gérant de notre vie avec le privilège d’en être les inventeurs. On n’invente pas la Vie : on la découvre. C’est nous qui sommes nés à la Vie et non la Vie qui est née de nous. Avant que nous ne la connaissions de près, elle s’était emparée de nous dès l’Origine.

 Au plan des valeurs spirituelles, battues souvent en brèche à cause de leur pollution par des interventions religieuses partiales et partielles, l’Origine de chacun d’entre nous invite à lui donner une Intentionnalité : la Vie n’est pas aveugle, sourde ou muette, puisque capable de produire vue, audition, saveur, toucher, parole. Le prophète Jérémie portait en lui cette intuition géniale lorsqu’il disait six cents ans avant JC : « Avant que ta mère te porte en elle, je pensais à toi pour faire de toi un prophète pour les nations.. » Notre naissance provient donc d’une Origine enfouie, intentionnelle, nous conférant un Sens particulier avant que nous n’en portions le visage. Tout ce qui émanera alors de nous au cours de notre existence, portera en logo la marque de cette Origine intemporelle et incorruptible, car une intuition ne meurt pas, n’étant pas corporelle.

 A partir du moment où je vais consciemment adhérer à cet ADN universel auquel tout homme a droit, je produirai des actes de même nature que lui. Le moindre de mes comportements recélera une saveur et une couleur divines sous mise en œuvre pourtant humaine.

 D’où l’immense responsabilité pédagogique qui doit présider à nos partages sociaux : privilégier constamment tout ce qui nous semble aller dans le sens le plus plénier de la Vie. Il semble plutôt que nous assistions de ci de là au découpage, voire à l’autopsie d’une Vie tronçonnée en quartiers immangeables : le pouvoir, l’intérêt, le profit, la corruption, la soumission, la violence, l’allergie au divin. Face auxquels heureusement, nombre de spirituels disposent leurs pions de couleur opposée pour engager une partie d’échecs qui dure depuis que dure l’Humanité.

 Dans cette entreprise, le moindre des signes d‘amour qu’on peut détecter doit faire l’objet de soins, d’encouragements, d’admiration. Car dans ces petits gestes réside la puissance potentielle d’un engagement plus totale. Il peut s’y cacher ou s’y préparer un génie inattendu au sens étymologique du mot génie : venant d’engendrer. C’est ainsi que naissent subitement de telles nouveautés en matière d’Humanité, venant de savants, d’artistes, d’intellectuels, d’animateurs, de politiciens, d’hommes, de femmes, croyants ou athées. Tout miser sur l’Origine de même que des acteurs se rassemblent d’abord dans les coulisses avant de pénétrer sur scène.

 Une personne me disait un jour, qu’ayant collectionné tous les dessins de son fils depuis sa première enfance, elle en avait fait un livret qu’elle lui avait donné au jour de son mariage. Son fils avait d’abord souri puis s’était assombri devant les ébauches des trois premières années de son art, au point de vouloir les détruire comme si elles lui faisaient honte. Et la mère de s‘y opposer avec détermination : « Ne touche pas à ces premières peintures, car c’est toi tout entier qui étais présent à ce moment-là dans leur expression ».

 De quoi aurions-nous l’air aujourd’hui si ses parents avaient interdit la peinture à Léonard de Vinci, sur la simple vision de ses premiers dessins d’enfant ? Car les oeuvres de ce grand peintre à cinq ans, étaient déjà du Léonard de Vinci dont le génie n’est plus à démontrer. Il suffit que quelqu’un trouve dans son grenier un dessin de cet artiste à l’âge de quatre ans et il mesurera sa valeur prémonitoire au prix où un musée le lui achètera !!

 Ainsi, même nos ébauches n’ont pas de prix aux yeux de qui nous regarde vivre. Nos Areu de débutants sont du génie en herbe qui donneront sans doute « d’abord une tige, puis un épi et enfin du grain plein l’épi ». Les manques d’estime ou de confiance en soi, les plis redoutables ou les ornières où pataugent encore des relents de culpabilité, de soumission et d’incompétence, les peurs de s’affirmer et de se voir en beauté comme la Princesse enfin éclose de sa chrysalide de Cendrillon, forment une gangue puissante d’où peine à émerger le AREU libérateur. En matière d’inventaire divin de notre ascendance, toute liberté nous est laissée de cultiver notre Jardin comme nous l’entendons et d’y préparer des fruits qui réjouiront notre entourage.

 En jouant sur les mots comme nous en laisse le droit les relectures dont s’honore la liberté biblique, nos Areu subiront peut-être un virage génétique modifié qui se traduiront ainsi : « Areu les cœurs purs, areu les miséricordieux, areu les assoiffés de justice, areu les esprits authentiques, areu les doux »? Heureux les areu, car ils commencent à comprendre…

 C’est en effet en nous que naissent les areu, les intuitions, les débuts, les tentatives, les expériences souvent indépendamment de notre conscience, mais c’est notre autonomie qui les mène jusqu’à leur accomplissement. Il faut un début à tout mais le tout est déjà dans le début.

 Le premier « areu » de Jésus dans sa crèche révélait un enfant dans les langes c’est-à-dire incontinent, demandant à être pris en charge pour lui donner une stature de messie, ce que les parents ont bien compris et assumé.

 Notre statut de filiation divine qu’il est venu nous encourager à exploiter à fond, est elle aussi, incontinente, tant que je n’ai pas pris les dispositions de le faire advenir à l’état adulte : « Je suis fils de Dieu ». Voilà mon »Archétype » : Areu.

Faites confiance à vos commencements, c’est le début de la faim…

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UNE RESURRECTION AUTOGEREE ?

La résurrection ou ce qu’on en a dit depuis deux mille ans, constitue une énigme suffisamment consistante pour qu’on continue à la traiter sans baisser de régime avec une intelligence corrosive. Aucune agressivité dans ce terme mais plutôt une marque d’exigence et d’honnêteté qu’aucune indulgence de l’esprit ne vient atténuer.

 Pour cette fois, nous nous contenterons du texte de Jean (2O/19 à 23). Le passage met en scène un groupe de disciples qui a au moins cinq bonnes raisons de se trouver là.

 La première est un sentiment de vide, d’absence béante de celui qui les rassemblait. Plus rien n’est comme avant. Même à plusieurs, ils sont seuls (cf les deux Dupont dans « on a marché sur la lune  » : il y a deux traces et nous sommes seuls !)

 La seconde est un sentiment de désarroi du à ce vertige du vide : un trou sans fond où rien ne peut arrêter la chute. Echec, retour au point zéro d’il y a trois ans avant l’Appel de chacun. Les batteries sont arrêtées.

 La troisième est paradoxale : en même temps que l’égarement, c’est un sentiment de sécurité, de cohésion dans l’épreuve qui pousse à se serrer les coudes autour de l’absence. Attitude sinon chaleureuse, du moins apaisante et cohérente : nous sommes encore tous là sauf deux. La dispersion du Jardin des Oliviers n’a pas aboli les relations fraternelles.

 Quarto : Une question : quel bilan tirer de toute l’affaire ? Qu’est-ce qu’on fait ? Y a-t-il une suite à donner à l’aventure ou bien doit-on se résoudre à chanter : ce n’est qu’un au revoir, mes frères ?

 Cinquième et dernière constatation : Jésus est bien parmi nous, au centre de toutes nos conversations, au cœur des questions légitimes que nous nous posons. Il reste la pierre de touche de nos décisions à venir. Il faut faire vite : Judas s’est brutalement retranché des affaires, Thomas est parti à l’ANPE. Suspense. La prise de conscience carbure à fond.

Cette dernière touche est la plus déterminante : les disciples « constatent » (c’est-à-dire voient car constater c’est bien voir) que Jésus leur demeure toujours bien présent, même après s’être absenté. Et c’est une réjouissance. En général, on ne se réjouit que de ce qui est vivant et on a envie de prolonger l’expérience à la source d’un tel sentiment de bien-être.

« Avoir envie de rester en vie ». C’est le sésame (on va de sésame en ces âmes…) Non seulement conserver le souvenir d’une Vie partagée ( c’est plutôt le rôle d’une Amicale des anciens) mais en renouveler le cours, prolonger une entreprise qui a déjà porté tant de fruits en ceux qui lui emboîtent le pas. Ne sont-ils pas devenus plus qu’une Amicale d’anciens combattants ou le simple cercle « d’une comète disparue » ? Plus aussi qu’une simple Association de bénévoles au service d’une Cause perdue ou le comité exécutif d’une assemblée d’actionnaires évanouis ? Ils sont des frères, du même ADN que leur aîné : c’est lui qui les en a convaincus dans son Testament spirituel (Jean ch 13 à 17).

 Là réside un autre sésame : toute la bande partage le même ADN que son chef. Donc tout leur est possible sans avoir à recourir à une transfusion extérieure. Jésus ne transmet pas un supplément de vie dont nous manquerions : il vient légitimer la certitude que nous avons tout en nous et donc qu’il a bien fait de se retirer pour ne pas avoir à jouer un rôle d’assistant permanent. « Comme le Père m’envoyé, je vous envoie ». Il y a continuité entre Jésus et les siens : c’est bien la même énergie de redressement qui les parcourt tous. Ce n’est pas un nouveau cahier des charges qu’il leur confie, mais les pages suivantes du sien inachevé. Dès lors, nous en sommes gestionnaires. Comment mettre en œuvre à notre tour, et pour le monde qui est aujourd’hui le nôtre, « l’écoulement génétique » transmis par Jésus à ses frères et, par ceux-ci, à tous les frères à venir ?

 Bizarrement, ce qui déclenche la similitude entre Jésus et les disciples, ce par quoi ils vont le reconnaître et se reconnaître à travers lui, ce n’est pas son visage, ni son allure, ni sa voix, mais ses mains, ses pieds (Luc) et son côté (Jean). C’est la réflexion collective qui se poursuit entre les disciples : qu’avons-nous en commun avec lui ? Des mains, des pieds, un côté ! (Ca fait peu de gènes en commun tout de même…).

 Petit assouplissement du texte, à la juive, sans le trahir mais qui l’enrichit d’une porte inattendue : les disciples constatent combien Jésus a fait des pieds et des mains et comment il a mis tout son cœur, jusqu’à le dernière goutte, pour proposer au monde, et à eux en premier, un virage à 120 degré, invitant ses contemporains à passer d’une loi mosaïque institutionnelle, trop suvent restrictive et paralysante, à un fonctionnement libre, intuitif et autonomisant. Avec l’échec que l’on sait d’un côté mais aussi avec la fraternité naissante que l’on expérimente. La Sauvegarde de l’Humanité vaut bien qu’on s’y engage à fond. Le choix des disciples penche en faveur de »leurs mais et de leurs pieds » qui, eux, sont en pleine santé : capacité maximale d’une Démarche et d’une Prise en mains de leur destin.

 A condition que ces membres ne soient pas cloués, cruci-fixés, interdits d’exploitation. Les disciples comprennent que c’est avec des mains et des pieds en pleine possession de leurs moyens, que Jésus s’est lancé dans l’arène, avant donc la crucifixion. Ils possèdent les mêmes atouts.

 Le troisième sésame est donc bien le déclouage indispensable des capacités humaines. Apprendre à se départir des doctrines ou des théologies de la crucifixion salvatrice. On peut dire que les disciples deviennent le Corps marchant (les pieds) et le Corps opérant (coopérant : les mains) de leur coach. Le culte maintenu des clous à vénérer est un blasphème, une maladie d’abord génétique puis mentale de ceux qui refusent la Filiation divine.

 Donc, après avoir côtoyé le vide, les disciples font le plein. Comme pour un véhicule à sec, il leur faut simplement remplir le « réservoir des Sens ». Tout cela leur devient familier car l’expérience des trois ans leur est passée, non pas sur le corps, mais dans le corps, déclouant ce qui les figeait dans leurs vieilles représentations. Ce n’était pas qu’une représentation intellectuelle mais une expérimentation totale. Ils éprouvent la sensation d’avoir désormais la pédagogie de leur patron dans la peau.

 Lorsqu’on a passé un grand laps de temps auprès d’un brasier ou d’un feu de camp par exemple, on devient à son tour irradiant de la chaleur du feu parce que le corps en a capté une bonne partie : on devient soi-même chaud de ce qui nous a réchauffé.

 De même par temps froid. Des enfants jouant dans la neige, finissent par rapporter à la maison le froid de l’espace où ils ont bâti leur bonhomme de neige : leur corps s’est chargé de la température ambiante. Il en est de même pour un ordre religieux qui n’en finit pas de transmettre le rayonnement d’un fondateur disparu depuis longtemps. C’est donc par leur propre vie que les disciples vont transmettre en même temps le génie créateur de Jésus. C’est un »corps constitué » qui va devenir une extension de celui de leur Maître passé sous d’autres cieux.

 Une double question se fait alors jour : Jésus s’est-il inexplicablement ressuscité par lui-même, se mettant ainsi en marge de l’espèce humaine jusqu’ici incapable d’en faire autant ? Peut-être est-ce, après tout car nous ne savons pas ce qu’est ce tout, le lot propre à chaque individu mais qui échappe encore à notre maîtrise ?

 Ou bien se voit-il ressuscité par son groupe de fans bien décidé à ne pas laisser se perdre une telle oeuvre d’humanisation dont ils ont été eux-mêmes les premiers bénéficiaires ? L’affirmation : »il est vivant », leit motiv des premières communautés chrétiennes, cache-t-il en fait un autre message : »nous vous le transmettons encore suffisamment vivant» pour qu’il puisse « prendre corps » parmi vous et en vous ? A vous de jouer.

 Aucune religion instituée, qu’elle soit juive, catholique ou musulmane, n’est apte à s’opposer à l’autogestion de la divinité par ceux en qui elle s’enracine par exercice : l’Humanité fait pour ainsi dire, le lit de la divinité, comme en témoigne le Cantique des Cantiques que tout chercheur en spiritualité devrait avoir eu au moins une fois sous les yeux : l’Humanité et la Divinité n’y font-elles pas chambre commune ?

 Si Jésus demeure la grande énigme de vingt siècles d’évolution, il est aujourd’hui plus méconnu qu’inconnu, faute aux héritiers d’avoir laissé s’éteindre la flamme : à savoir une fraternité de terrain universelle à promouvoir, au profit d’une doctrine souvent rigide et sans saveur. La sanction est là : une désertion sans précédent du peuple des croyants. On dira qu’il y a encore plus d’un milliard non négligeable de fidèles et que ce pessimisme est sans fondement : simples dégâts collatéraux ? Mais c’est comme si on minimisait l’importance d’une grande hémorragie en cours sous prétexte qu’il reste dans le corps plus de sang que celui qui se perd. Quelle que soit son débit, une hémorragie est toujours une perte de vie et de sang ( de sens). Cela n’appartient sûrement pas au langage de guérisseurs à la race desquels Jésus, lui, devait bien un petit chromosome !

 Pour conclure, cette résurrection-là est porteuse d’un goût spécialement savoureux : celui du poisson grillé. (Luc 24/42), que Jésus mange en leur présence comme »preuve » de sa résurrection.

 Le poisson, dans toute l’histoire biblique, est le symbole de toute les fécondités possibles enfouies dans les origines premières de l’Humanité. Comme un liquide amniotique dont on attend qu’il engendre du vivant et rien que du vivant. Plonger dans ces eaux à la façon d’un Jonas, d’un Tobie, de Jésus dans le Jourdain, d’un Aveugle-né dans la piscine Siloé, des disciples pêcheurs en extrayant une quantité mythique, c’est aller chercher en soi-même l’autorité et les ressources nécessaires pour s’autogérer. Tel est le symbole du poisson. S’il est grillé, ce n’est pas au sens d’une ampoule électrique, mais que ces ressources sont passées au feu de l’intelligence, du désir, et d’une foi intense en soi-même, rendant ainsi hommage à Celui qui a mis tout en tous. C’est là la saveur que Jésus révèle à ses disciples comme un fumet incomparable de son message : »nous sommes gestionnaires autorisés et compétents pour « cuisiner » le visage divin qui est le nôtre de toute éternité, en accommodant selon nos goûts une recette venue de Très Haut.

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UN PORT EX-PORE ?

Risquer une petite promenade du soir à la surface de sa propre peau n’est pas dénué d’intérêt. Avec d’excellentes lunettes (encore à inventer), on y discernerait ces milliers de petites perforations appelées pores. Etymologiquement, le terme est issu de porus en latin et de poros, du verbe perein en grec qui signifie : « traverser de part en part, conduit, passage ». C’est un mot qui évoque le transit ou la transition d’un milieu à un autre, de l’intérieur de la peau à l’extérieur et réciproquement, dans un mouvement incessant d’échange. Echange entre le monde et moi. Mais aussi passage d’un état précédent à un état nouveau ou neuf. Passer à un état neuf suppose un nouvel état d’esprit qui se démarque d’un passé récent pour aborder un terrain inconnu.

 C’est peu dire que nous avons les pores dans la peau. Cette constatation nous conduit à penser que la notion de passage, de transit, d’échange nous est congénitale, qu’elle est inscrite dans nos gènes, que nous ne pouvons nous en défaire sans nous renier. J’ai le »Passage » dans la peau, une Peau de Pâques ! (qui signifie :passage). Je ne me sens jamais aussi bien dans ma peau que lorsque je la traverse librement pour aller au delà du moi présent.

 Autrement dit, c’est vraiment la « porosité » qui fait de ma peau un milieu vivant, par où s’écoule la fluidité permanente de ma Vie relationnelle. Ma peau est un barrage filtrant qui veille à ne laisser entrer que ce qui favorise ma vie intérieure. Mais il m’est possible de boucher ces pores par une mauvaise hygiène de la peau par exemple. C’est alors que je m’enferme dans un enfermement sans porosité : la »morosité ». Je ne suis plus qu’un cuir imperméable, un « dur à cuir ». (à exposer comme un trophée dans un « Café de-s-pores » !)

 L’essentiel à retenir de cette « ballade aux pores », c’est de considérer ces derniers comme des « ports » à partir desquels je peux m’embarquer pour aller plus loin. Mais aussi comme des ponts d’arrivée lorsque je reviens de loin pour me retrouver chez moi, en moi. Je suis le lieu précieux par lequel circule la vie en m’ouvrant sans cesse vers un au delà de moi.

 L’étymologie du mot pore est issu de la racine indo européenne « per  » qui a donné également les dérivés : port, porte, porche et transpercer. Ce qui est valable au niveau microscopique :les pores, l’est également à tous les niveaux du corps. Que penser alors des mains, du côté et des pieds transpercés dans le corps de Jésus ? Que veut dire cette stupéfiante preuve de résurrection qu’il donner aux disciples en leur montrant ses mains, ses pieds, son côté ? (en Luc et Jean). Il s’agit de stigmates liés à la mort : on fait mieux en termes de résurrection, non ? Comment les disciples ont-ils pu reconnaître leur maître vivant grâce à ses infirmités et ses blessures, c’est-à-dire sous son côté encore lié à la mort ? Comment une victime grave d’un accident de la route peut-elle donner à voir comme preuve de sa guérison ses plaies encore vives et non refermées ? L’amenuisement des cicatrices va de pair avec le recouvrement de la santé. C’est comme si on finissait par identifier l’existence de Louis XVI grâce à sa tête seulement:  « Regardez-moi, je suis bien vivant : la preuve, voilà ma tête coupée.. » (certains donnent leur tête à couper pour moins que ça…)

 Jésus : » Regardez : je suis bien vivant : jetez un coup d’œil sur mes cicatrices sanglantes et accrochez-vous ». Nos lectures de l’Ecriture ne déraillent-elles pas de temps en temps ?

 Si Jésus montre ainsi son Corps comme critère d’une vie pleinement recouvrée, c’est qu’il ne présent plus de traces d’agressions sanglante. La vie dissipe les symptômes de la mort ainsi que ses effets. Il présente ses mains, ses pieds, son côté, débarrassés des déchirements dont les disciples gardent une dernière vision à l’épisode de la crucifixion. C’est la seule explication plausible de ce passage sauf à tomber dans l’absurde. C’est parti, c’est fini, c’est dépassé, il ‘y a plus rien à voir sinon encore dans votre imagination et votre sensibilité confondues et qui gardent en mémoire traumatisante la dernière vision que vous avez perçue de moi. Il y a contradiction absolue entre se dire vivant et se montrer sous des signes ineffaçables de mort. Jésus doit être désormais « visionné » au delà de sa croix et non dessus. Notre culte pathologique du Vendredi Saint réactualisé chaque année dans l’Eglise est, de facto, une négation de la Résurrection. Nous préférons cultiver les plaies de la Passion comme des tissus cellulaires de choix dans un laboratoire. Pour quel bénéfice ?

 C’est donc bien l’apôtre Thomas qui se montre le plus exigeant en la matière, lui qui cherche les »marques » des clous. La marque est ce qui demeure comme esquisse à la place d’un tableau qui a séjourné trop longtemps au même endroit : il n’y a plus rien. La marque est le signe de l’absence.

 Lorsqu’on évoque la résurrection d’une personne après un long parcours jalonné de difficultés au dessus du supportable, est-il nécessaire qu’elle soit d’abord morte pour connaître ce renouveau ?

 Les clous d’un Jésus ne sont-ils pas des pores agrandis mille fois pour nous inviter à aller au delà des trous qu’ils ont pratiqué, afin d’éviter de nous faire crucifixer avec lui ?

 « Mouiller aux ports et aux pores » apparaît comme une pédagogie subtile de mon Etre : mettre le paquet pour embarquer vers l’avenir à partir des mille sentiers inscrits dans mon corps même :  » Va vers Toi « .

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RATER SA CIBLE SANS RATER SA VIE …

Un champion olympique de tir à l’arc ne l’est devenu qu’en ratant ses essais un nombre incalculable de fois. Ces ratages ont été le terrain de son excellence finale. Je rate donc je progresse. C’est une loi d’apprentissage admise par tout le monde. Je n’atteins le top niveau de mes performances qu’en ratant ses étapes successives. Cela ne signifie pas que je sois un raté. Rater sa cible, ce n’est pas rater sa vie : c’est la gagner. Ce que je gagne en premier, c’est l’affinement de chaque étape par rapport à la précédente, une précision de plus en plus évidente à chaque essai.

 On se découvre capable de tout rater : rater un gâteau, rater son train ou son mariage, rater un rendez-vous ou un dessin, une visite, une occasion ou encore un contrat. Mais on ne peut rater toute une vie parce qu’un simple épisode de celle-ci n’est pas la vie dans son entier. Le ratage est un épisode qui fait provisoirement partie de la vie sans s’identifier pleinement à elle. Rater sa vie serait mourir ; or en se trompant sur l’orientation de sa vie, la plupart d’un temps on n’en meurt pas.

 Pour parvenir au centre de la cible, plusieurs éléments sont nécessaires : une bonne vision, une bonne appréciation de la distance qui me sépare de l’objectif, une bonne maîtrise, un outil affiné, un doigté ajusté, une maîtrise sans faille de mes micro mouvements. La cible atteinte ne fait que confirmer la cohésion établie entre ces divers ingrédients.

 Rater sa cible se dit en latin : peccare, terme qu’on a traduit en « péché ». Le mot « Pécher » est un verbe qui n’a rien d’une exclusivité ecclésiastique mais qui fait d’abord partie de toute expérience humaine et qui nous est donc familier lorsqu’on parle de projet à réussir par exemple. Il concerne, non la valeur personnelle de celui qui tente l’entreprise, mais la stratégie mise en place pour y parvenir. Celle-ci, loin de désavouer l’aptitude du tireur, valorise au contraire sa détermination à recommencer encore et encore. Il s’agit d’un processus positif de progression vers le haut et non d‘une dégringolade vers le bas comme on nous l’a si souvent seriné depuis notre premier catéchisme : tu as péché donc tu es pécheur, indigne etc. Ici on dirait de préférence : tu as péché : tu es un futur champion. (Il s’agirait plutôt d’un nouveau caté-schisme !!)

 Il m’est donc très facile de « remettre en cause « le fonctionnement qui a causé mon échec : ai-je mal évalué la distance ? Ai-je tremblé au moment de tirer ? Mon arc était-il de bonne qualité ? Que puis-je corriger pour « remettre les pièces » du puzzle en bon ordre ? Ou « remettre toute l’opération en état de marche » ? Ma confiance en moi a-t-elle défailli au détriment d’une sécurité intérieure ? Comment « remettre en mouvement » les attitudes nécessaires à la réussite ?

 Le terme « remettre » se fait jour à plusieurs reprises dans cette interrogation : aurait-il quelque chose à voir avec l’expression : « remettre les péchés » utilisée par l’évangile ? On sait aussi qu’il signifie « vomir » pour nos amis suisses…On peut aussi « remettre une entorse »…Mais aussi : « remettre ça » ou « remettre la sauce ou en remettre une couche »…

 Et si ce verbe était la clef pour sortir d’un enfermement culpabilisant insufflé par une religion à bout de souffle ?

 « Tes péchés te sont remis » est une phrase du Christ qu’on a coutume d’interpréter comme : « ne t’en fais pas pour ça, on oublie tout.. » Une sorte d’amnistie en quelque sorte, un gommage de peau ; on efface tout et on recommence. Mais recommencer à vivre sans avoir compris et maîtrisé le mécanisme qui a conduit à déraper, est une invitation à le renouveler en boucle et donc à réitérer l’erreur d’appréciation commise. Et donc ne pas pouvoir s’en affranchir. C’est considérer la personne comme condamnée à enfouir en elle ces dysfonctionnements mais sans pouvoir s’en débarrasser à long terme avec donc une crainte de réminiscence. Remettre en ce sens, c’est remettre aux oubliettes qui, elles, n’oublient rien.

 Par contre, si j’utilise la richesse des significations plurielles du mot « remettre », il m’est tout-à-fait bénéfique de remettre l’erreur sur le métier, de la remettre à sa place comme on remet un train sur ses rails, ou surtout de s’en remettre à un jugement plus approprié de la situation afin quelle ne se reproduise pas. Et plus encore : de réarticuler ce ratage sur une meilleure vision des choses, comme on remet en place une articulation qu’une entorse a désengagé de son engrenage osseux. (on parle d’entorse au principes ou à la loi). Le soin est immédiat et non remis à une date ultérieure. Remettre les péchés n’a rien à voir avec un passage au confessionnal qu’un simple aveu laisse en l’état, sans rien « remettre » en état immédiat de fonctionnement.

 Le pardon des péchés n’a donc rien à voir avec une formule de bienfaisance ou avec un bien être de la conscience, mais plutôt avec une intervention de kinésithérapie séance tenante. C’est tout de suite que le péché, le ratage, peut et doit être remis en état de fonctionner si je m’applique à en prendre les moyens. Lorsqu’un cycliste professionnel est victime d’une crevaison sur le Tour de France, c’est tout de suite que la solution de rechange se présente et non à l’arrivée. Je ne peux être libéré de quelque chose que si je m’en délivre moi-même, sous peine de demeurer dépendant de quelqu’un ou de quelque chose qui met en relief mon incapacité constitutionnelle d’y parvenir. C’est peut-être là le grand danger de rater une part de sa vie : demeurer sous influence d’un sauveur qui m’est étranger. Et d’ajouter alors, à la culpabilité toujours à l’affût, un sentiment de rester débiteur vis-à-vis d’un plus grand que soi. Peuvent s’ensuivre une perte de l’estime de soi, de confiance en ses propres ressources et une sensibilité accrue à l’échec éventuel. Le fameux péché laisse alors « des taches » plutôt qu’un sentiment de « détachement » libératoire.

 Mais une curiosité plus poussée amène à chercher l’étymologie du mot « rater » et de la découvrir dans le mot « rat », petit rongeur qui se sert de ses dents pour ronger. Mais on sait aujourd’hui que les rats sont aussi des animaux qui savent décoder les contorsions d’un labyrinthe pour trouver la sortie. Ils sont également capables de comprendre le mécanisme d’un piège qui emprisonne un de leurs congénères pour l’en libérer et lui manifester ensuite des gestes de contentement. On dédouane alors le rat de l’interprétation méprisante qu’on se plaît à lui attribuer en termes d’animal de l’ombre, de saleté et d’insaisissabilité. Il devient celui qui sait se tirer d’affaire par son intelligence et son analyse de la situation.

 La métaphore du rat invite l’imaginaire à oser une interprétation audacieuse mais que rien n’interdit d’appliquer au péché : « rater » (sa cible) pourrait alors amener à relire les » ratés » de nos parcours avec l’intelligence du rongeur qui s’applique à remettre en bonne place ce qui a été mal exécuté à l’instant même. Cette pédagogie familière à L’Ecriture allierait l’avantage d’une reprise en main par soi-même et l’élimination de toute culpabilité ultérieure en recourant à l‘intelligence : «  Lumière », dit la Genèse. N’est-ce pas la liberté à laquelle l’intuition divine nous convie à chaque page de ses suggestions ?

 Lorsqu’un circuit de transmissions révèle des défectuosités, la solution n’est pas toujours de changer « de » circuit, mais de modifier » le » circuit existant. Comme on le dit fréquemment à propos d’une équipe qui gagne, » on ne change pas un apprenti champion en train d’apprendre son métier ». On lui « remet » sous les yeux et entre les mains ses mauvaises manœuvres afin qu’il les étudie et les modifie pour éviter de les reproduire.

 Lorsqu’une route comporte un virage si aigu qu’il provoque souvent des accidents graves, deux solutions se présentent La première est de faire construire une chapelle à l’endroit du virage pour qu’on y vienne en pèlerinage, prier pour les morts, passés et futurs.

 La seconde est de court-circuiter le virage incriminé en créant une portion de route qui adoucisse la courbe, organisant tout le nécessaire pour que les accidents n’aient plus lieu : c’est bien cela qu’on appelle : remettre. Remettre en état de fréquentation positive.

 Car c’est bien de cela dont il s’agit au niveau du péché : remplacer un fonctionnement nocif par un comportement basé exclusivement sur les valeurs positives que je me découvre et me reconnais.

 Si l’on privilégie la fonction de vomissement, l’interprétation vire de bord et indique le dégoût soudain ressenti pour des comportements précédemment déviants.

 Les ratages de cible ne sont qu’une façon plus ou moins inadaptée de négocier les virages de la Vie. Selon leurs degrés de gravité, ils peuvent mettre en danger de mal assumer ma Vie. C’est la vigilance qui peut prévenir ces erreurs de visée.

 Le Sacrifice d’un Dieu n’a plus rien alors d’un renoncement à vivre ou d’une disparition préméditée de la scène sociale. « Sacrum facere » signifie, en latin toujours : accomplir ce qui m’est le plus sacré, le plus précieux. Cela nécessite pour Jésus de pousser au top ce qui lui tient le plus à cœur, c’est-à-dire à faire de nous des descendants authentiques de la Divinité qui l’inspire. Et pour nous d’en répercuter la Vision géniale par un regard renouvelé sur nous-mêmes d’abord et sur ceux avec qui nous vivons.

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L’ARCHE DE NOE OU L’ARCHI NOE …

Est-il encore possible aujourd’hui d’envisager des sorties de crise devenues cruciales face au monde qui nous héberge avec ou sans notre consentement ? Nous sommes du monde, c’est-à-dire de l’espèce humaine même si son évolution semble nous laisser perplexes quant à son aboutissement.

 Car ce « monde de l’Espèce » n’est peut-être pas la même chose que « le monde de l’Humain ». Nous ne sommes pas seulement en présence d’une humanité parvenue à une sorte de paroxysme de la souffrance, mais en face d’une espèce vivante qui organise volontairement le processus de son dysfonctionnement et de sa déchéance.

 Actuellement, il apparaît que ce qui importe aux dirigeants de tous poils, c’est le « Bien Etre de l’Espèce humaine » beaucoup plus que le « Bien de l’Homme Vivant : B.H.V. » (à ne pas confondre avec le Bazar de l’Hôtel de Ville !). A voir en effet combien la mort est banalisée et se trouve même instrumentalisée (et avec quels raffinements technologiques) par les instances de pouvoir se payant leur place au soleil grâce à l’élimination de tant de vies humaines dans tous les secteurs où des hommes sont présents, on se demande si cette délirante Hémorragie du Sens n’a pas éliminé une fois pour toutes sa concurrente appelée par la Pensée juive : Eve la Vivante !

 Avons-nous insensiblement troqué Eve la Matrice universelle, creuset de toute vie digne de ce nom, contre l’Ogresse morbide qui se nourrit des enfants qu’elle dévore ? L’Humanité est-elle entrée en guerre contre elle-même en accumulant les outils destructeurs de sa propre survie ? N’y a-t-il pas des foyers de résistance susceptibles de s’opposer avec succès au délire tumoral qui semble saisir ceux qui s’arrogent l’exclusivité des orientations décisives de la planète ?

 Le drame n’est pas la chute de l’Humanité dans laquelle les médias se plaisent à s’en pourlécher l’information récurrente et menaçante. Ce sont les circonstances de cette chute : où a-t-elle lieu ? Quand on chute, on le choix entre tomber dans un trou avec fond ou dans un trou sans fond. Dans le premier cas, la chute a des chances de se trouver stoppée par le fond. Dans le second, elle devient continue et même accélérée puisqu’il n’y a pas de coup d’arrêt possible : cela s’appelle l’abîme : où s’arrête-t-on ? Et qu’est-ce qui permet de freiner, voire d’arrêter, la dégringolade ?

 D’abord le Refus. Le Non. Le Nom de l’Homme et le Non de Dieu. Deux noms de la même famille : la famille des « Je Suis ».

 Car le monde laissé à sa folie « n’Est plus ». Il ne fait plus qu’exister c’est-à-dire qu’il émarge sur la liste des présents mais dépouillé de la moindre performance dans le domaine du Vivant puisqu’il tue à plaisir et à coups redoublés. Et même si le monde a éliminé Dieu parmi les déchets qu’il produit, il reste L’Homme héritier du Non à la Mort. Radicalement.

 C’est à ce point crucial que le mythe de Noé vient à point nommé pour dynamiser les foyers de résistance, multiples, dispersés, souvent géniaux essaimés dans le monde entier, quelle que soit leur appartenance politique, idéologique ou religieuse.

 Les vrais résistants commencent toujours par dire Non à tout ce qui attente à la Dignité du Vivant. Dire Non ne signifie pas forcément rejeter, renier, combattre, condamner. Mais simplement se démarquer, s’opposer, se séparer, s’autonomiser. C’est marquer sa différence d’autant plus radicale que la violence est plus extrême, avec une dénaturation de la Vie. C’est le sens de l’isolation parfaite dont Noé renforce son bateau avant d’affronter le déchaînement d’un monde en folie. Se protéger absolument de la contagion virulente d’un fonctionnement qu’il ne considère plus comme humain, est la première condition pour qu’il puisse se maintenir sur la mer sans prendre l’eau … c’est-à-dire manifester sa présence au monde sans se compromettre avec ses déviations majeures. Il n’y a même pas de négociations possibles avec des partenaires dont la seule référence devient la destruction des vivants.

 Le Non suppose une position de repli qui n’est pas forcément un refuge définitivement fermé. Ce terme laisse parfois entendre qu’on s’enferme à l’abri en attendant que les choses changent d’elles-mêmes. Abri atomique, parapluie, stratégie du porc épic, gilet pare balle de Goliath, Etat providence, « assurances vie », réflexes de chapelles sécurisantes : l’imaginaire n’est pas en peine de subterfuges pour fuir les confrontations lourdes de menaces. L’Arche possède une porte qui, à elle seule, combat toute idée de rejet du monde par Noé mais qu’il n’ouvrira qu’à des conditions sans aménagement avec l’extérieur.

 Le rôle des Résistants ne se limite pas à se mettre à l’abri. Une fois dans l’Arche, à quoi assiste-t-on ? A un intense « brainstorming » entre Noé et l’ensemble des ressources vitales dont il fait maintenant l’inventaire et la mise en état de marche. Les trois étages du navire correspondent en effet : le premier aux ressources de l’esprit et des puissances de la pensée, symbolisées par la liberté et l’indépendance des oiseaux du ciel, le second à toutes les forces affectives du désir, des passions, des relations personnelles, des sentiments symbolisées par la capacité d’adaptation des animaux domestiques et la libre disposition de soi-même que reflète bien l’indomptabilité des bêtes sauvages. Le troisième étage est celui des forces biologiques, de la sexualité, des puissances du corps et de ses engendrements qu’illustre bien la prolifération inépuisable des poissons de la mer.

 Noé s’organise intérieurement à partir de ses propres puissances de vie diversifiées et toutes orientées vers une promotion du Vivant : il a en effet l’intuition profonde que c’est la mobilisation et la démultiplication de ces ressources qui détiennent le secret d’un monde enfin vivable et peut-être même fraternel. Il se prépare intensément à réinvestir la planète à partir d’une Humanité totalement restaurée, y compris dans sa dimension transcendante. Le fameux «  Croissez et multipliez » concerne bien évidemment le retour sur investissement de ces diverses richesses que chacun porte en soi comme une gestation jusqu’à ce qu’elles « prennent corps », comme des cellules souches toute neuves au cœur de ce monde en état de détresse cardiaque avancée.

En effet, ce retour à la transcendance que notre univers traite souvent comme une scorie résiduelle de son existence, Noé en rappelle l’absolue nécessité : le texte nous indique qu’il va quitter son bateau, non par la porte, mais par le toit, en enlevant la couverture de l’Arche. Le toit est ce qui découvre le ciel, le lieu des plus hautes valeurs lorsqu’on l’enlève. La sortie de crise se fait par l’ouverture à la transcendance, au questionnement du divin si c’est encore possible.

Cette découverte du divin ne peut revêtir une marche triomphale que si l’humanité s’y résout après avoir changé de logiciel intérieur, éliminant celui de la destruction au profit de la promotion de la vie tous azimuts.

 C’est en chaussant ces nouvelles lunettes trois D, qu’on s’aperçoit du fourmillement inchiffrable d’hommes vivant résolument dans cette vision d’une Arche, disons presque d’une » Matri-Arche » dans la mesure où son rôle « maternel » permet la régénération d’une descendance innombrable des fils et filles de Noé. Là réside une chance dont personne ne peut douter puisqu’elle dépend, non d’un changement d’humeur de l’Histoire, mais de la décision personnelle de chacun à entrer dans ce mouvement.

 Mais après le refus du monde corrompu et de ses pratiques, puis de l’établissement d’un solide C.V nourri d’un bilan sans mesquinerie des potentialités dont les trois étages de mon Arche font le plein, il manque une étape décisive : la sortie de l’Arche pour rejoindre le terrain où l’on m’attend. Rien ne peut changer dans mon environnement si je ne fais pas moi-même des propositions ou si je renâcle à m’engager dans une démarche résolument positive en faveur de ce qu’il y a de plus humain dans l’Homme. Et ceci en inventant ma propre pédagogie, mon itinéraire sans souci de concurrence.

 Gageons que si nous faisons la fine bouche sur les grandes intuitions innovées par l’Histoire d’Israël, telle l’Arche de Noé, Jésus, lui, n’avait que ces références sur lesquelles s’appuyer. Nous nous inspirons de lui mais lui n’avait pas un autre lui-même sur lequel s’appuyer, pas même l’Evangile…Sa période d’incubation dans son arche a duré trente ans, il ne faut pas l’oublier : de quoi tirer de soi une Parole résolument neuve avec prise de distance suffisante par rapport à ses textes nourriciers de base, pour les apprécier sans en être pour autant dépendant. Chouraqui traduit l’autorité surprenante de ses interventions auprès de ses contemporains qui s’interrogeaient sur le fondement de cette dernière, par une formule sans appel : «  C’est de lui. »

 Face à la pression souvent insupportable engendrée en nous par les forces de destruction engagées dans notre civilisation, il nous faut proposer en réponse, une pression plus élevée mais issue de l’intelligence et du cœur pour offrir, non une stratégie de conflit ou de condamnation, mais de nouveaux horizons, projets ou perspectives au cœur desquels l’Homme retrouve sa place existentielle et royale.

 C’est tout simplement un remake de l’accouchement. Lorsque la pression interne devient trop puissante pour le corps qui la contient, alors celui-ci s’ouvre pour livrer passage à un être neuf issu de soi, un espoir inédit pour l’entourage. Les solutions à nos problèmes ne tombent pas du ciel pas plus que les bébés ne naissent dans les choux ou les roses. A moins que le ciel se décide enfin à prendre corps là où on lui en offre la possibilité ?

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